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02 décembre 2024

Une élection sans petite phrase pour Donald Trump ?

L’idée qu’une petite phrase puisse déterminer le résultat d’une élection présidentielle paraît extravagante. Elle est néanmoins partagée par de bons esprits. Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand considéraient tous deux que la présidentielle de 1974 s’est jouée sur « Vous n’avez pas le monopole du cœur ». Ils n’étaient pas seuls. « Chacun s’accorde pour dire que Giscard a gagné l’élection à cet instant », rapporte Olivier Duhamel(1). L’Institut national de l’audiovisuel (INA) introduit à peine un léger doute quand il relate l’histoire de « Vous n’avez pas le monopole du cœur, une petite phrase de quelques secondes grâce à laquelle, peut-être, Valéry Giscard d’Estaing est devenu à 48 ans le plus jeune président de la Cinquième République »(2).


Aux États-Unis, les trois mots « Yes We Can », à l’origine une petite phrase plébiscitée par les auditeurs, auraient pour certains assuré la victoire de Barack Obama lors de la campagne présidentielle américaine de 2008. Idem huit ans plus tard pour Donald Trump avec « Make America Great Again » (MAGA), message de félicitations adressé au président Obama réélu en 2012 puis massivement retweeté par les internautes.

Nombre d’observateurs ont donc recherché dans la campagne présidentielle de 2024 la petite phrase qui ferait l’élection. Ils l’attendaient surtout dans les débats télévisés, en fondant cette conviction sur une référence largement admise : le débat du 28 octobre 1980 entre Ronald Reagan et Jimmy Carter, une semaine avant l’élection présidentielle américaine.

Reagan reste une référence en 2024

Ce jour-là, assure l’écrivain Larry Elliott(3), « dix mots brefs se sont avérés décisifs » : « Are you better off than you were four years ago? » (Allez-vous mieux qu’il y a quatre ans ?). Question moins élémentaire qu’il n’y paraît : la plupart des candidats focalisent plutôt leurs interventions sur ce qu’ils feront s’ils sont élus et non sur le passé. La question simplissime de Ronald Reagan a irrémédiablement déstabilisé le président sortant. Elle a même « remodelé l’histoire de l’Amérique », selon l’essayiste Daniel Pink(4) ! Pour Lou Cannon, biographe de Reagan, elle a en tout cas « réglé le débat »(5).

Quarante-quatre ans plus tard, en 2024, des journalistes américains affirment toujours que cette question a probablement fait perdre l’élection à Carter(6) ou qu’elle est peut-être la phrase la plus fameuse de tous les débats présidentiels(7), tandis que la rédaction du Washington Post  y voit une « question immortelle » qui structure encore les débats économiques des élections présidentielles(8). Quant à ChatGPT, Interrogé sur les petites phrases qui auraient pu déterminer le résultat d’une élection, il cite en premier lieu la question de Ronald Reagan (devant « It’s the economy, stupid », de Bill Clinton, en 1992, « Read my lips : no new taxes », de George H.W. Bush, en 1988 et “Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country », de John F. Kennedy, en 1960).

En 2020, c’est une question plus agressive qui avait marqué le premier débat entre Donald Trump et Joe Biden. Interrompu par Trump à de nombreuses reprises, Biden lui avait lancé : « Will you shut up, man ? » (Tu vas la fermer, bonhomme ?). La phrase avait été appréciée d’une partie du public et l’équipe de Joe Biden avait aussitôt diffusé des T-shirts la reproduisant. Mais en 2024, semble-t-il, le président sortant n’est plus en état d’afficher une attitude bagarreuse lors du débat présidentiel qui l’oppose à Trump au mois de juin. Puis il s’enferre en désignant les partisans de Trump comme des « ordures »(9). Et aucune des invectives mutuelles de l’unique débat télévisé entre Donald Trump et Kamala Harris, le 10 septembre, ne sort du lot. Avec le recul du temps, la phrase qui rappellera le mieux cette élection présidentielle de 2024 pourrait bien être « Fight, fight, fight »(10).

