Manuel Valls doit annoncer ce soir sa candidature à la
présidence de la République. Dans sa déclaration on cherchera « la » petite phrase. La sortie soupesée pour une entrée en campagne,
qui fera les titres et les tweets des heures suivantes. Car Manuel Valls est un
virtuose des petites phrases, il en joue comme Mme Valls de son archet. Il
connaît la puissance de ces « formules concises qui sous des dehors
anodins visent à marquer les esprits », pour reprendre l’excellente
définition de l’Académie française.
Avant même les phrases, Manuel Valls s’intéresse aux mots.
Il a préconisé en juin 2009 de changer le nom de son parti, « car
le mot socialisme est sans doute dépassé » ‑‑ et à partir d’un
seul mot voilà déjà une petite phrase. Peu de politiques oseraient manier comme
lui les mots apartheid (« il
y a un apartheid territorial, social, ethnique qui s’est imposé à notre
pays »), guerre (« le
FN peut conduire à la guerre civile »), antisionisme (« l’antisionisme,
c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine
d’Israël »).
Ses discours officiels comportent souvent une phrase
destinée à être reprise par les médias et les réseaux sociaux. Son premier
discours de politique générale, après sa nomination à Matignon en 2014,
commençait ainsi : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance,
telle est la situation de la France ». La triple rime était
habile : les sciences cognitives ont montré que les rimes donnent un
sentiment de vérité. En l’occurrence trop habile, peut-être : quatorze
mots étaient déjà trop pour faire un titre. Raccourcie à « Trop de
souffrance, pas assez d’espérance » dans le titre d’une dépêche AFP,
la phrase a souvent été reproduite dans cette version croupion.
Petite phrase en attaque ou en défense
Manuel Valls sait aussi qu’une phrase sans malice peut
devenir une petite phrase proprio motu[1]
– le plus souvent défavorable à son auteur – y compris sur les thèmes les plus
inattendus. Il a éprouvé lui-même le phénomène au mois de mars 2016 après avoir
déclaré sur RTL que « les conditions ne sont pas réunies pour que Karim
Benzema revienne en équipe de France ». Cette opinion avait soulevé la
fureur de l’intéressé et un certain émoi chez les passionnés de football. Il
avait fait de son mieux pour la déminer quelques jours plus tard sur Stade 2
(on note le choix d’une émission sportive pour éviter d’élargir le débat) en
déclarant : «Je ne veux absolument pas polémiquer avec Benzema. C'est
par ailleurs un formidable footballeur». Lors de la même émission, il avait
aussi cherché à faire oublier sa première petite phrase par une seconde,
positive : « L’Euro
2016 doit se tenir et il va se tenir ».
Manuel Valls apprécie aussi les petites phrases chez les
autres. Dans Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche
(2008), il a dit son admiration pour Clemenceau, grand spécialiste des formules
qui font mouche. De Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, il a cité dans un
discours officiel : « le Code du travail se veut protecteur et
rassurant, il est devenu obscur et inquiétant ». Et il sait qu’il faut
parfois intervenir, au cas où une phrase menacerait de devenir trop marquante.
Ce fut le cas fin janvier 2016. Christiane Taubira venait de démissionner en
lançant : « Parfois résister c’est partir », formule
reprise à l’envi par la presse et les médias sociaux. Dès le lendemain,
profitant d’une réception de la presse, Manuel Valls avait répliqué : « Résister
aujourd’hui, ça n’est pas proclamer, ça n’est pas faire des discours, résister
c’est se confronter à la réalité du pays ».
Une petite phrase pour l’appareil ou pour l’opinion ?
D’après les moteurs de recherche, Manuel Valls est le
troisième homme politique français le plus souvent associé à l’expression
« petite phrase », derrière les deux derniers présidents de la
République. Nul n’illustre mieux que lui la différence entre langue de bois et
petite phrase : ses formules ne sont pas destinées à être aussitôt
oubliées, elles visent à marquer les esprits. Plus d’une fois, il a heurté les
adhérents de son parti avec des formules comme « la
gauche peut mourir », « je
suis contre l’instauration de quotas de migrants », « la
TVA sociale est une mesure de gauche » ou « nous devons
déverrouiller les 35 heures ». Délibérément. Jouer l’opinion contre
l’appareil socialiste, c’est ce que deux biographes appellent la « méthode
vallsiste »[2]. Ils
citent ainsi Manuel Valls : « Le jeu médiatique a une fonction
d’existence. Exister, c’est un bouclier. Ça vous protège. Si vous n’êtes pas
fort dans l’appareil, il faut être fort dans les médias. J’ai donc bâti une
construction dans l’opinion. »
Cette méthode est-elle valable pour une élection primaire ? Là, il
s’agit de satisfaire les électeurs socialistes et sympathisants. Or la
proportion des « durs » a progressé dans le parti tandis que les
modérés s’en détournaient. Il est vrai aussi que la proportion relative des élus et de
leurs entourages qui ont des postes à défendre s’est aussi accrue – et ceux-là
devraient être plus enclins à suivre un candidat qui « joue
l’opinion », si cela peut sauver l’appareil. Laquelle de ces deux logiques
Manuel Valls aura-t-il choisie ? La petite phrase phare de sa déclaration
de ce soir devrait en dire beaucoup sur la stratégie retenue.
Michel Le Séac'h
[1] Mais parfois
avec l’aide de certains médias. En l’occurrence, la petite phrase de Manuel
Valls avait été reprise par l’AFP dans un titre de dépêche.
[2] David
Revault d’Allonnes et Laurent Borredon, Valls à l’intérieur, Robert
Laffont, 2014.
Photo : [c] Claude
Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
Note d’après discours : Finalement, Manuel Valls n’a
pas vraiment choisi ! Sa petite phrase, sur laquelle il a conclu sa
déclaration de candidature, n’est autre que le slogan qu’on pouvait lire dès la
première seconde sur son pupitre : « Faire gagner tout ce qui nous
rassemble ». Habitué des formules clivantes, il change de personnage
pour devenir consensuel. Cette mutation suffit-elle à susciter l’émotion et
marquer les esprits ? On peut en douter. À ce discours, il manquait
quelque chose. Même les meilleurs communicants ont parfois des passages à vide
– mais le moment, en l’occurrence, était malencontreux. À défaut de texte,
Manuel Valls a-t-il soigné l’image, nouant sa cravate de travers en signe de
continuité avec le président de la République ? On note aussi que les
« minorités visibles » formaient environ un tiers de la brigade d’acclamations
réunie autour de Manuel Valls. Mais peut-être était-elle simplement représentative
de la population d’Évry et non porteuse de quelque message politique. (Illustration : copie partielle d'un écran BFM TV)
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