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11 juin 2023

Élisabeth Borne, Pétain et le RN : quasiment un acte de lèse-majesté

Ce printemps 2023 demeure pauvre en petites phrases : les déclarations qualifiées de « petites phrases » par des médias ne sont pas nombreuses, ne le sont pas massivement et ne déclenchent pas de vagues notables.

« T’as vu, j’ai dit du bien des pesticides », lance le ministre de l’Agriculture à l’adresse d’une journaliste de Public Sénat. Un confrère de passage saisit la phrase dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux. Sud Ouest pointe « la petite phrase de Marc Fesneau qui ne passe pas ». Le ministre est peu connu, la formule ambiguë, le second degré plausible : la polémique tourne court.

« J’ai quatre enfants à nourrir » rappelle le ministre de l’Économie à Léa Salamé, assurant qu’il est sensible à la hausse des prix. Gala commente « cette petite phrase de Bruno Le Maire qui a du mal à passer ». Mais qui passe quand même, vu la minceur du sujet.

La seule candidate sérieuse de ces dernières semaines vient d’Élisabeth Borne. « Maintenant, le Rassemblement national y met les formes, mais je continue à penser que c'est une idéologie dangereuse », déclare la Première ministre à Radio J le 28 mai. Puis : le RN est « héritier de Pétain, absolument ». Un propos tenu le dimanche de Pentecôte au micro d’une radio communautaire qui revendique 28 000 auditeurs quotidiens a toutes les chances de rester ignoré, surtout dans une après-crise des retraites où les Français songent plutôt à profiter des ponts calendaires.

Deux petites phrases et pas une

Europe 1 évoque néanmoins « une petite phrase qui n’est pas passée inaperçue ». En effet, Marine Le Pen, Jordan Bardella et Sébastien Chenu, plus hauts responsables du RN, protestent vertement. Ne craignent-ils pas un « effet Streisand » en mettant en évidence un propos qui, sans eux, se serait perdu dans l’éther ? Manifestement non : leur réaction sans doute coordonnée montre qu'ils jugent le sujet porteur pour eux.

Emmanuel Macron lui-même semble partager leur avis. Le 31 mai, en conseil des ministres, il tance sa Première ministre : « Vous n’arriverez pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite que ce sont des fascistes ». On ne peut pas combattre le RN avec des arguments moraux et « les mots des années 1990 qui ne fonctionnent plus ».

L’AFP évoque ce début de polémique dans une dépêche, plusieurs médias la reprennent. « La sphère politique est occupée depuis plusieurs jours à commenter une petite phrase d’Élisabeth Borne qui a déclaré que le Rassemblement national était "l’héritier de Pétain" », résume 20 minutes. « Deux petites phrases », corrige Planet.fr : celle de la Première ministre et celle du chef de l’État. Elles « ont fait réagir à gauche comme à droite de l’échiquier politique, mais aussi au sommet de l’État ».

Il n’y a rien de programmatique dans ces petites phrases. Elles ne portent pas sur des orientations politiques, des dispositions à prendre, des ambitions nationales. Elles portent sur des enjeux de pouvoir et de personnes. La Première ministre évoque la possible accession au pouvoir d’un parti politique contemporain qu’elle rejette au nom d’une référence historique, et peut-être de sentiments personnels. Le président de la République la « recadre » au nom d’une tactique électorale… et peut-être de sentiments personnels.

Petite phrase désirée ou accident de com ?

S’en prendre au Rassemblement national au nom de Pétain était quasiment un acte de lèse-majesté. En 2018, le président de la République a rendu un certain hommage au maréchal Pétain, « un grand soldat de la Grande Guerre ». Mathilde Panot le lui a vivement reproché l’an dernier. Élisabeth Borne n’a pas cité Emmanuel Macron, bien entendu, mais sa sortie résonne avec celle de la patronne des Insoumis à l’Assemblée nationale. De plus, sur le plan de la pratique politique, Emmanuel Macron a par deux fois vaincu Marine Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. Les deux fois en l’attaquant sur le thème de la compétence et pas sur celui de Pétain. C’est lui qui sait y faire ! La Première ministre allait-elle lui administrer une leçon de morale ?

