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11 janvier 2022

Ouest-France veut ignorer les petites phrases qui choquent, mais…

François-Xavier Lefranc a adressé hier une lettre aux lecteurs de Ouest-France. Le rédacteur en chef du  premier quotidien francophone du monde ‑ plus de 600 000 exemplaires quotidiens ‑ y explique comment le journal couvrira la campagne présidentielle de 2022 « Nous sommes bien décidés à ne pas nous disperser et à rester concentrés sur l’essentiel », assure-t-il : « ce que les citoyennes et les citoyens ont à dire. L’essentiel, ce sont aussi des principes sur lequel nous ne transigerons pas. »

Quels principes ? Le premier est « l’indépendance », le deuxième « l’attention permanente à toutes et tous ». Et François-Xavier Lefranc explique : « Nous ne nous laisserons pas détourner par les polémiques faciles et savamment organisées, les petites phrases qui choquent parce que tout cela nous détourne des vrais sujets et des problèmes réels ».

Pour les divertir, Ouest-France propose néanmoins à ses lecteurs un quiz sur les « petites phrases de présidents qui ont pimenté la vie politique française ». On y trouve, par exemple, « les Français sont des veaux », du général de Gaulle, ou « vous n’êtes pas l’homme du passé mais l’homme du passif », pique de Mitterrand à Giscard. Les deux formules figurent en même temps dans la liste de « belles phrases profondes » également présente sur le site web du quotidien.

Quant à « j’ai très envie d’emmerder les non-vaccinés », cette petite phrase patentée a évidemment tenu une bonne place dans les colonnes du journal ces derniers jours.

Ouest-France n’est pas une exception. Les « petites phrases qui choquent » et qui détournent des vrais sujets, mais qui sont quand même là, constituent un grand classique. « C'est triste, mais c'est ainsi », s’affligeait ainsi Éric Le Boucher dans Les Échos à propos d’Emmanuel Macron : « la petite phrase sur les "Gaulois" ou le dialogue avec un jeune chômeur occupent bien plus d'espace médiatique que des sujets majeurs sur la santé, la pauvreté ou l'école[i]»

Les attentes des citoyens-lecteurs

Personne ne songerait à ne pas le déplorer. Pourtant, on ne peut écarter d’emblée une hypothèse élémentaire : en mettant en valeur les petites phrases, la presse se plie tout simplement aux préférences des citoyens-lecteurs. Peut-être ceux-ci désirent-ils élire des personnes plutôt que des programmes, dans le fond. Avec les petites phrases, la presse campe en quelques mots le caractère des candidats. À propos, Ouest-France ne propose pas de quiz sur le contenu des programmes électoraux.

Les petites phrases sont souvent négatives, c’est vrai. Se pourrait-il que les citoyens comptent sur la baston entre candidats qui sollicitent leurs suffrages ? Et que le caractère même de ces candidats les y porte ? « On doit s’attendre à ce que les médias insistent sur les informations négatives en partie parce que c’est leur métier », constatent Soroka et McAdams[ii]. « Et puis, journalistes et rédacteurs en chef sont aussi humains, après tout, et obéissent aux mêmes tendances que leur public. »

Bien entendu, la presse écrite n’est pas seule sujette à ce paradoxe. On l’a vu à propos de TF1, les médias audiovisuels et électroniques sont très capables d’expulser les petites phrases par la porte tout en les laissant rentrer par la fenêtre. On verra bien si Ouest-France parvient à tenir en 2022 ses résolutions de début d’année. Les petites phrases sont des faits de communication, et les faits sont têtus.

Michel Le Séac’h


[i] Éric Le Boucher, « Juger Macron sur le fond, pas sur la forme », Les Échos, 21 septembre 2018, https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/juger-macron-sur-le-fond-pas-sur-la-forme-139617, consulté le 18 septembre 2021.
[ii] Stuart Soroka et Stephen McAdams, « News, Politics and Negativity », Political Communication, vol. 32, n° 1, 2015, p. 1-22, https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10584609.2014.881942