Le 11 juillet, Sandrine Rousseau est interrogée par le site d’extrême-gauche Le Média. Elle exprime son opposition à la loi Duplomb qui, entre autres, rend aux agriculteurs français le droit d’utiliser certains pesticides. Une nécessité pour leur rentabilité ? « J’en ai rien à péter de leur rentabilité ! » s’insurge-t-elle. La députée écologiste est experte dans l’utilisation des petites phrases : cherche-t-elle une fois de plus à faire scandale pour renforcer sa notoriété ?
Cela paraît improbable. D’abord, elle sait qu’elle s’exprime
sur un site relativement marginal. Le Média ne livre pas de chiffres d’audience
mais compte 173 000 abonnés sur X et 47 200 abonnés à sa chaîne
YouTube, Le Média 24-7. La polémique autour de la petite phrase a dopé sa fréquentation
sans la porter à des niveaux extraordinaires. Au 22 juillet, l’émission avec Sandrine Rousseau
a été vue 27 000 fois sur Le Média 24-7 ; elle a recueilli 1 200
pouces en l’air et 517 commentaires.
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Capture d'écran Le Média |
Qu’elle le
veuille ou non, Sandrine Rousseau a émis une petite phrase « sauvage »(1) : une formule qui lui a échappé et
s’est trouvé un public. Lequel n’est pas celui auquel Sandrine Rousseau pensait s’adresser.
Son « j’en ai rien à péter » en témoigne. Le langage de cette
universitaire est d’ordinaire plus classique. Un mot grossier employé exceptionnellement
et délibérément peut rendre une déclaration remarquable, comme lorsque Emmanuel
Macron déclare : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ».
Mais encore une fois, le sujet de Sandrine Rousseau n’est pas la
rentabilité des agriculteurs. Il est probable qu’elle adopte un langage relâché
dont elle pense, à tort ou à raison, qu’il correspond au média dans lequel elle
s’exprime.
Des retombées imprévues
Quand la petite phrase, reprise par d’autres médias, en
particulier CNews, première chaîne d’information de France, touche d’autres
publics que celui des militants d’extrême-gauche ou des électeurs écologistes,
il en va autrement. Pour les agriculteurs, la rentabilité est bel et bien un
sujet ! Leur pathos écorché considère la petite phrase comme violemment
négative car aggravée par un logos grossier. Lequel peut correspondre,
tout en l’accentuant, à l’ethos d’une femme politique pas très bien
connue mais généralement considérée comme extrémiste. Et comme les
Français ont très majoritairement une image positive des agriculteurs et
sont conscients de leurs difficultés économiques, ils réagissent négativement à
la formule de Sandrine Rousseau. Une grande partie des médias rendent compte de
ses propos, parfois en les qualifiant expressément de « petite
phrase », comme dans Gala
ou le Huffington
Post. Les recherches en ligne sur son nom redémarrent,
atteignant en plein été un niveau sans précédent depuis un an.
Il est probable que la polémique contribue aussi à l’un des
phénomènes politiques les plus notables de ces derniers mois : le succès
de la pétitition « Non
à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective »,
déposée le 10 juillet par une étudiante de 23 ans, qui recueille 1,5 million de
signatures en dix jours. Au 23 juillet, elle en est à 1 743 260
signatures. Cela en fait en fait de très loin le texte le plus massivement
soutenu des deux mille et quelques pétitions déposées sur le site ad hoc de l’Assemblée
nationale.
Michel Le Séac’h
(1) Sur la distinction entre petites
phrases domestiques et petites phrases sauvages, voir Michel Le Séac’h, Petites
phrases : des microrhétoriques dans la communication politique, p. 125
s.
À lire aussi :
Sandrine
Rousseau : la notoriété par les petites phrases
Les
petites phrases de Sandrine Rousseau inspirées par Angela Merkel ?
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