« Sans doute [Emmanuel Macron] a-t-il profité de cette "petite phrase" pour régler quelques comptes avec sa Première ministre » estime Maurice Szafran dans Challenges. On songe inévitablement à Nicolas Sarkozy recadrant François Fillon : « Le Premier ministre est un collaborateur. Le patron, c'est moi. »

Alarmée par les rumeurs sur son prochain remplacement, Élisabeth Borne a-t-elle délibérément essayé de s’imposer au centre du jeu politique avec une petite phrase remarquable ? En tout état de cause, elle semble peu douée pour cela. « Inutile d’attendre de sa part une envolée lyrique ou une petite phrase qui va faire le buzz », assure Pascal Auzannet, qui a été l’un de ses collaborateurs à la RATP.

Le sujet n’a guère accroché. Les recherches sur « Pétain » enregistrées par Google sont restées beaucoup moins nombreuses qu’au 11 novembre 2018, bien sûr, mais aussi qu’en juillet 2022 après les propos de Mathilde Panot : la Première ministre émeut moins les internautes ‑ mais les milieux politiques, eux, n’ont rien perdu de l’épisode. Très probablement, elle n’a rien géré du tout, rien vu venir. Elle s’est laissé accrocher une petite phrase de hasard qui ne peut que nuire à son autorité. Emmanuel Macron connaît bien le phénomène : il en a souffert plus d'une fois à ses débuts*. Il n’a peut-être pas envie de porter le fardeau de quelqu’un d’autre.

M.L.S.

* voir Les Petites phrases d'Emmanuel Macron -- Ce qu'il dit, ce qu'on lui fait dire

Photo : Élisabeth Borne en 2022 dans l’hémicycle européen de Strasbourg. CC-BY-4.0 : © European Union 2022– Source: EP. Via Wikimedia.

28 novembre 2021

Jean-Luc Mélenchon : « La cancel culture a commencé le 14 juillet 1789 »

« La cancel culture a commencé le 14 juillet 1789 », énonce tranquillement Jean-Luc Mélenchon devant une Apolline de Malherbe qui se force à rester impassible. Ce n’est pas un lapsus. Le leader des Insoumis s’empresse de confirmer dans un tweet : « La cancel culture a commencé le 14 juillet 1789. On a commencé par mettre par terre [en réalité, il a dit « foutre par terre »] la Bastille. Des places débaptisées, des statues enlevées, cela arrive tout le temps. Cela me paraît naturel que l'Histoire évolue et qu'on s'approprie l'histoire de sa patrie. »

« C’était un début de cancel culture. Et puis ça a continué. Par exemple… » et de citer La Roche-sur-Yon où une association a demandé qu’on débaptise la place François-Mitterrand et « pas mal d’endroits en France » d’où l’on a enlevé Lénine. Le raccourci de la Bastille à la place François-Mitterrand vendéenne paraît quand même un peu rapide. Il eût été possible de citer bien d’autres exemples français.

La Bastille n’est qu’un cas parmi d’autres. La Révolution a détruit un nombre énorme d’édifices publics et religieux, parfois en les vendant pour servir de matériaux de construction ; elle a détruit des milliers de statues (235 pour la seule cathédrale de Strasbourg). La Commune a abattu la colonne Vendôme, selon une prescription de Karl Marx, et brûlé le palais des Tuileries. Vichy a fait fondre des centaines de statues. C’était pour en récupérer le bronze et non pour effacer leur mémoire ? Le résultat est identique…

Quant aux rues et places dédiées au maréchal Pétain après la Première guerre mondiale elles ont pratiquement toutes changé de nom après la Seconde. Dans les années 1990 et 2000, la plupart des rues et places consacrées au docteur Alexis Carrel après son prix Nobel de médecine (1912) ont été débaptisées en raison d’un passage en faveur de l’eugénisme figurant dans son best-seller mondial, L’Homme, cet inconnu (1935). Les rues Lénine n’ont pas été les seules victimes.

Pourquoi Jean-Luc Mélenchon s’est-il privé de citer des exemples aussi notoires ? Homme de grande culture, il ne les ignore évidemment pas. Ils auraient apporté beaucoup d’eau à son moulin. Mais les moulins ne survivent pas toujours aux inondations. À considérer la masse énorme des destructions, rapprocher la cancel culture du 14 juillet 1789 risquerait d’assombrir l’une comme l’autre. Quand on tient une petite phrase bien frappée, il n’est pas toujours bon de chercher à l’expliquer. Jean-Luc Mélenchon l’a compris.

Michel Le Séac’h