Michel Le Séac’h

(1) Olivier Duhamel, Histoire des présidentielles, Paris, Le Seuil, 2008, p. 130.
(2) https://www.youtube.com/watch?v=Y8vfxuwtr4o
(3) Larry Elliott, «  Are you better off than four years ago? Why US voters should – but can’t – say yes », The Guardian, 18 octobre 2024, https://www.theguardian.com/business/2024/oct/18/us-voters-economy-inflation-growth-presidential-election
(4) Daniel Pink, « Questions vs. Answers: Which Wins? », LinkedIn, novembre 2024, https://www.linkedin.com/posts/danielpink_questions-vs-answers-which-wins-in-1980-activity-7259188818728120320-GJz7/
(5) Lou Cannon, « Ronald Reagan : Campaign and Elections », University of Virginia Miller Center, https://millercenter.org/president/reagan/campaigns-and-elections
(6) Timothy Noah, « You Are Way Better Off Than You Were Four Years Ago », The New Republic, 12 septembre 2024, https://newrepublic.com/article/185893/harris-better-off-four-years
(7) Howard Schneider, «  Are you better off today ? A question for voters as Biden, Trump debate », Reuters, 26 juin 2024, https://www.reuters.com/world/us/are-you-better-off-today-question-voters-biden-trump-debate-2024-06-26/
(8) Editorial Board, Washington Post, 12 septembre 2024, «  How Harris could answer the 'are you better off' question », https://www.washingtonpost.com/opinions/2024/09/12/harris-economy-census-incomes/
(9) Michel Le Séac’h, « “Les ordures, ce sont les supporters de Trump" » : la dernière petite phrase de Joe Biden », blog Phrasitude, 7 novembre 2024, https://www.phrasitude.fr/2024/11/les-ordures-ce-sont-les-supporters-de.html
(10) Michel Le Séac’h, « “Fight, fight, fight" : portrait résumé d’un Trump héroïque », blog Phrasitude, 7 novembre 2024, https://www.phrasitude.fr/2024/07/fight-fight-fight-portrait-resume-dun.html

Photo [cc] Gage Skidmore via Wikipedia Commons


23 février 2020

Je twitte donc je suis – L’art de gouverner selon Donald Trump, par Guillaume Debré

Donald Trump est-il contagieux ? Peut-on parler d’un personnage caricatural sans le caricaturer ? Pour écrire Je twitte donc je suis, Guillaume Debré disposait d’une ressource documentaire objective : les 13 421 tweets envoyés par le président américain entre son arrivée à la Maison-Blanche et le début de l’année 2020.

Décrire Donald Trump à travers ses tweets était un programme alléchant et nullement anecdotique. « Pour le Président, @realDonaldTrump est beaucoup plus qu’un outil de communication », écrit Guillaume Debré. « Il est devenu l’essence de sa présidence, son identité propre. Ses tweets sont à la fois sa doctrine et son programme, sa philosophie, son logiciel et son projet politique. » Restait à puiser dans cette masse pour dresser un portrait selon différentes thématiques : Donald Trump et l’électorat américain, et la vie à la Maison-Blanche, et les relations diplomatiques, et les autres chefs d’État, etc.

Le travail était énorme, et l’auteur a peut-être manqué de temps pour effectuer un vrai « minage » dans la masse des 13 421 tweets. Passé le premier chapitre du livre, consacré à la « Twitter addiction » du Président, ils n’occupent qu’une place secondaire d’illustration (Donald Trump a désigné son épouse par le prénom Melanie alors qu’elle s’appelle Melania ? C’est presque une affaire d’État !). Le livre relate surtout des faits et anecdotes déjà largement couverts par la presse. Environ la moitié de ses notes renvoient à des articles du New York Times, du Washington Post ou du Boston Globe.

La vérité c’est le mensonge ?

Corrélativement, il reflète l’hostilité générale de la presse américaine envers Donald Trump. Guillaume Debré y ajoute même une touche personnelle. Ainsi, p. 146, quand il traduit comme suit le début d’un tweet de 2018 : « Quand tu donnes sa chance à une crapule foldingue et pleurnicheuse ». Le texte originel de @realDonaldTrump, non repris dans le livre, disait : « When you give a crazed, crying lowlife a break », ce qui se traduirait plus normalement par : « Quand tu donnes une chance à une pauvresse affolée et en pleurs »[i]. Une mention toujours désobligeante mais quand même moins insultante. De même p. 75, à propos d’une conférence de presse, Guillaume Debré cite un journaliste voussoyant respectueusement le Président, qui en réponse le tutoie grossièrement. Alors qu’en V.O. l’un et l’autre se disent « you », bien entendu.

