Qui a dit, en se déclarant candidat à l’élection présidentielle : « Je veux que mon pays redresse la tête et pour cela retrouve le fil de notre histoire millénaire. (…) Je veux une France libre, libre, et fière de ce qu'elle est, de son histoire, de sa culture, de ses paysages, de ses femmes et de ses hommes qui ont traversé tant d'épreuves et qui n'appartiennent à personne » ? Non, ce n’est pas Éric Zemmour le 30 novembre 2021, c’est Emmanuel Macron dans sa déclaration de candidature du 16 novembre 2016.
Personne sans doute ne saurait aujourd’hui citer de mémoire un passage de cette déclaration sans petite phrase, sans une formule brève représentative du candidat et susceptible de devenir slogan ou d’être répétée dans les conversations entre amis. Cela n’a pas empêché son auteur d’être élu président de la République. L’avenir n’est jamais écrit.
L’amygdale et l’hippocampe
La déclaration de candidature d’Éric Zemmour était attendue – attendue au tournant, pourrait-on dire, même. À peine était-elle en ligne que des critiques l’ont condamnée avec des raffinements d’expression mûrement préparés ! Pourtant, sa forme originale a surpris. Le choix d’une vidéo a permis de la truffer d’images fortes et nombreuses. Elles tendent à accaparer les commentaires. Personne ne semble avoir remarqué dans les paroles du candidat une phrase une plutôt qu’une autre. Lui-même ne s’est pas attaché à en désigner une.
Comme celle d’Emmanuel Macron en 2016, la déclaration fait
l’impasse sur les figures techniciennes du discours politique
contemporain : pas de statistiques du chômage, pas de courbe de la
délinquance, pas de taux d’augmentation du SMIC, pas de montant de la dette
publique. À peine distingue-t-on quelques vagues pistes pratiques (« nous
devons réindustrialiser la France »…). Éric Zemmour n’affiche pas une
compétence de gestionnaire, il ne présente pas un programme. Il s’adresse au
cœur, ou plutôt à l’amygdale et à l’hippocampe. « En dix minutes seulement, Eric Zemmour réussit
le pari de mobiliser les trois ressorts émotionnels principaux de la
politique : la peur, l’indignation et l’espoir », observe
Clément Viktorovitch sur France Info.
Tel
est bien le rôle du leader : éclairer les dangers, mobiliser les énergies,
éveiller les espérances. Le monde de l’entreprise le sait bien : le
leadership tient une place majeure dans les théories du management. La vie
politique contemporaine, elle, a longtemps préféré une démarche plus confortable
dans laquelle la gestion des affaires courantes exauce les espérances. Ce qui
peut se défendre, grâce aux progrès des technologies (et à l’efficacité du
leadership entrepreneurial !), tant que les espérances portent sur le
niveau de vie. Mais ce qui ne suffit plus quand elles s’expriment en termes
d’ordre public, d’identité culturelle ou d’écologie.
Un
doigt vaut mille mots
La
vidéo d’Éric Zemmour a néanmoins un côté expérimental. Depuis les débuts de
l’espèce humaine, la relation entre leader et suiveurs passe par la parole. Les
images enregistrées ne datent que d’un peu plus d’un siècle, autant dire rien.
Les visions du passé et de l’avenir ne passaient jadis que par des mots. Bien sûr,
notre appétence pour les images est évidente, Lascaux en témoignait déjà, mais
leur rôle dans la formation des convictions et des allégeances est encore mal
connu. On dit classiquement qu’une image vaut mille mots. En multipliant les
images, Éric Zemmour a-t-il submergé les mots ?
Si faute de petite phrase on conserve de lui une image, cela risque de ne pas être celle de la bibliothèque pompidolienne ou du micro ici-londonien mais celle, spontanée, sans mise en scène, de son doigt d’honneur de Marseille. Certes, « Casse-toi pauv’ con » n'a pas nécessairement nui à Nicolas Sarkozy, « La réforme oui, la chienlit non » a réjoui les électeurs du général de Gaulle et « Arrêtez donc d’emmerder les Français » reste sans doute la petite phrase la plus connue de Georges Pompidou. Mais ce sont des paroles et, comme Éric Zemmour le dit lui-même, le geste n’est pas élégant. Il devrait en convenir, il est plus doué pour la parole que pour l’image.
Michel Le Séac’h