La communication d’Emmanuel Macron serait-elle à la remorque
de celle des présidents américains ? Il
avait déjà recyclé une phrase célèbre de Donald Trump en lançant : « Make
our planet great again ». En a-t-il fait autant avec une phrase de
John Fitzgerald Kennedy dans ses vœux à la nation, au soir du 31
décembre ?
« Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez
faire pour votre pays », a-t-il déclaré vers le milieu de ce discours
de 18 minutes. Nombre de commentateurs y ont vu une référence au discours
inaugural du président Kennedy en 1961 : « Ask not what your
country can do for you – ask what you can do for your country' » (ne
vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que
vous pouvez faire pour votre pays). « C'est l'une des phrases
présidentielles les plus connues », a
noté Guillaume Tabard dans Le Figaro. « En reprenant les
célèbres mots de Kennedy, Emmanuel Macron savait qu'on ne retiendrait que cette
exigence de sa longue homélie de vœux ».
Le président de la République était-il aussi conscient de
cette filiation que le pense Guillaume Tabard ? Probablement. Il a doublé
son discours officiel de 18 minutes à la télévision par une allocution abrégée de 2
minutes diffusée via Twitter. Il a pris soin d'y reprendre la phrase : « Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire
pour la France ». Et même, alors que le temps lui était chichement
compté, il l’a répétée (« chaque matin, demandez-vous ce que vous
pouvez faire pour la France »), afin que nul n’en
ignore.
D’ailleurs, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait
déjà utilisé cette phrase dans un discours d’août 2015. Elle avait été
totalement éclipsée par un autre passage du discours qui avait fait polémique.
Il a clairement de la suite dans les idées.
Pas vraiment du Kennedy dans le texte
Cependant, la force de la formule de Kennedy venait pour une
bonne part de sa construction en chiasme (ou en antimétabole, dirons les
puristes ; n’entrons pas dans ce débat) : les mêmes mots y étaient
répétés en ordre inversé : ce que votre pays peut faire pour vous/ce que vous pouvez faire pour votre pays. Pour des raisons encore mal connues, les répétitions
de toutes sortes exercent un effet puissant sur le cerveau humain[1].
La poésie utilise cet effet depuis l’Antiquité et la politique sait aujourd’hui
en jouer (« travailler plus pour gagner plus »…).
Emmanuel Macron y a renoncé. Coupant court à l’introduction
rhétorique « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous »,
il a sauté directement à la partie opérationnelle de la phrase : « Demandez
vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Il est
vrai que ce que la concision de l’anglais fait tenir en moins de vingt syllabes
(ce qui est déjà beaucoup pour une petite phrase) en réclame une trentaine en
français. Ainsi abrégée, la phrase du président de la République n’aurait rien
eu de remarquable si elle n’avait pas, justement, rappelé celle de Kennedy.
Mais pourquoi avoir introduit ce « chaque matin »
qui n’était pas dans la phrase de Kennedy ? Cette clause n’ajoute aucune
idée, aucun sens supplémentaire. Elle alourdit la formule sans rien lui
apporter et l’éloigne de son modèle. Certains médias, comme
L’Obs, ignorent purement et simplement ces deux mots en trop. Décidément, Emmanuel Macron a
encore des progrès à faire en matière de petites phrases. Sur ce plan là au moins,
l’imitation des présidents américains peut lui faire accomplir des progrès.
Et après tout, il y a de l’admiration dans l’imitation.
Tenez, Kennedy lui-même… « Ask not what your country can do for you –
ask what you can do for your country' » est généralement tenu pour la
plus célèbre de ses petites phrases, qui sont nombreuses. On a soutenu qu’elle
n’était pas de lui mais de son speechwriter Ted Sorensen, qui lui-même
disait s’être inspiré d’Abraham Lincoln et de Winston Churchill. Or, dans un
livre paru en 2011, Jack Kennedy: Elusive Hero, Chris Matthews, lui-même
ancien speechwriter du président Jimmy Carter, assure que la formule est
due en réalité à feu George St John, directeur de Choate School… où John
Kennedy fut lycéen. De ses leçons, il avait au moins retenu cela.
[1] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 220-222.