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01 janvier 2022

Emmanuel Macron a-t-il annoncé qu’il ne serait pas candidat à sa réélection en 2022 ?

Des vœux du président de la République pour 2022, les médias retiennent surtout un message positif : « Je suis résolument optimiste »… Mais certains notent une tonalité en demi-teinte, un manque général de dynamisme : le président ne semble pas à l’offensive.

Ils remarquent aussi une déclaration un peu étrange. Après avoir rappelé que 2022 serait une année électorale, Emmanuel Macron ajoute : « Pour ma part, quelles que soient ma place et les circonstances, je continuerai à vous servir. Et de la France, notre patrie, nul ne saura déraciner mon cœur. »

La Montagne qualifie ce passage de « petite phrase-clé », et la plupart des médias s’interrogent sur sa signification. Sans guère s’y attarder en général. Pourtant, il y aurait beaucoup à en dire.

Tout au long de son allocution, Emmanuel Macron distingue nettement ce qui est collectif et ce qui est personnel. Il entretient un dialogue entre la première personne du singulier :

J’ai avant tout une pensée pour nos 123 000 compatriotes à qui le virus a enlevé la vie... Je n’oublie pas non plus ceux d’entre vous qui sont touchés par le COVID long… Je veux ce soir, une fois encore, en votre nom à tous, témoigner notre reconnaissance pour nos personnels soignants…

et la première personne du pluriel :

Nous aurons à prendre de nouvelles décisions pour lutter contre l’islamisme radical… Nous aurons à prendre de nouveaux choix industriels… Nous aurons à élire au printemps prochain le Président de la République…

Quand il dit « je continuerai à vous servir », il s’exprime à titre personnel, non en tant que président de la République. Et « quelle que soit ma place » ne peut guère signifier autre chose que : si je ne suis plus président. La presse y voit une clause purement rhétorique, certainement pas la marque d’une hésitation. « Son intention de briguer un nouveau mandat ne fait guère de doute », écrit par exemple Alexandre Lemarié dans Le Monde.

On imagine que les vœux du président ont été lus et relus par ses communicants. Or, c’est un principe de base, un candidat ou un presque-candidat à une élection n’évoque jamais la possibilité d’être battu. Il évoque à la rigueur la catastrophe que serait l’élection d’un autre – mais il en parle au conditionnel. Il y a quelque chose d’étrange dans la formule d’Emmanuel Macron.

Et l’étrangeté de ce « quelle que soit ma place » est encore accrue par la phrase qui le suit : « Et de la France, notre patrie, nul ne saura déraciner mon cœur. » Déjà bizarre en soi, elle devient plus troublante encore si l’on considère son origine. Comme le notent Charlotte Chaffanjon et Lilian Alemagna dans Libération, elle est empruntée à L’Étrange défaite de Marc Bloch ! Ce livre écrit en 1940 n’est pas exactement la référence qu’on attendrait d’un candidat qui se prépare à gagner une élection.

Qui plus est, la citation n’est pas reproduite exactement. Voici le passage en question :

la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd’hui et peut-être (qui sait ?) y réussiront, demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux.

Dans ces lignes aux accents zemmouriens, on lit bien : « je ne saurais déraciner mon cœur » et pas « nul ne saura déraciner mon cœur ». Emmanuel Macron déforme donc le propos de Marc Bloch. Une simple étourderie ? C’est très peu probable. Il a lui-même cité la phrase de l’historien dans sa forme exacte. C’était il n’y a pas si longtemps, le 4 septembre 2020, au Panthéon, lors du 150e anniversaire de la proclamation de la République. Là encore, si la mémoire lui avait manqué, ses communicants auraient rectifié le tir.

Assurément, cette partie des  vœux présidentiels contient un message subliminal. Lequel ? Sans s’égarer en conjectures, il faut rappeler qu’Emmanuel Macron a déjà évoqué l’hypothèse de sa non-candidature en 2022. Et même deux fois plutôt qu’une.

  • Le 4 décembre 2020, dans un entretien avec Brut, interrogé sur l’élection de 2022, il répond : « Parce que les circonstances l'exigeront, peut-être que je devrai faire des choses dures dans la dernière année […], qui rendront impossible le fait que je sois candidat. »
  • Le 15 décembre 2021, reçu par TF1 et LCI, il refuse de dire s’il sera candidat à un second mandat en 2022. « Au moment où nous nous parlons je dois encore prendre des décisions difficiles », explique-t-il. Et il ajoute : « Je ne suis pas là pour conserver le pouvoir […], il y a une vie avant et une vie après. »

À quelles « choses dures », à quelles « décisions difficiles » Emmanuel Macron pouvait-il penser ? En comparaison de la réforme des retraites, du rétablissement des comptes publics ravagés par le « quoi qu’il en coûte », des mesures à prendre face au réchauffement climatique, des perspectives migratoires, de la lutte contre le séparatisme islamique, etc., la crise sanitaire apparaîtra demain comme un parcours de santé… Nul n’est mieux placé que lui pour s’en apercevoir. Il n’est probablement pas du genre à fuir ses responsabilités. Mais il n’a qu’une vie, et il n’en a peut-être pas assez épuisé les plaisirs pour, à 44 ans, faire don de sa personne à la France.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie partielle d'écran, site elysee.fr, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/12/31/voeux-2022-aux-francais