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04 décembre 2021

« Impossible n’est pas français », de la petite phrase au slogan, en passant par le dicton

Le slogan de campagne choisi par Éric Zemmour est donc « Impossible n’est pas français ». Un mot de Napoléon Bonaparte, lit-on partout, par exemple chez  RTL, LCI, Valeurs Actuelles, etc. Certain, tels Le Parisien émettent cependant une réserve : cette attribution n’est pas confirmée.

La phrase aurait notamment été rapportée par Balzac en 1838. Ce qui ne vaut pas preuve. « Napoléon, sous la plume de Balzac, est l’un des exemples de tout ce que la littérature a transformé en mythes », assure Pierre Brunel(1). La formule rencontre en tout cas un grand succès depuis le milieu du 19e siècle, révèle le Books Ngram Viewer de Google. On note un pic énorme en 1914-1918 et un net retour de faveur à partir de 2000. Elle est citée le plus souvent comme un dicton et n’est attribuée qu’occasionnellement à Napoléon.


Mais le graphique ci-dessus révèle aussi de rares occurrences dans les livres en français avant la fin du 18e  siècle, donc avant Napoléon. Sous quelle plume ? Google Recherche de livres ne la désigne pas. Stanislas de Boufflers (1738-1815) pourrait être un suspect crédible. Militaire et académicien, il a été un auteur prolifique, dans des genres divers, au cours du dernier tiers du 18e siècle. Au détour d’une chronique dans L’Ouvrier(2), Henry de Riancey écrit : « Malgré le mot charmant du chevalier de Boufflers : "impossible n'est pas français," je me dois incliner devant le vieux proverbe : "à l'impossible nul n'est tenu". »

Quant à Napoléon, cependant, au moins trois témoins de première main se sont exprimés avant Balzac :

  • Dans le Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases raconte une promenade de Napoléon : « Sur les cinq heures l'Empereur est sorti en calèche (…) Comme nous rentrions, jetant les yeux sur le camp, dont nous n'étions séparés que par le ravin, il a demandé pourquoi on ne pouvait pas franchir cet espace qui doublerait notre promenade. On a répondu que c'était impossible, et nous continuions de rentrer ; mais comme réveillé tout-à-coup par ce mot impossible, qu'il a si souvent dit n'être pas français il a ordonné d'aller reconnaître le terrain. »
  • Dans ses Mémoires (1824), Joseph Fouché, duc d'Otrante et ministre de la Police, rapporte une prise de bec avec Napoléon : « On proposa, pour ramener la Russie, des intrigues de courtisans et de femmes galantes ; ce choix de moyens me parut ridicule, et je dis, dans le conseil, que le succès en était impossible. "Quoi, reprit l'empereur, c'est un vétéran de la révolution qui emprunte une explication si pusillanime ! Ah monsieur ! est-ce à vous d'avancer qu'il est quelque chose d'impossible ! à vous qui, depuis quinze ans, avez vu se réaliser des événemens qui, avec raison, pouvaient être jugés impossibles ? L'homme qui a vu Louis XVI baisser sa tête sous le fer d'un bourreau ; qui a vu l'archiduchesse d'Autriche, reine de France, raccommoder ses bas et ses souliers en attendant l'échafaud ; celui enfin qui se voit ministre quand je suis empereur des Français, un tel homme devrait n'avoir jamais le mot impossible à la bouche." [...] Je lui répondis, sans me déconcerter : "En effet, j'aurais dû me rappeler que Votre Majesté nous a appris que le mot impossible n'est pas français." »
  • Dans ses Mémoires (1837), Armand de Caulaincourt, duc de Vicence, décrit ainsi Napoléon : « L'Empereur ne m'a paru, dans aucune circonstance, au-dessous de sa gigantesque position. Son génie, sa capacité, ses immenses moyens intellectuels dominaient les faits prodigieux de son règne ; et lorsqu'il disait que le mot "impossible" n'était pas français, c'est qu'en effet il ne le comprenait pas. »

Le doute n’est donc pas permis : « impossible n’est pas français » était bien une expression familière de Napoléon.

