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05 janvier 2022

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » : Emmanuel Macron perd-il ses nerfs ?

 Le consensus médiatique est clair : « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » est une petite phrase. La locution est employée entre autres par France Culture, Francetvinfo, le Huffington Post, Le Midi libre, France Inter, BFM TV, La Dépêche, Sud Radio, Le Point et jusqu’au Parisien lui-même, celui par qui le scandale est venu.

Cet « emmerder » n’est pas une simple provocation, c’est une politique délibérée, souligne Emmanuel Macron lui-même, répondant aux questions des lecteurs du Parisien : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. » Et il énumère les emmerdements : « Vous n’aurez plus le droit d’aller au restau, vous n’aurez plus le droit de prendre un canon, etc. »

Bien entendu, ces propos déclenchent un tollé dans les médias, les réseaux sociaux et les milieux politiques. Et aussi beaucoup de perplexité. Trois semaines plus tôt, dans son entretien avec TF1 et LCI, le chef de l’État avait assuré regretter ses petites phrases. « Les petites phrases ont disparu de ses interventions depuis de nombreux mois », notait d’ailleurs Grégoire Poussielgue dans Les Échos le 16 décembre 2021. 

Les commentateurs se perdent en conjectures. Les partisans du président de la République cherchent à les orienter vers le mot « emmerder ». Ils tentent un rapprochement avec « Arrêtez d’emmerder les Français », qui est probablement la petite phrase la plus connue du président Pompidou. Les emmerdements prendraient fin si tout le monde était vacciné, donc les non-vaccinés sont des emmerdeurs…

Le glissement sémantique est trop visible pour être efficace. Emmanuel Macron n’appelle pas à cesser d’emmerder les Français, au contraire : il est déterminé à emmerder certains d’entre eux. Ou même à leur dénier la qualité de Français puisqu’il ajoute : « Un irresponsable n’est plus un citoyen » -- déclaration qui n’est pas sans problème dans la bouche du gardien de la Constitution.

Les non-vaccinés ne sont que 10 % de la population. Cherche-t-on à en faire des boucs émissaires ? À attaquer une minorité pour se concilier la majorité, grand classique de la propagande politique ? On a peine à croire qu’Emmanuel Macron pourrait suivre une stratégie d’une faiblesse aussi évidente. Tous les vaccinés sont d’anciens non-vaccinés (voire de futurs non-vaccinés s'ils tardent à se faire injecter la Nième dose obligatoire). Une partie d’entre eux n’ont sauté le pas, justement, que dans l’espoir, en partie déçu, d’éviter les emmerdements. Ils peuvent conserver un certain degré de sympathie pour les non-vaccinés. Dans un pays occupé, si 90 % de la population se tient tranquille, cela ne signifie pas qu’elle est hostile aux 10 % qui résistent. D’ailleurs, le constat est clair : toutes les composantes de l’opposition s’indignent bruyamment. Elles savent bien que les propos du président heurtent la majorité des Français et pas seulement les 10 % de non-vaccinés.

Emmanuel Macron coutumier du fait ?

Faut-il vraiment chercher des hypothèses compliquées ? L’explication pourrait résider en Emmanuel Macron lui-même. Ce ne serait pas la première fois que, sous la pression, il perd ses nerfs. Et il ne serait pas le seul : on a noté la fureur du Premier ministre Jean Castex face à une Assemblée nationale qui retardait le débat sur le passe vaccinal.

On se souvient par exemple de sa sortie du 6 juillet 2015. Il était reçu non par Le Parisien mais par La Provence. Répondant à l’appel du parti Syriza, les électeurs grecs venaient de rejeter par référendum le projet d’accord sur leur dette nationale proposé par l’Union européenne, la BCE et FMI. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, s’était beaucoup investi dans le projet (il voulait éviter de faire « le traité de Versailles de la zone euro »). Ulcéré par le Non grec, il avait lancé : « Le Front national est une forme de Syriza à la française ». C’était apparemment la pire insulte qui lui était venue à l’esprit. La gauche française, pas moins ulcérée, était monté au créneau : qui oserait comparer Syriza (l'acronyme signifie « Coalition de la gauche radicale-Alliance progressiste ») à l’extrême-droite ? Emmanuel Macron, fait rare, avait aussitôt battu en retraite avec un tweet apaisant : « Aucune confusion possible entre le FN et Syriza, issu de la gauche grecque ».

Quand il intervient à brûle-pourpoint et que l’ambiance est un peu chaude, Emmanuel Macron ne maîtrise pas toujours ses paroles. Ainsi lui doit-on :

  • « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler » (2016)
  • « Il y a des gens qui râlent pour tout, donc râlez » (2017)
  • « Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes » (2017)
  • « S’ils veulent un responsable, qu’ils viennent me chercher » (2018)
  • « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député » (2019)
  • « Vous avez fait le Kamasutra de l'ensauvagement, depuis quinze jours, tous ensemble. Donc je vous laisse à votre Kamasutra » (2020)

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » pourrait bien appartenir à la même veine. Aux psychologues d’expliquer ce qu’il faut bien considérer comme un travers (serait-ce une manifestation de frustration infantile ?). Mais le constat immédiat pourrait être : Emmanuel Macron reste tel qu’en lui-même.

Michel Le Séac’h

P.S. Sur ce sujet, on peut consulter l'entretien de Guillaume Echelard avec Damien Deias paru dans Challenges.