L’auteur va cependant au-delà de la caricature et montre que les tweets de Donald Trump ne sont pas des éructations irréfléchies. Il décrit le « protocole d’action clairement établi » instauré à la Maison-Blanche pour les gérer et le rôle que Trump assigne à Twitter, « un média qui lui permet de diffuser des messages courts, des pensées simples et d’éviter les nuances. Un média parfait pour renforcer les idées reçues et diffuser les caricatures ou les images à fort potentiel de mobilisation. Twitter est un forum qui n’invite pas le débat, qui protège autant qu’il expose et qui renforce la verticalité du pouvoir. » Trump y multiplie les erreurs factuelles ? Peut-être, mais « ces erreurs sont, pour beaucoup d’Américains, une preuve d’authenticité politique ». Le @realDonaldTrump est réellement réel ! Twitter le montre tel qu’en lui-même, hors toute langue de bois. Et permet d’exprimer « la dose de violence politique dont a besoin la base électorale du Président ».

M.A.G.A. élu par l’Amérique blanche

Une base électorale qui, en dépit de tout, persiste à le soutenir. Ce qui s’explique par son homogénéité : Donald Trump est le « premier président blanc de l’histoire » ‑ cette formule de l’écrivain noir américain Ta-Nehisi Coates sert de titre à l’un des chapitres du livre. Trump incarnerait le concept de « blanchitude », qui ne s’oppose pas à la négritude mais « au multiculturalisme bien-pensant, au politiquement correct, à l’élitisme urbain, à la discrimination positive, à l’égalité des genres, au progressisme inclusif ». Alors que les deux mandats de Barack Obama et la montée de l’immigration auraient suscité chez les « petits blancs » la peur de devenir minoritaires, « la blanchitude rassemble un ensemble de symboles et de référents qui dépasse le champ du politique et qui active chez les électeurs un réflexe de protection identitaire ». L’Amérique périphérique blanche, qui votait républicain dans le Sud et l’Ouest des États-Unis, et démocrate dans le Midwest et le Nord-Est s’est rassemblée autour de Donald Trump, dont elle attend une protection. Le sujet est capital, et il est évidemment dommage que l’auteur cite si peu de tweets présidentiels à l’appui de sa thèse ; le plus significatif affirme au contraire : « Je n’ai pas un os de raciste dans mon corps » !

Malgré leur virulence, les tweets de Donald Trump ne paraissent pas souvent destinés à devenir des petites phrases marquant durablement les esprits. Avec au moins une exception remarquable, à laquelle Guillaume Debré consacre un chapitre entier : « Make America Great Again ». Ce tweet posté le 7 novembre 2012, juste après l’élection de Barack Obama, devient viral en quelques heures. « Cette phrase combine les éléments d’une promesse électorale, d’un cri de ralliement et d’une profession de foi », note l’auteur. Trump observe la puissance tout à la fois de Twitter et de ces quatre mots, en quelque sorte élus par le public. Il en fera son slogan de campagne trois ans plus tard et, y compris sous la forme de l’acronyme M.A.G.A., les twittera plus de 1 100 fois en huit ans !

Michel Le Séac’h



[i]  Le passage relate un conflit entre Donald Trump et l’une de ses anciennes assistantes, Omarosa Manigault Newman, qui avait participé à ses émissions de télévision et qu’il avait embauchée à la Maison-Blanche dès son arrivée. Guillaume Debré raconte : « Dix mois plus tard, elle claque la porte et accuse le Président de mysogynie et de racisme. En réponse, elle reçoit une bordée d’insulte dans un tweet du 14 août 2018 » -- le tweet cité ici. Dix mois plus tard ? Entre janvier 2017 et août 2018, dix-neuf mois se sont écoulés. En réalité, l’intéressée a quitté la présidence en janvier 2018 et a publié en août 2018 un livre très hostile à son ancien employeur. C’est ce livre, et non son départ, qui a suscité le tweet présidentiel.


Je twitte donc je suis -- L'art de gouverner selon Donald Trump 
par Guillaume Debré
Paris, Fayard, 2020. 240 p., 18 €