Michel Le Séac’h

(1) Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, Éditions du Rocher, 1988.

(2) Henry de Riancey, « L’Ouvrier à l’Exposition de 1867, XIII. Les douze grandes récompenses », L'Ouvrier, n° 338, 19 octobre 1867


07 mai 2021

« De l’Empire nous avons renoncé au pire… » : la rime Macron/Napoléon n’est pas très riche

« De l’Empire nous avons renoncé au pire, de l’Empereur nous avons embelli le meilleur », a déclaré Emmanuel Macron le 5 mai, pour le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier.

Le président de la République savait que son discours à l’Institut de France serait scruté avec une extrême attention. Qu’on chercherait, pas forcément avec des intentions favorables, à y distinguer une petite phrase résumant l’ensemble.

Les petites phrases d’Emmanuel Macron se partagent entre trois catégories.

  • Les formules malheureuses, les gaffes en somme, qui lui ont construit une image déplorable (exemples : le « pognon dingue » ou les « Gaulois réfractaires »).
  • Les considérations politiques personnelles à l’emporte-pièce, comme des réflexions à haute voix (exemple : « le libéralisme est une valeur de gauche »).
  • Les phrases fabriquées pour être reprises par la presse afin de diffuser un message calibré, que le marketing politique appelle traditionnellement sound bites.

Chez la plupart des dirigeants politiques, un discours solennel est l’occasion d’un sound bite. Mais le président de la République n’a jamais paru à l’aise dans cet exercice. Lors de l’annonce de sa candidature, déjà, en novembre 2016, il était complètement passé à côté de l’occasion. C’était pourtant le moment ou jamais de commencer à se bâtir une stature présidentielle. N’y avait-il donc chez En Marche personne qui fût capable de lui expliquer le principe ?

Un soupçon de créativité

Faute de mieux, la presse avait surtout retenu cette phrase : « Je suis candidat à la présidence de la République ». Pas faux, mais c’était quand même le degré zéro de la communication politique. Nouvelle pour Emmanuel Macron, cette proclamation avait été entendue par les Français dans bien d’autres bouches.

Par la suite, hormis « Make our planet great again », les petites phrases des grandes occasions présidentielles n’ont jamais été très créatives. Emmanuel Macron a même fait dans le plagiat pur et simple avec « Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays », pour ses vœux du 1er janvier 2018. Une formule presque directement empruntée au président Kennedy. « L’art d’être français », « quoi qu’il en coûte » ou « nous sommes en guerre » n’étaient pas non plus d’une grande originalité, sinon par leur présence multiple au sein d’un même discours.

Par contraste, « de l’Empire nous avons renoncé au pire, de l’Empereur nous avons embelli le meilleur » semble le produit d’un effort d’imagination. Cette petite phrase bénéficie à la fois d’un doublement (l’Empire/l’Empereur) et de deux rimes internes (Empire/pire et Empereur/meilleur), deux dispositifs dont la puissance évocatrice est connue depuis l’Antiquité.

Une phrase trop retouchée ?

Ni sa prosodie ni sa métrique ne sont optimales, pourtant. On dirait qu’elle a été travaillée, discutée, soupesée et que cette moulinette critique l’a affaiblie. Une formule au présent, avec des verbes d’action, du genre « de l’Empereur nous gardons le meilleur, de l’Empire nous rejetons le pire », aurait eu plus de force. Quant au fond, elle ne signifie pas grand chose. Empire/pire tient plus du calembour que de la rime. Et qui peut se représenter en quoi consiste « embellir le meilleur de l’Empereur » ?

Pourtant, il ne fait aucun doute que ce passage était LA petite phrase du discours. On l’avait même annoncée à l’avance. Le Monde du 29 avril[1] la mettait dans la bouche d’un « proche de M. Macron » sous la forme : « Nous regardons Napoléon en face ; la République embellit le meilleur de l’Empereur et s’est séparée du pire de l’Empire » (la différence avec la phrase réellement prononcée permet de se faire une idée des débats préparatoires). Le Canard enchaîné avait repris cette formulation quelques heures avant le discours.

