Affichage des articles dont le libellé est quoi qu'il en coûte. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est quoi qu'il en coûte. Afficher tous les articles

19 janvier 2022

À la recherche des petites phrases perdues d’Emmanuel Macron

Pour les commentateurs politiques, l’annonce prochaine d’une candidature d’Emmanuel Macron à la présidentielle ne fait semble-t-il aucun doute. Certains commencent à dresser des bilans. François-Xavier Bourmaud a tenté dans Le Figaro, ce 19 janvier, de faire le point sur « Cinq ans de discours, à la recherche du mot juste et de la phrase percutante ». Des formules qu’on pourrait comparer à « Le nationalisme c’est la guerre » de François Mitterrand ou à « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » de Jacques Chirac.

Sa récolte n'est pas très fournie. Pour François-Xavier Bourmaud, le président a surtout été marqué par ses discours d’hommage. Il cite ceux prononcés après l’assassinat de Samuel Paty ou lors des obsèques de Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, tués au cours d’une opération militaire en Afrique. Pourtant, le chef de l’État  n’a pas pour les héros d'aujourd'hui les mêmes accents lyriques que pour ceux d’hier. 

« En ce jour, le silence millénaire de l’esprit de résistance et de l’acharnement français vous accompagne », déclamait-il ainsi en octobre dernier devant le cercueil d’Hubert Germain, dernier survivant du commando Kieffer. « C’est cette cohorte chevaleresque qui vient du fond des âges, de Reims, d’Arcole et du Chemin des Dames, de la Garde impériale à Koufra, d’Orléans à Bir-Hakeim, qui se tient à vos côtés et nous rappelle cette irrésistible résolution de la France. » Jamais il n’a invoqué la même « cohorte chevaleresque » pour les militaires français tués dans les opérations décidées par lui. En comparaison, une formule à la troisième personne comme « Celui qui meurt au combat, dans l’accomplissement de son devoir, n’a pas seulement accompli son devoir, il a rempli sa destinée » a des airs de minimum syndical.

Le plus souvent, d’ailleurs, l’Élysée se borne à un communiqué plutôt standardisé. Ainsi, après la mort du brigadier Ronan Pointeau, tué au Sahel, à l’automne 2019, par un engin explosif, le chef de l’État « adresse ses condoléances attristées à sa famille et à ses proches, et les assure de la pleine solidarité de la Nation en ces douloureuses circonstances. Ses pensées vont également vers ses camarades engagés dans les opérations au Sahel. » Il y a de la tristesse, de la compassion, mais rien pour mobiliser les Français. Lesquels étaient désormais 51 % à s’opposer à ces opérations en janvier 2021, alors que 63 % y étaient favorables en 2013.

Un seul discours fait exception, celui 28 mars 2018 en l’honneur du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, assassiné par un islamiste après avoir pris la place d’une otage. Emmanuel Macron fait alors écho à une intense émotion populaire : « Soudain se levèrent obscurément dans l’esprit de tous les Français, les ombres chevaleresques des cavaliers de Reims et de Patay, des héros anonymes de Verdun et des Justes, des compagnons de Jeanne et de ceux de Kieffer »

Une guerre qui marque peu

Quant aux « discours de guerre » prononcés dans les premiers temps de la pandémie de covid-19, il est peu probable qu’ils laissent des traces impérissables. Le discours du 16 mars 2020 détient pourtant le record historique du discours présidentiel écouté par le plus grand nombre de Français. C’est celui du « nous sommes en guerre ». Il doit être « immédiatement performatif », assure l’entourage du chef de l’État à songeant notamment au fameux « quoi qu’il en coûte ». Mais ce « quoi qu’il en coûte » remonte en réalité à l’adresse présidentielle du 12 mars, qui avait cherché au contraire à rassurer les Français.

« Autant de mots qui ont marqué sur le moment mais pas forcément imprimé aussi profondément que ses lointains prédécesseurs », conclut François-Xavier Bourmaud. Pas autant, sans doute, que des formules moins maîtrisées (quoique…) comme « Je traverse la rue, je vous trouve du travail » ou «Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » !

Michel Le Séac’h

16 avril 2020

« Whatever it takes » (quoi qu'il en coûte) ‑ tant que la foi demeure

« Whatever it takes », en V.F. « Quoi qu’il en coûte », pourrait bien demeurer la petite phrase emblématique de l’année 2020, si ce n’est de la décennie entière. Elle date pourtant de 2012. Et elle n’a même pas été prononcée dans des conditions spécialement remarquables.

En 2012, la crise de la dette grecque traîne en longueur depuis deux ans, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal à leur tour peinent à financer leur dette publique. Le 1er juillet, l’Union européenne adopte un Mécanisme européen de stabilité. Cet été-là, les Jeux Olympiques se déroulent à Londres. Le gouvernement britannique veut en profiter pour attirer des entreprises. Avec quelques grandes entreprises, il a créé la British Business Embassy afin d’organiser des événements promotionnels destinés aux milieux économiques internationaux. Le premier de ces événements est la Global Investment Conference. Elle se déroule à Londres le 26 juillet 2012. Parmi les intervenants, un invité de marque : Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE).

Son intervention n’est pas vraiment solennelle. Mario Draghi assure d’abord que l’euro et la zone euro sont « much, much stronger » qu’on ne le croit. Son second message est que des progrès « extraordinaires » ont été accomplis depuis six mois. Son troisième message est que l’euro est « irreversible ». Comme en prime, il ajoute qu’il veut aussi exprimer un autre message :

Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. (Dans le cadre de mon mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu’il faudra pour préserver l’euro.)

Ça n’a l’air de rien ? Les marchés obligataires et d’actions progressent fortement. Et certains commentateurs de marque en concluent : Mario Draghi a sauvé l’euro. Il lui a suffi pour cela d’une petite phrase. Sous la quinzaine de mots, les banques devinent les centaines de milliards d’euros tout neufs que la BCE va déverser sur les marchés afin d’acheter la dette de certains pays, en rupture avec les règles européennes antérieures. 

Depuis lors, chaque fois qu’une crise financière menace, les yeux se tournent vers la BCE et l’on rappelle les paroles de Mario Draghi. On les a rappelées encore, bien entendu, quand, le 12 mars, Emmanuel Macron a proclamé : « tout sera mis en oeuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu'il en coûte ». Ce « quoi qu’il en coûte » n’était évidemment pas innocent. Le président de la République a d’ailleurs veillé à le répéter deux fois. Ainsi, son parallèle avec « Super Mario » ne risquait pas de passer inaperçu. Mais il ne l’a peut-être pas poussé assez loin. 

En réalité, la petite phrase de Mario Draghi était double. Après « the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro », il avait ajouté : « And believe me, it will be enough » (et croyez-moi, ça sera suffisant). « Saint Draghi a parlé », avaient noté plusieurs commentateurs : il n’y a que la foi qui sauve l’économie. Prions pour que saint Macron, qui a utilisé trois fois la formule « Quoi qu’il en coûte » dans son adresse aux Français du 12 mars 2020, inspire autant de piété.

Michel Le Séac’h

Photo Mario Draghi (2011) : INSM, Mario Draghi, Präsident der Euopäischen Zentralbank über die Europäische Währungsunion und die Schuldenkrise. Wohin steuert Europa?, via Flickr, CC BY-ND 2.0