La réélection d’Emmanuel Macron a laissé un goût d’inachevé. Louis Hausalter et Agathe Lambret, journalistes respectivement à Marianne et BFMTV, cherchent à le dissiper en racontant l’envers du décor de sa campagne présidentielle de 2022. Économe de grandes envolées, leur récit décrit avec une abondance de détails plus d’une trentaine de moments significatifs vus de l’intérieur. Ils gardent le secret de leurs sources, à l’évidence proches du président. Les initiés s’amuseront sûrement à les deviner en découvrant des portraits plus indulgents que d’autres dans ce tableau globalement mitigé. G. s’en sort mieux que K., par exemple…
Il y a peu de petites phrases dans ce livre. En fait, la locution n’y figure qu’une fois, de manière très significative : « Désormais, Macron a peur des petites phrases. Elles ont disparu de son langage. Même à l’occasion de longs échanges sur le terrain, où la tentation est partout, le président se réfrène. Quitte à avoir l’air étrangement amorti. » (p. 177).
Les auteurs ne semblent pas remarquer, en revanche, que la demande s’est tarie. Naguère, les médias et l’opinion prélevaient des petites phrases à leur gré dans n’importe quel échange. « Je traverse la rue, je vous trouve du travail », par exemple, extrait d’un bref dialogue avec un visiteur lambda en 2018, a été érigé en critique envers tous les chômeurs. Ce phénomène a pratiquement disparu. Sans quoi, que le président se réfrène ou pas, la campagne de 2022 aurait été davantage épicée de petites phrases puisées ici ou là.
Petites phrases pas si disparues
Si la demande s’est tarie, ce n’est pas vraiment le cas de l’offre. Hausalter et Lambret consacrent même un mini-chapitre à un « concours de punchlines » : « À quelques heures du débat d’entre deux tours, l’assistance réunie autour d’Emmanuel Macron à l’Élysée cherche des formules qui feront mouche face à Marine Le Pen. Les Technos en ont tiré une de leur sac : "Arrêtez avec le chat qui cache la forêt !" Manière de plaisanter sur la passion très médiatisée de la candidate RN pour ses bêtes. »
Ce n’est pas seulement une affaire d’entourage. Le président ne se réfrène pas tant que ça, en réalité. « Avec eux, Macron rôde ses angles et teste des formules. C’est là qu’il met au point une attaque en piqué contre la baisse de la TVA sur l’énergie proposée par Le Pen. […] Lui-même a déjà forgé personnellement quelques piques, par exemple sur l’emprunt russe du RN : "Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie". » (p. 190) Lors du débat télévisé, l’agressivité n’est pas retombée. « Soudain, au détour d’un échange aride sur les chiffres du chômage, Emmanuel Macron réveille un peu les troupes. "C’est pas Gérard Majax, ce soir, madame Le Pen !" On pouffe de rire dans la pièce. […] Place à la partie sur l’écologie, qui fait moins rire les troupes. "Elle est en train de remonter ", met en garde Sébastien Lecornu. "Il faut taper plus fort, vas-y Emmanuel, tape ! Démasque-la !" crie Richard Ferrand, bien réveillé, devant l’écran de télévision. » (p. 199)
Emmanuel Macron ne réserve pas ses piques à Marine Le Pen. « Très loin de la retenue que mettait jusqu’ici le président pour parler de ses adversaires. Macron qualifie Zemmour de "candidat malentendant", et l’invite à s’équiper à moindres frais, grâce à la réforme "100 % santé", qui permet le remboursement de certaines prothèses. Une réponse droite, un peu maladroite aussi. On imagine que le chef de l’État l’a peaufinée avec ses communicants, mais il n’en est rien. Cette riposte, il l’a préparée tout seul. » (p. 112)
Le programme ne fait pas le poids
Certains de ses proches « trouvent lunaire cette façon d’aborder le combat politique ». D’abord, un président en exercice n’a pas à descendre dans l’arène comme les autres, surtout quand une guerre fait rage depuis quelques jours en Europe. « Emmanuel Macron lui-même donne l’impression de vouloir enjamber ce début de campagne. Tant pis si, jusque dans son entourage, on s’est un peu ennuyé ce soir devant sa prestation sur TF1, lisse et consensuelle. Pour l’instant, il se tient au-dessus de la mêlée et fait presque mine d’ignorer l’existence de ses concurrents. » (p. 61)
Ensuite et surtout, beaucoup considèrent que la campagne doit être menée programme contre programme, c’est un combat d’idées. Ce point de vue, celui du clan des « Technos » élyséens paraît l’emporter au début. Leur stratégie inspire l’essentiel des interventions d’Emmanuel Macron. « L’élaboration de ce programme a été une véritable boîte noire. Certes, la garde rapprochée partageait cette idée qu’il fallait des mesures précises et fortes pour donner de la légitimité au président réélu. Qu’Emmanuel Macron, très haut dans les sondages au déclenchement de la guerre, ne devait pas se contenter d’un effet drapeau. Il fallait contrer ce phénomène, et recentrer l’attention sur les marqueurs du programme. » (p. 83)
Mais la présentation du programme par le candidat se passe mal. « L’énumération des concepts abstraits a noyé la déclinaison des mesures concrètes. Est-ce bien le même qui avait intimé à ses collaborateurs, dans les réunions préparatoires : « Je ne veux surtout pas d’un programme de techno, je veux raconter quelque chose » ? En off, un ministre de premier plan s’est désolé : "On dirait un Premier ministre qui prononce son discours de politique générale". » (p. 90) Les adversaires des « Technos » se déchaînent. Dès lors, l’aspect programmatique de la campagne sera plutôt une sorte d’os à ronger pour les bénévoles dont on ne sait que faire.
Les choses sérieuses, elles, passent entre les mains des politiques. Désormais, la campagne sera faite moins de concepts que d’images, de valeurs et de sentiments, éventuellement agressifs. Emmanuel Macron emprunte même à la concurrence. « Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits » (p. 119), proclame-t-il à La Défense Arena. La formule est en fait d’Olivier Besancenot ! Loin d’avoir disparu de la campagne, les petites phrases sont revenues au score sur le programme.
Michel Le Séac’h
Louis Hausalter, Agathe Lambret
L’Étrange
victoire – Macron II, l’histoire secrète
Éditions de l’Observatoire, 2022
ISBN : 979-10-329-1327-7
224 pages, 19 euros