Eliot Blondet et Paul Larrouturou fréquentent assidûment l’Élysée,
l’un comme photojournaliste, l’autre comme reporter politique. Leur livre est
né d’un constat : la « bulle Macron » est difficilement
saisissable. D’abord parce qu’elle n’existe pas : en réalité, « il en
existe autant que de personnes qui l’ont approché de près ou de loin ».
Ils dressent donc les portraits de quatorze d’entre elles : l’ancien
Premier ministre Manuel Valls mais aussi Sibeth Ndiaye, Stéphane Séjourné,
Benjamin Griveaux, Christophe Castaner, Arnaud Jolens, Jean Gaborit, Aurélien
Taché, Jean-Marc Dumontet, Marie Tanguy, Patrick Pelloux,
Laurence Benhamou et deux inconnus auxquels le président a conféré leur quart
d’heure de célébrité, le Gilet jaune Gépy et l’homme prié de traverser la rue,
Jonathan Jahan.
Les petites phrases ne manquent pas dans ce livre, dès la
première ligne : « Emmanuel Macron est bien évidemment loyal à
l’égard du Président », dit Manuel Valls en mai 2016. Quatre lignes et une
trahison plus bas, le festival commence. « Macron, c’est Brutus, mais avec
une petite différence : Hollande n’est pas César », persifle Alain
Juppé, alors considéré comme le grand favori pour l’élection présidentielle de
2017. « Il serait le fils naturel de Kennedy et de Mendès France »,
chipote Édouard Philippe. « On peut en douter ; Le premier avait plus
de charisme, le second plus de principes », répliquent les auteurs.
Le premier témoin par ordre d’entrée en scène, Manuel Valls,
est aussi le plus féroce envers Emmanuel Macron : c’est le jugement d’un
ambitieux envers un ambitieux qui vise le même fauteuil que lui et qui lui
coupe l’herbe sous le pied en attaquant le premier. « Abel contre
Caïn ? » demandent les auteurs, qui préfèrent finalement une
comparaison empruntée à Walt Disney : Valls est comme Scar, le méchant du Roi
Lion, tandis que Macron serait le lionceau Simba, « le petit prince
trop cool ». Puis pas si cool que ça, finalement.
Le ton est bien différent avec Sibeth Ndiaye, « moins
une duègne qu’une boxeuse », que les auteurs ont vue à l’œuvre comme
porte-parole du gouvernement. Elle prétend porter sa part du fardeau :
« Chaque fois qu’un truc a cloché, j’ai toujours considéré que je ne
l’avais pas assez protégé. » Pourtant, elle a du mal à assumer ses propres
gaffes : « Tout ça, c’était pas des conneries au moment où je les
dis. » C’est la faute des autres : « Avec le recul, j’ai été un
très bon soldat dont le travail était de prendre les balles perdues. »
Les auteurs montrent plus d’indulgence avec Stéphane
Séjourné, dont « la plupart des phrases commencent désormais par la triste
formule : "Personne ne s’intéresse à ce que l’on fait,
mais…" » et qui analyse « l’explosion en plein vol de Nathalie
Loiseau à son arrivée au Parlement européen ». Surtout, il explique, clair mais peut-être pas désintéressé, comment Emmanuel Macron devrait s’appuyer sur son image de champion de
l’Union européenne et du monde libre pour être réélu en 2022.
Benjamin Griveaux, en revanche, prédecesseur de Sibeth
Ndiaye comme porte-parole du gouvernement, et comme elle issu du Parti
socialiste, incarne « l’arrogance en politique ». Les auteurs n’en
rajoutent pas – ils ne mentionnent qu’en passant l’affaire de la vidéo intime
qui a mis fin à sa campagne pour la mairie de Paris – mais rappellent sa fameuse petite phrase sur Wauquiez, « le candidat des gars
qui fument des clopes et qui roulent au diesel », tirade qui a « fait honte »
à Bayrou mais qu’il assure n’avoir jamais prononcée. De toute façon, le
personnage, « plus irritant sniper de la macronie », serait plutôt
surévalué. Il « n’a jamais été suffisamment dans la première bulle pour être
réellement dans les petits papiers du président ». La preuve : sa
candidature à la mairie de Paris est victime de « l’inaction, la stratégie
de pourrissement très darwinienne d’Emmanuel Macron ».
Avec Christophe Castaner, on remonte le temps : il a
précédé Sibeth Ndiaye et Benjamin Griveaux au poste de porte-parole du
gouvernement. « Christophe
Castaner et Sibeth Ndiaye se livrent un duel pour savoir quel porte-parole a
fait le plus de boulettes au cours du quinquennat », assurent les
auteurs. Pourtant, ils manifestent une certaine tendresse envers ce « faux
calme mais vrai sensible » qui reproche à Emmanuel Macron d’avoir festoyé
à La Rotonde au soir du premier tour de l’élection, reconnaît s’être « planté »
à propos des Gilets jaunes et doit quitter le ministère de l’Intérieur à la
suite d’une rébellion de ses troupes.
Le scénographe Arnaud Jolens est l’homme des visuels :
il livre quelques secrets des mises en scène présidentielles et raconte comment
le bleu du drapeau français a (re)viré du bleu cobalt au bleu marine. On
apprend que l’image est parfois sacrifiée au texte, comme à Athènes, le 7
septembre 2016, où « l’image sur le Pnyx est dingue, j’en suis très fier,
mais elle est passée à la trappe à cause de la petite phrase sur les fainéants »
(« Je ne céderai rien ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes »).
