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20 avril 2022

Débat Macron–Le Pen : petite phrase ou programme ?

Avant le débat télévisé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ce 20 avril, une grande partie de la presse revient sur les débats d’entre-deux-tours précédents. Un article d’Olivier Bénis et Noémie Lair (France Inter, 18 avril) résume l’esprit général : « Petites phrases, grands moments : ces scènes qui ont marqué les débats d'entre-deux-tours de la présidentielle ».

Les petites phrases, journalistes et hommes politiques affectent de les mépriser. Pourtant, le fait est que ce sont elles qui marquent ces débats. Elles s’inscrivent durablement dans le paysage politique français. « Vous n’avez pas le monopole du cœur »(1) : la riposte de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand en 1974 est restée fameuse. Certains lui attribuent même la victoire électorale du premier sur le second !

On n’a pas oublié non plus :

  • « C’est quand même ennuyeux que vous soyez devenu l’homme du passif » de François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing, 1981
  • «Vous avez tout à fait raison monsieur le Premier ministre», de François Mitterrand à Jacques Chirac, 1988
  • « Mieux vaut cinq ans avec Jospin que sept ans avec Chirac », de Lionel Jospin à Jacques Chirac, 1995
  • « Non, je ne me calmerai pas », de Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy, 2007
  • « Moi président », de François Hollande à Nicolas Sarkozy, 2012 (2)

Toutes ces sorties ont été qualifiées de « petites phrases » par une partie de la presse. Elles ne portent pas sur des programmes de gouvernement. Avec elles, l’affrontement entre deux responsables politiques se situe sur le terrain du caractère et du comportement. Le programme est sans doute un exercice de style incontournable. Mais il fait un peu penser à la ballade du duel de Cyrano de Bergerac. Ce qu’on en retient au bout du compte, c’est « À la fin de l’envoi, je touche » !

On note que les petites phrases les plus marquantes ne viennent pas forcément du vainqueur de l’élection. Mais elles sont une sorte de bilan du duel : c’est là qu’Untel a « gagné », c’est là qu’Unetelle a « perdu ». Sans qu’il soit besoin de comparer rationnellement des programmes, la petite phrase s’impose d’elle-même, « faisant comprendre aux journalistes, aux états-majors et à la France entière que l’élection était presque gagnée ou quasiment perdue »(3).

Ce genre de petites phrases ne date sûrement pas de l’apparition de la télévision. Celle-ci a seulement permis à des nations entières d’assister aux empoignades verbales. Comme des tribus paléolithiques assemblées autour de deux prétendants. On peut y voir un retour en arrière. Ou l’expression d’une réalité de tous les temps : le leadership est affaire de personnes et non de programmes. (Et, puisque dans l’espèce humaine, l’alpha est généralement un mâle, les femmes sont sans doute désavantagées dans cet exercice.)

Michel Le Séac’h

(1) Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 109.

(2) Idem, p. 59.

(3) Sorj Chalandon, « Des hauts et débats », Le Canard enchaîné, 6 janvier 2021.

Illustration : Clard, Pixabay

22 mars 2022

Monsieur Macron, vous n’avez pas le monopole du programme

Ce matin du 22 mars, si l’on interroge Google sur Macron + programme + présidentielle, la première réponse affichée par son moteur de recherche est le programme d’Emmanuel Macron… en 2017.

Pourtant, le président de la République a présenté son programme de candidat 2022 il y a cinq jours. Après s’être fait longuement tirer l’oreille. Non seulement il a attendu le dernier jour, le 5 mars, pour officialiser sa déclaration de candidature, mais il n’a pas présenté en même temps un programme de gouvernement. Dans un premier temps, il s’est contenté de le livrer « au compte gouttes », comme écrivait Alexandre Lemarié dans Le Monde. De toutes parts, on le lui reprochait vivement.

Puis, après sa conférence de presse programmatique à Aubervilliers le 17 mars, les critiques ont changé. « La droite accuse le candidat Macron de ‘piller’ le programme de Pécresse », relève Libération. À peine Emmanuel Macron s’était-il exprimé que Valérie Pécresse elle-même lui reprochait d’avoir repris les points essentiels de son propre programme. « Monsieur Macron va faire la réforme des retraites jusqu’à 65 ans. Qui a eu le courage de le dire ? C’est nous ! […] Qui a reparlé du nucléaire ? C’est nous ! », etc.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2022 doivent-ils vraiment s’écharper pour des programmes ? Comme l’a observé François Hollande (La Montagne y voit même une petite phrase), la guerre en Ukraine a rendu « obsolètes » tous les programmes politiques. Mais l’obsolescence a-t-elle attendu la guerre ? Plus fondamentalement, les électeurs tiennent-ils encore vraiment à ce qu’on leur serve des programmes ? Voici des indices troublants.

D’après Google Trends, les recherches des internautes sur l’expression « programme politique » n’ont jamais été aussi importantes (indice 100) qu’en avril 2017. En mars 2017, elles étaient à l’indice 41 ; en février, à l’indice 18. Avant l’élection de 2017, le programme d’Emmanuel Macron avait déjà suscité un fort courant d’intérêt (indice 42) en novembre 2016. C’est le mois où il a annoncé sa candidature et publié Révolution. Rien de tel cette année. En février 2022, les recherches sur « programme politique » en étaient à 11, et au 22 mars, à 14. Et pour « programmes politiques », au pluriel (courbe rouge sur le graphique ci-dessous), qui peut dénoter un désir de comparaison, c’est quasiment encéphalogramme plat.

Si l’on s’intéresse au temps long, les statistiques de Google Ngram Viewer incitent à la réflexion. Elles portent sur la fréquence des mots dans les livres publiés par année. C’est un indicateur très approximatif qui n’a d’intérêt que s’il révèle des tendances vraiment marquées. Ce qui est bien le cas ici. La présence de l’expression « programme politique » dans les livres en français progresse franchement tout au long de la 5e République et culmine en 2002-2006. Puis l’intérêt semble s’évanouir subitement.

Les programmes politiques sont un phénomène relativement neuf. En 1762, selon la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie française, un « programme » était un « placard qu'on affiche au coin des rues, ou qu'on distribue par les maisons, pour inviter à quelque action publique ». En 1935, la 8e édition note seulement : « se dit, par extension, d'un Exposé de principes ou d'idées, de l'énumération des réformes, des mesures projetées par un gouvernement, un parti, un homme politique, etc. L'opposition a fait connaître son programme. Le programme du ministère. ». La 9e édition, en cours de rédaction, a besoin de plus de 130 mots pour traiter du programme « spécialt. polit. ».

Mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Il est bien possible que les programmes électoraux aient dès à présent fait leur temps. Que les électeurs n’y croient plus beaucoup. Ou, pour le dire de manière optimiste, qu’ils reviennent aux fondamentaux : l’élection présidentielle ne sert pas à élire un programme mais un candidat. Comment connaître celui-ci ? Parfois, une petite phrase peut le dévoiler plus qu’un long programme.

Michel Le Séac’h