Le site de l’Élysée confirme le caractère central de la phrase. Il la cite dans une courte introduction au texte intégral du discours, et la commente ainsi : « avec cette commémoration, le Président regarde l'histoire en face ». On est bien dans la mécanique du sound bite à l’américaine[2] mais les communicants présidentiels n’ont pas l’efficacité des spin doctors d’outre-Atlantique.

Michel Le Séac’h

Illustration : statue équestre de Napoléon par Vital-Dubray, Rouen ; photo Frédéric Bisson via Flickr, licence CC BY 2.0


[1] Olivier Faye, « L’Elysée veut honorer Napoléon ‘’de manière équilibrée’’ », Le Monde, 29 avril 2021.

[2] Voir David Colon, Propagande – La manipulation de masse dans le monde contemporain, Paris, 2019/édition Champs Flammarion, 2021, p. 167.

28 novembre 2016

La petite phrase n’attend pas le nombre des années

Avis aux jeunes hommes politiques ambitieux : il n’est pas nécessaire de parvenir aux plus hautes responsabilités avant de prononcer des petites phrases impérissables.

Certes, une petite phrase ne se diffuse et n’est retenue par le public que si elle répond à certaines conditions. Celles-ci tiennent entre autres à son contexte. Et l’un des éléments majeurs du contexte est la personnalité de son auteur. Mais cette personnalité peut s’affirmer a posteriori. Il n’est pas indispensable d’être déjà très puissant ou très célèbre au jour de la petite phrase. Voici quelques exemples de petites phrases devenues des citations historiques et parvenues jusqu’à nous.

  • Jésus avait 33 ans quand il a dit « Rendez à César ce qui est à César »[i]. Il dirigeait une petite
    secte minoritaire et contestée dans une province reculée de l’empire romain. Moins d’une semaine plus tard, il serait condamné à mort et exécuté.
  • Henri IV avait 36 ans quand il a dit « Ralliez-vous à mon panache blanc »[ii]. Il avait été désigné par Henri III comme son successeur neuf mois plus tôt mais la Ligue contestait sa légitimité par les armes avec le soutien de l’Espagne. Il lui faudra des années pour en venir à bout et se faire sacrer roi.
  • Louis XIV avait 17 ans quand il a dit « L’État c’est moi »[iii]. Couronné depuis une douzaine d’années déjà, il venait de voir son trône ébranlé par la Fronde et la situation du royaume était mauvaise. Surtout, il était sous la tutelle effective du cardinal Mazarin.
  • Louis Antoine de Saint-Just avait 26 ans quand il a dit « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »[iv]. Élu au Comité de salut public, il n’avait guère d’autre titre à faire valoir que sa ferveur révolutionnaire. Quelques mois plus tard, au 9 thermidor, elle lui coûterait sa tête.
  • Bonaparte avait 28 ans quand il a dit « Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ». Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, sans doute, mais il n’était encore que commandant de l’armée française d’Orient dans une Première république où une carrière était à la merci d’un coup de sabre.
  • Martin Luther King avait 33 ans quand il a dit « I have a dream »[v]. Jeune pasteur baptiste remarqué pour son militantisme en faveur des droits civiques, il avait le soutien du président John F. Kennedy, mais ce dernier allait être assassiné moins de trois mois plus tard.
  • Valéry Giscard d’Estaing avait 48 ans quand il a dit « Vous n’avez pas le monopole du cœur »[vi]. Il était ministre de l’Économie et candidat à la présidence de la République, mais quinze jours plus tôt encore, rares étaient ceux qui lui donnaient une chance face à François Mitterrand et Jacques Chaban-Delmas.

Michel Le Séac'h


[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 64.
[ii] Idem, p. 29.
[iii] Ibid., p. 43.
[iv] Ibid., p. 62.
[v] Ibid., p. 115.
[vi] Ibid., p. 109.

Illustration : Jésus chassant les marchands du temple (extrait) par Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, musée des Beaux-arts de Rennes, domaine public via Wikimedia