Avec Jean Gaborit, on découvre un pan anecdotique de l’entourage
présidentiel. Ce cascadeur du Puy-du-Fou a attiré Emmanuel Macron dans le fief
de Philippe de Villiers. À un journaliste qui s’en étonne, le ministre répond :
« l’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste », l’une
de ses petites phrases les plus tonitruantes. Mais Gaborit déplore
la fracture persistante entre Paris et les régions et finit par abandonner l’Élysée
pour la Vendée.
Aurélien Taché, « caution de gauche de la majorité
présidentielle », voire « curé de gauche de la Macronie », est « fier
d’être le "gauchiste de service" ». Après un parcours classique d’apparatchik
socialiste, il a misé sur le mauvais cheval avec DSK. Le voilà donc chez
Macron. Cet ambitieux qui a choisi d’escalader le pouvoir par la face gauche
est dépité. « Dans la Macronie, si j’avais été le bon élève, si j’avais
fait du Gabriel [Attal] depuis le départ, je serais au gouvernement, j’en suis
certain ». Il s’en va voir ailleurs.
Jean-Marc Dumontet ne révèle pas grand chose de l’Élysée.
Son regard est celui d’un homme de spectacle et d’un expert en mondanités. Il
assure qu’il ne demande rien mais se serait bien vu ministre de la Culture.
Marie Tanguy, écorchée vive de gauche, arrive dans l’équipe
de campagne après avoir été la plume de Laurent Berger. C’est d’elle qu’on
attendrait des petites phrases, mais on a tort. « La colonisation est un
crime contre l’humanité » n’est surtout pas son œuvre ! Elle la ressent
comme un « tremblement de terre ». Avec son entourage, elle conclut :
« le mec a quand même tendance à sortir à son audience ce qu’elle a envie
d’entendre et à aller trop loin. » Elle est fière tout de même d’avoir
imaginé une petite phrase reprise trois ou quatre fois par Emmanuel Macron :
« Je ne suis pas le père Noël ». Le père Noël, pourtant, elle n’y
croit plus : « Il a suivi le fil de l’excellence. Du darwinisme. Une
espèce de dureté. » Elle finit par décrocher et ne figurera pas dans la
distribution des prix post-électorale.
Jonathan Jahan est « la vraie vie derrière la petite
phrase "Je traverse la rue, je vous en trouve du travail" ». Sa
vision de l’Élysée n’a rien de confidentiel : elle se limite à une visite,
un jour de portes ouvertes en septembre 2018. Impitoyablement, les auteurs
reproduisent l’intégralité du récit qu’il a posté sur Facebook : « comme
vous laver surement remarquer hier je suis passer à la télévision… ». D’abord
satisfait de l’aventure, il est retourné par les commentaires qui l’assaillent :
« c’est comme s’il m’avait donné une claque ». Il a traversé la rue
mais continue de galérer.
Le confidentiel vrai de vrai vient de Patrick de Perglas,
alias Gépy, Gilet jaune qui a obtenu un entretien à l’usure. Il veut prévenir
le président de faire attention, car une révolution va avoir lieu. « J’ai
trouvé l’homme extraordinaire, attentionné », dit-il. « M. le
président n’a pas bouleversé mon comportement, c’est moi, je pense, qui ai
bouleversé le comportement de M. le président de la République. » Il a une autre révélation, encore plus sensationnelle : « Le président n’est qu’une marionnette. Il
est dirigé par d’autres personnes. »
L’urgentiste vedette Patrick Pelloux, en revanche, ne révèle
rien du tout. Il figure dans le livre en réalité parce qu’il n’a rien à dire. Malgré
l’épidémie de covid-19, il N’A PAS rencontré Emmanuel Macron. Mais il a échangé
des messages aimables avec Brigitte Macron.
Laurence Benhamou, enfin, représente l’Agence France Presse
à l’Élysée. Un poste privilégié ? Pas si sûr : en quatre ans, elle n’a
jamais eu une vraie conversation avec Emmanuel Macron. En cas de
mauvaise humeur, dit-elle, il ne faut pas attendre de lui des petites phrases mais des
phrases toutes faites : « Ce ne sont pas les journalistes qui m’intéressent,
ce sont les Français », etc. Car Emmanuel Macron n’aime pas les journalistes.
Il a voulu supprimer la salle de presse de l’Élysée, les oblige à fonctionner
en pool et les pousse en marge en communiquant en direct sur les réseaux
sociaux.
Malgré quelques longues digressions, par exemple sur
l’attaque d’un bâtiment ministériel par les Gilets jaunes en 2019 (trois pages), l'itinéraire de Jonathan Jahan entre Beaune-la-Rolande et l’Élysée ou les températures enregistrées pendant la canicule de 2003, ce livre souvent féroce, ponctué de photos
originales, jette des éclairages vifs sur Emmanuel Macron. Dire qu’il en dresse LE portrait serait excessif. Il fonctionne plutôt à la manière d'un kaléidoscope, comme
si le président était plusieurs personnages en même temps. Là est peut-être
la vraie confidence.
Michel Le Séac’h
Élysée confidentiel, une enquête d’Eliot Blondet et Paul Larrouturou, Paris, Flammarion, 2021. 240 pages, 22,90 €. ISBN :
9782080245717.