Les files d’acheteurs s’allongent devant les librairies où Nicolas Sarkozy signe Le Journal d’un prisonnier, son livre tout juste sorti des presses. Sur le plan financier du moins, ses vingt et un jours de prison s’annoncent fructueux. En ira-t-il de même sur le plan politique ?
L’étude des
livres politiques forme une branche des sciences politiques bien particulière
et un peu méconnue, a noté le professeur Christian Le Bart, qui en est le spécialiste
incontesté[1] :
Du point de vue littéraire, il est acquis que
la prose des politiques est médiocre […]. Ainsi les critiques littéraires
n’accordent-ils aucune attention aux livres politiques, ces derniers étant commentés
par les journalistes politiques. Est- ce à dire que ces livres sont mieux
accueillis dans le champ politique ? Rien n’est moins sûr. Les journalistes
politiques tirent aujourd’hui leur légitimité de leur capacité à nourrir un
regard distancié, critique, sur l’activité des professionnels de la politique.
Il n’est pas question pour eux de se laisser enfermer dans le rôle du lecteur
docile […]. Doublement déconsidérés, les livres politiques retiennent également
peu l’attention des chercheurs en sciences sociales et en science politique.
Pourtant, la
production de livres politiques demeure abondante depuis les années 1980. « Face à un électorat que
l'on dit pressé, peu politisé, obsédé par les petites phrases et l'art de bien
passer à la télévision, éditeurs et politiques jouent tout au contraire la
carte (désuète ?) de l'écriture », note le professeur Le Bart[2].
Le livre, antagoniste des petites phrases ? Ce n’est pas sûr du tout.
Bien entendu, 200 pages d'exposé politique n’ont rien à voir avec une petite phrase. Mais quel que soit son succès de librairie, un livre politique ne touche qu’une partie minuscule de l’électorat. À supposer que tous ses acheteurs le lisent, un bestseller vendu à 100 000 exemplaires, score exceptionnel, n’est lu que par 0,2 % du corps électoral. Son titre, en revanche, est connu beaucoup plus largement. Il est destiné non aux seuls lecteurs mais à l’ensemble du public.
En
tant qu’outil de communication politique, le livre joue ainsi sur deux
registres fort différents (voire davantage : on pourrait distinguer aussi
la quatrième de couverture, les communiqués de l’éditeur, les apparitions de l’auteur
à la radio ou à la télévision…). À l’instar d’une petite phrase, le titre est
une « microrhétorique » :
sa partie visible, son logos, doit s’accorder avec l’ethos de l’auteur
et avec le pathos d’une partie au moins de l’électorat.
L’ethos
est dans le titre
D’une
manière générale, quel que soit le contenu du livre politique (souvenirs, propositions,
plaidoyer, critique, voire étude historique, économique, sociale, culturelle,
etc.) sa première mission est certainement de construire l’ethos de son auteur.
« Le livre occupe une place stratégique dans les carrières politiques »
et « il se joue dans ce type de document des enjeux de construction d’un
certain ethos », confirme Alice Krieg-Planque[3].
Or, de ce point de vue, la simple existence du livre est déjà capitale : « publier
est à la fois l'indice et la condition d'acquisition d'un statut de
présidentiable », souligne le professeur Le Bart. L’existence d’un titre,
déjà, atteste la publication – et elle raconte le début d’une histoire.
Certains titres portent plus que d’autres. Emmanuel Faux, Thomas Legrand
et Gilles Perez ont décrit en détail le cas du petit ouvrage rédigé par
François Mitterrand avant l’élection présidentielle de 1988 : « lorsque
paraît la Lettre à tous les Français, le Président-candidat n’accouche
pas d’un texte, il installe une image […] celle d’un Mitterrand-écrivain de
toujours qui […] s’est changé, selon le titre d’un article de presse, en Balzac
élyséen pour les besoins de la compétition électorale du moment »[4].
