Les petites phrases d’Emmanuel Macron ont assez souvent été prononcées à l’étranger. C’est le cas par exemple de :
- « la
colonisation est un crime contre l’humanité » (en Algérie)
- « le
Gaulois réfractaire » (au Danemark)
- « les
Français détestent les réformes » (en Roumanie)
- « l’Otan
est en état de mort cérébrale » (dans un entretien avec The
Economist)
Le filon n’est pas épuisé. À la fin de sa récente visite aux
États-Unis, le chef de l’État est interrogé
par Marie Chantrait dans le 13H00 de TF1, le 3 décembre. À propos de la
guerre en Ukraine, il pose cette question rhétorique : « Qu’est-ce qu’on
est prêts à faire, comment nous protégeons nos alliés et les États membres en
donnant des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle
reviendra autour de la table ? » Elle est expressément qualifiée de
« petite phrase » par TF1
et Le
Figaro (« encore une petite phrase » écrit même le
quotidien).
Elle n’est pas vraiment nouvelle en réalité. Le président de la République a déjà manifesté son désir de ménager la Russie. « Il ne faut pas humilier la Russie », a-t-il déclaré au mois de mai dernier, déjà dans un contexte international – à Strasbourg, mais devant le parlement européen. Il a repris la formule le 3 juin devant la presse française. La formule a été qualifiée de petite phrase par Le Monde, Radiofrance, TF1 ou RFI. Elle lui a déjà valu des reproches en Europe. Cependant, il a paru changer de cap radicalement avec une intervention d’une très grande fermeté à l’égard de la Russie devant l’assemblée générale des Nations Unies le 20 septembre. Le balancier est résolument reparti dans l’autre sens.
Réactions indignées
Ces petites phrases ne sont pourtant pas très discutées en
France. Les Français semblent moins en demande de petites phrases
présidentielles qu’il y a cinq ou six ans. Peut-être parce qu’ils ont désormais
l’impression de connaître Emmanuel Macron assez bien, ou de pouvoir puiser dans
un répertoire déjà assez fourni. En revanche, son mandat l’a rendu plus audible
des cercles dirigeants internationaux. Son « baffling
statement » du 3 décembre soulève un grand nombre de réactions
indignées en Ukraine même et dans plusieurs pays d’Europe orientale.
La plus brève et la plus éloquente est celle de Toomas Ilves, ancien président de l’Estonie, sur Twitter : « Oh FFS ». Le sigle peut désigner des tas de choses (Fédération française de ski, etc.). Ici, selon toute apparence, il est issu de l’argot anglophone et signifie « for fucks sake ». Ce dérivé de « for Christ’s sake » signifie en gros « arrête donc de déconner ». Le surlendemain, Toomas Ilves célébre l’anniversaire du « mémorandum de Budapest ». Par ce traité signé en 1994 entre l’Ukraine et la Russie, la première remettait ses armes nucléaires à la seconde, qui s’engageait en contrepartie à garantir sa sécurité.
« M. Macron, donner des garanties de sécurité à la
Russie, c’est comme fournir un garde du corps à Jack l’éventreur »,
s’indigne le diplomate ukrainien Olexander Scherba. Parmi les réactions les
plus remarquées figure aussi celle de l’ex-champion du monde d’échecs Garry
Kasparov, d’origine russe : « les Ukrainiens vivent à nouveau une
journée où les missiles russes pleuvent sur leurs villes, mais Macron parle de
garanties de sécurité pour… la Russie ?! Et la sécurité pour les gens
innocents vraiment attaqués, alors ? »
Mais la pire réaction pour Emmanuel Macron est sans doute…
celle qui lui est le plus favorable. Sa déclaration est saluée avec
satisfaction par l’agence de presse officielle russe TASS (l’acronyme
signifie « Agence télégraphique de l’Union soviétique »). Celle-ci
préfère cependant ignorer une autre phrase du président de la République,
curieusement peu remarquée en France. Elle porte sur une éventuelle reprise de
la Crimée par l’Ukraine : « Est-ce que vous pensez que quand nous,
Français et Françaises, nous avons eu à vivre la prise de l'Alsace et de la
Lorraine on aurait aimé en pleine guerre qu'un dirigeant du reste du monde nous
dise vous devez faire ceci et cela ? ». Il est douteux que la comparaison
historique inspire à Vladimir Poutine un sentiment de sécurité.