Le slogan de campagne choisi par Éric Zemmour est donc « Impossible n’est pas français ». Un mot de Napoléon Bonaparte, lit-on partout, par exemple chez RTL, LCI, Valeurs Actuelles, etc. Certain, tels Le Parisien émettent cependant une réserve : cette attribution n’est pas confirmée.
La phrase aurait notamment été rapportée par Balzac en 1838.
Ce qui ne vaut pas preuve. « Napoléon, sous la plume de Balzac, est
l’un des exemples de tout ce que la littérature a transformé en mythes »,
assure Pierre Brunel(1).
La formule rencontre en tout cas un grand succès depuis le milieu du 19e siècle, révèle le Books Ngram Viewer de Google. On note un pic énorme en 1914-1918 et un net retour de faveur à partir de 2000. Elle est citée le plus souvent
comme un dicton et n’est attribuée qu’occasionnellement à Napoléon.
Mais le graphique ci-dessus révèle aussi de rares occurrences dans les livres en français avant la fin du 18e siècle, donc avant Napoléon. Sous quelle plume ? Google Recherche de livres ne la désigne pas. Stanislas de Boufflers (1738-1815) pourrait être un suspect crédible. Militaire et académicien, il a été un auteur prolifique, dans des genres divers, au cours du dernier tiers du 18e siècle. Au détour d’une chronique dans L’Ouvrier(2), Henry de Riancey écrit : « Malgré le mot charmant du chevalier de Boufflers : "impossible n'est pas français," je me dois incliner devant le vieux proverbe : "à l'impossible nul n'est tenu". »
Quant à Napoléon, cependant, au moins trois témoins de première main se sont
exprimés avant Balzac :
- Dans
le Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases raconte une promenade
de Napoléon : « Sur les cinq heures l'Empereur est sorti en
calèche (…) Comme nous rentrions, jetant les yeux sur le camp, dont nous
n'étions séparés que par le ravin, il a demandé pourquoi on ne pouvait pas
franchir cet espace qui doublerait notre promenade. On a répondu que
c'était impossible, et nous continuions de rentrer ; mais comme réveillé
tout-à-coup par ce mot impossible, qu'il a si souvent dit n'être
pas français il a ordonné d'aller reconnaître le terrain. »
- Dans
ses Mémoires (1824), Joseph Fouché, duc d'Otrante et ministre de la
Police, rapporte une prise de bec avec Napoléon : « On
proposa, pour ramener la Russie, des intrigues de courtisans et de femmes
galantes ; ce choix de moyens me parut ridicule, et je dis, dans le
conseil, que le succès en était impossible. "Quoi, reprit l'empereur,
c'est un vétéran de la révolution qui emprunte une explication si
pusillanime ! Ah monsieur ! est-ce à vous d'avancer qu'il est quelque
chose d'impossible ! à vous qui, depuis quinze ans, avez vu se réaliser
des événemens qui, avec raison, pouvaient être jugés impossibles ? L'homme
qui a vu Louis XVI baisser sa tête sous le fer d'un bourreau ; qui a vu
l'archiduchesse d'Autriche, reine de France, raccommoder ses bas et ses
souliers en attendant l'échafaud ; celui enfin qui se voit ministre quand
je suis empereur des Français, un tel homme devrait n'avoir jamais le mot
impossible à la bouche." [...] Je lui répondis, sans me déconcerter :
"En effet, j'aurais dû me rappeler que Votre Majesté nous a appris
que le mot impossible n'est pas français." »
- Dans
ses Mémoires (1837), Armand de Caulaincourt, duc de Vicence, décrit
ainsi Napoléon : « L'Empereur ne m'a paru, dans aucune
circonstance, au-dessous de sa gigantesque position. Son génie, sa
capacité, ses immenses moyens intellectuels dominaient les faits
prodigieux de son règne ; et lorsqu'il disait que le mot "impossible" n'était pas français, c'est qu'en effet il ne le comprenait pas. »
Le doute n’est donc pas permis : « impossible n’est
pas français » était bien une expression familière de Napoléon.
(1) Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires,
Paris, Éditions du Rocher, 1988.
(2) Henry de Riancey, « L’Ouvrier à l’Exposition de
1867, XIII. Les douze grandes récompenses », L'Ouvrier, n° 338, 19
octobre 1867