On vantait la pondération de Joe Biden face à Donald Trump.
Ce lundi, hélas, le président américain a publiquement insulté un journaliste
de Fox News, Peter Doocy, qui lui posait une question dérangeante. Il l’a
traité de « stupid son of a bitch », soit à peu près « stupide
fils de pute ». Et face caméra, en plus, ce qui a permis à la vidéo de faire le tour
du monde !
Joe Biden croyait son micro coupé, suggère la presse
bienveillante, y
compris en France. De toute évidence, il n’en était rien puisqu’il venait
de répondre à la question posée ; il a ajouté l’injure comme une réflexion
entre ses dents, mais audible ! Libération
rapproche l’incident du « les non-vaccinés, j’ai très envie de les
emmerder » d’Emmanuel Macron et plaisante sur le syndrome Gilles de La
Tourette.

La pondération de Joe Biden tranche avec le caractère
émulsif de son prédécesseur. Mais ce pondéré est depuis longtemps qualifié, y
compris par lui-même[i], de
« machine à gaffes » (blunder machine). « Deux cents
millions d'Américains sont morts du covid-19 », lâchait-il par exemple en
septembre 2020, pendant sa campagne présidentielle. Avant d’affirmer,
le mois suivant : « Nous avons mis en place, l’organisation de
fraude électorale la plus grande et la plus complète dans l’histoire de la
politique américaine. » (Comment s’étonner que tant d’Américains croient
l’élection truquée, si même le président le dit ?)
Il avait fait encore mieux lors des primaires démocrates
pour l’élection présidentielle de 2008. À propos de son adversaire Barack
Obama, encore peu connu à l’époque, il avait déclaré : « Voilà le
premier Afro-Américain ordinaire qui soit éloquent, brillant, propre et
sympathique » (« you got the
first mainstream African-American who is articulate and bright and clean and a
nice-looking guy »)[ii].
Obama, magnanime, avait accepté ses excuses : entre eux, le match était
plié avant d’avoir commencé. Et Biden était finalement devenu le vice-président
d’Obama.
Bidenisms
Il n’avait pas molli
quand leur ticket avait été candidat à sa réélection en 2012. Dans un discours de campagne, il s’était
référé à une petite phrase célèbre du président Theodore Roosevelt :
« Parle doucement et munis-toi d’un gros bâton » (« speak softly
and carry a big stick »). Et il avait ajouté, parlant d’Obama :
« Je vous promets que le président a un gros bâton » (« I
promise you the President has a big stick »). La connotation sexuelle de
la promesse avait provoqué l’hilarité des spectateurs[iii].
Et Obama avait été réélu.
Parmi les nombreux livres consacrés au 46ème
président des États-Unis, une dizaine portent expressément sur ses bévues, les bidenisms.
Ils en répertorient jusqu’à quatre cents.
Bref, business as usual ? L’incident est clos,
dit Peter Doocy, qui a reçu un coup de fil du président un peu plus tard :
« J’apprécie que le président ait pris deux ou trois minutes ce soir pour
m’appeler et régler le problème. »
Enseignements induits
L’incident a toutefois illustré le rôle militant que la
presse peut jouer dans la gestion de l’après-petite phrase. Le New
York Times a brièvement rendu compte de l’incident et a aussitôt
rebondi sur une liste de « méfaits » du camp républicain. Dont un
commentaire négatif de George Bush à propos d’un journaliste de son époque,
devant un micro resté ouvert, en 2020. Et bien entendu quelques épithètes de
Donald Trump (« disgrace », « loser »…), pas trop difficiles
à dénicher.
Peut-être aussi constatera-t-on avec le recul du temps
qu’une petite phrase peut en cacher une autre. Voici l’échange exact entre
Peter Doocy et Joe Biden :
‑ Do you think inflation is a political liability
going into the midterms ? (« Considérez-vous l’inflation comme un
handicap politique à l’approche des élections de mi-mandat ? »)
‑ No, it's a great asset. More inflation. You stupid
son of a bitch. (« Non, c’est un gros atout. Davantage d’inflation. Stupide fils
de pute. »)
L’insulte a détourné l’attention de l’inflation. Joe Biden
venait de subir sans broncher les questions d’autres journalistes sur la
situation en Ukraine. Mais ce qui l’a fait sortir de ses gonds est une question
sur l’économie.
Michel Le Séac’h
Illustration : extrait d’une vidéo Fox News,
https://www.youtube.com/watch?v=4fiQhGjC0cs
[i] Aahmer
Madhani et Stephen Gruber-Miller, « Joe Biden is a self-described 'gaffe
machine.' So far, Democratic voters don't seem to mind », USA Today,
6 septembre 2019,
https://eu.usatoday.com/story/news/politics/elections/2019/09/06/2020-democrats-joe-biden-prone-gaffes-but-doesnt-seem-voters-care/2225251001/,
consulté le 23 juillet 2021.
[ii] Xuan Thai et Ted Barrett, « Biden's description of
Obama draws scrutiny », CNN, 9 février 2007, consulté le 23 juillet 2021.
[iii]
« Biden assures voters Obama "has a big stick" », CBS, 27
avril 2012. Voir https://www.youtube.com/watch?v=rrmbsKW0d7c, consulté le 23
juillet 2021.