Son principal adversaire, Jacques Chirac, serait bien en peine de répliquer sur
ce terrain qualitatif. Lequel n’est pas synonyme de distanciation puisque le
concept de « lettre » évoque la proximité avec les électeurs et non un
exposé programmatique. Un commentaire de Libération cité par les trois
auteurs souligne la parfaite association du logos, de l’ethos et
du pathos : « cette
Lettre fera date dans l’histoire de la communication », non pour des
raisons de fond, mais parce qu’elle constitue « un rendez vous personnel quasi contractuel entre le
candidat et 38 millions d’électeurs ».
À
l’inverse, également selon Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Perez, Valéry
Giscard d’Estaing a commis une erreur en publiant en 1981 un livre-bilan de son
septennat censé préparer sa réélection : « Le titre de l’ouvrage fut
une véritable catastrophe en termes de communication. L’État de la France.
Ce titre, tourné vers le passé est un choix fâcheux pour un candidat à l’élection
qui fixera le sort de la France pour les sept prochaines années. Titre qui
faisait plus penser à "dans quel état je vous laisse la France" qu’il
n’évoquait un espoir ou un quelconque bilan positif ».
Il
n’y a pas que l’Élysée
Le
travail sur l’ethos est manifeste dans beaucoup de titres d’ouvrages
politiques français. Quelques exemples entre cent : Le Nœud gordien
(Georges Pompidou), La paille et le grain (François Mitterrand), Les blessures de la vérité (Laurent
Fabius, 1995), Promis, j’arrête la langue de bois (Jean-François Copé,
2006), Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule ! (Philippe Poutou), Pas une goutte de sang français (Manuel Valls), Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Philippe de Villiers),
Mais qui va garder les
enfants ? (Ségolène Royal), Le
prix de nos mensonges (Édouard Philippe), Aurons-nous encore de la
lumière en hiver ?: Pour une écologie du réel (Bruno Retailleau).
La
place du livre politique n’est pas propre à la France. Aux États-Unis, écrit la
journaliste Karen Heller, « les livres sont devenus le signe témoignant qu’une
personne occupant une responsabilité compte sérieusement être candidate à une
autre »[5].
Barack Obama s’est signalé comme un candidat à statut d’intellectuel avec Les
Rêves de mon père (1995) et L’Audace d’espérer (2006). L’Art du
deal est souvent cité comme le titre de gloire « littéraire » de
Donald Trump. Il est vrai que ce livre de 1987 est resté pendant quarante-huit
mois sur la liste des bestsellers du New York Times, dont treize comme
numéro un. Mais, le président américain a publié quatorze autres
livres, dont trois à vocation directement politique : The America We Deserve, Time To Get Tough:
Making America #1 Again, Crippled America: How to make America Great Again. Le message de ces titres est clair.
Le
titre Le Journal d’un prisonnier invite-t-il aux conjectures quant aux intentions de Nicolas Sarkozy ? On note l’article indéfini qui fait de lui
un prisonnier parmi d’autres, tandis que le mot « journal » évoque sans
doute une relation objective des faits. Ce n’est pas Le Comte de Monte-Christo.
Mais comme on sait, une modestie peut être vraie ou fausse. Et puis, il n’y a
pas que la présidence de la République dans la vie. Le titre de livre peut-être un
instrument à des niveaux plus modestes. À Nantes, par exemple, le candidat d’opposition pour l’élection
municipale de mars 2026 a lancé sa campagne avec la parution d’un Abécédaire
amoureux de Nantes[6],
dont la vocation est à l’évidence de définir un ethos d’homme de culture
bienveillant.
M.L.S.
[1] Christian Le Bart, « L’analyse
des livres politiques – Les présidentiables de 2007 face à l’exigence de
proximité », Questions de communication, n° 15, 2009.
[2] Christian Le Bart, «Les livres (des) politiques : Hypothèses
sur l'individualisation du champ politique», Cahiers de Science politique [En ligne], Cahier n°25, URL :
https://popups.uliege.be/1784-6390/index.php?id=668.
[3] Alice Krieg-Planque, « Le genre «
livre politique » comme espace d’expression d’un discours transgressif : ethos
de rupture et réflexivité langagière », SHS Web Conf., 78 (2020) 01002, 4
septembre 2020, https://doi.org/10.1051/shsconf/20207801002

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