Depuis près d’un mois, la citation tourne. À l’automne 2023, évoquant l’hôpital public et l’aide médicale d’Etat (AME) aux étrangers en situation irrégulière, Emmanuel Macron aurait déclaré à Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé : « le problème des urgences, c’est que c’est rempli de Mamadou ». Aujourd’hui député socialiste, Aurélien Rousseau a rapporté le propos à des journalistes du Monde qui ont publié sous le titre « Macron, le président et son double » une enquête en quatre volets de tonalité plutôt « people ». Dans le deuxième épisode, Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach rappellent plusieurs des petites phrases mises au passif du président : « un pognon de dingue », « je traverse la rue », etc. Elles lui viennent disent-elles, d’un « copain de longue date », éleveur de brebis dans les Pyrénées.
Mais il y a pire quand le président « entretient le
flou sur ses convictions idéologiques ». Certains de ses propos ne
sont pas cohérents avec les convictions de gauche qu’il affichait en 2014, en
tant que jeune ministre de l’Économie de François Hollande. En particulier, le
thème de la « société ouverte » qu’il défendait naguère est
incompatible avec ses vues sur l’AME telles que les résumerait la formule
expéditive livrée à Aurélien Rousseau.
Une « révélation » faite par un tiers suscite toujours un peu de scepticisme. Ainsi, pour rester sur le thème de l’immigration, la formule du général de Gaulle sur « Colombey-les-deux-mosquées » rapportée en 1994 par Alain Peyrefitte, qui la date du 5 mars 1959, a été contestée à diverses reprises. L’AFP, qui évoque des « déclarations prêtées au général de Gaulle », convient néanmoins que « les historiens interrogés par l'AFP jugent leur véracité très plausible ». Alain Peyrefitte était un confident régulier du général de Gaulle, lequel n’a jamais eu l’occasion de commenter une opinion rendue publique bien après sa disparition. Aurélien Rousseau, lui, est un ex-allié d’Emmanuel Macron devenu opposant : il aurait entendu la phrase en tant qu’allié et l’aurait répétée en tant qu’opposant. Elle a été officiellement et « fermement » démentie par les services de l’Élysée.
Presque une banalité
Plus encore, le scepticisme envers cette formule pourrait venir de ce qu’elle ne cadre pas bien avec la personnalité perçue d’Emmanuel Macron, forgée à partir de déclarations comme celle-ci, rappelée par Le Monde, à Marseille en 2017 : « Les Arméniens, les Comoriens, les Italiens, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens, les Sénégalais, les Ivoiriens, j’en vois des tas d’autres, que je n’ai pas cités, mais je vois quoi ? Des Marseillais, je vois des Français ! » À propos de « c’est rempli de Mamadou », certains parlent de petite phrase. Cependant, une petite phrase ne prospère que si son logos « matche » avec l’ethos du locuteur. En cas de discordance, elle est vite oubliée.
Le logos doit aussi être en résonance avec le pathos
des auditeurs. Ici, en quelque sorte, la messe est déjà dite : 57 %
des Français souhaitent la suppression de l’AME (alors que 56 %
étaient favorables à son maintien dix mois plus tôt) et environ 70 % désirent
que l’immigration soit réduite. L’avis du chef de l’État, si avis il y a, fait
presque figure de banalité. De plus, il n’est pas exprimé dans une situation de
débat qui le mettrait davantage en valeur.
En tout état de cause, que le propos soit véridique ou non, ou qu'il soit considéré
comme une « petite phrase » ou pas, il ne comporte guère de risque pour Emmanuel
Macron. Un relent de racisme dans le prénom « Mamadou » ?
Quand Marianne et l’Ifop sondent en 2019 le degré d’approbation des dix
petites phrases les plus connues de Jacques Chirac(1), « le bruit et l’odeur », cette
« sortie clairement xénophobe » qui lui a valu les plus vifs
reproches y compris dans son propre camp, arrive en quatrième position. Elle
reçoit 65 % d’approbations ! Il est peu probable que les Français soient
davantage favorables à l’immigration aujourd’hui.
Michel Le Séac’h
(1)
Hadrien
Mathoux, « "Notre maison brûle", refus de la guerre en Irak
et... "le bruit et l'odeur" appréciées : découvrez notre sondage
Ifop sur les phrases cultes de Chirac », Marianne, 1er octobre
2019,
https://www.marianne.net/politique/notre-maison-brule-refus-de-la-guerre-en-irak-et-le-bruit-et-l-odeur-appreciees-decouvrez
Illustration : Bing Image Creator
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