Si l’on me demande quelle est ma préférée parmi les petites
phrases analysées dans mon livre*, je réponds que j’ai un faible pour :
« Ralliez-vous
à mon panache blanc ».
Le 15 mars 1590, Henri
iv
affronte à Ivry une armée catholique bien supérieure en nombre. Avant la
bataille, il donne ses dernières instructions à ses soldats : si dans le
tumulte de la bataille ils ne savent que faire, qu’ils le cherchent des yeux et
fassent comme lui.
« Ralliez-vous à mon panache blanc ! » conclut-il
en baissant la visière de son casque.
La force de cette formule réside d’abord dans son évocation
visuelle : on imagine les troupes tournoyant autour d’une cascade de
plumes de cygne. Or, si le panache désigne Henri
iv à ses soldats, il le désigne aussi à l’ennemi. Le mot
prend avec lui son sens figuré : il ne désigne plus seulement le plumet
mais la bravoure. En six mot seulement, Henri
iv délivre une leçon de leadership : le vrai
chef montre l’exemple, il paie de sa personne.
Et ce n’est pas tout ! « Ralliement »
signifie regroupement mais aussi changement de camp.
« Ralliez-vous à
mon panache blanc » peut être compris comme une formule d’ouverture,
une offre d’apaisement. Il n’est pas question ici de soumission à une personne
mais de consentement à l’union autour d’un symbole sacerdotal : le blanc
est la couleur traditionnelle de la fonction souveraine en Occident. La formule
d’Ivry présage l’édit de Nantes et la fin de la guerre civile.
Enfin, la petite phrase d’Henri
iv est riche en références
historiques. Le panache du roi apparaît pour la première fois sous la plume du
poète-ambassadeur Guillaume du Bartas, mort peu après la bataille (on n’est pas
certain qu’il y ait participé), sous la forme suivante :
Un horrible panache / Ombrage sa salade
Une « salade » était un casque de forme ronde.
Plus intéressant est l’horrible panache (c’est-à-dire, dans le français
de l’époque, le panache effrayant). Il rappelle clairement le portrait d’Hector
dans les traductions anciennes de L’Iliade : « L’orgueil
est sur son front, un horrible panache flotte sur sa tête ; sous lui, une
jeunesse intrépide appelle le carnage et la mort. »
Depuis les débuts de la Renaissance, Homère, « prince
des poètes », jouit d’un prestige immense. En 1572, Ronsard a marché sur
ses traces en publiant les premiers chants de La Franciade. Il y attribue
la création de la France à un Troyen nommé Francion, ou Francus**. Or Francion
est le fils d’Hector ! Son « horrible panache » dépeint Henri
iv comme le
descendant à la fois de l’un des plus prestigieux héros de l’Antiquité grecque
et du fondateur de la monarchie française, il légitime son titre royal.
D’épopée en épopée, Voltaire s’emparera à son tour du
panache d’Henri iv dans
La Henriade. Puis les royalistes et légitimistes le brandiront après la
Révolution. Le roi qu’ils réclament au 19e siècle, le comte de
Chambord, porterait lui aussi le nom d’Henri.
Leur insistance agace même Chateaubriand, pourtant monarchiste lui-même, qui
refuse d’apparaître comme un « un rabâcheur de panache blanc et de
lieux communs à la Henri iv »***.
Allez donc chercher dans les déclarations des hommes
politiques contemporains des petites phrases aussi chargées de sens que
celle-là !
Michel Le Séac'h
________________
** Ronsard a évoqué le panache d’Hector dans son sonnet Jamais
Hector aux guerres n'était lâche. Dans La Franciade, il décrit aussi
un héros « qui d’un panache ombrage son armet » ; il
s’agit de Charles Martel.
*** François-René de Chateaubriand, De la Restauration et
de la monarchie élective, Paris, Le Normant fils, 1831, p. 28.
Henri iv par Frans
Pourbus Le Jeune, domaine public