« Ce n’est pas en ajoutant de la guerre à la guerre
qu’on va arriver à une solution » : cette petite phrase de
Laurent Fabius a été largement relayée, via un article de l’AFP, par Le
Figaro, Le
JDD et quelques autres. Elle a (ou aurait, on va le voir) été prononcée
jeudi soir dans le Grand Soir de France 3. Le ministre des Affaires étrangères
était interrogé par Patricia Loison.
Ainsi, alors que le président de la République venait
d’envisager des frappes aériennes français en Syrie, le numéro 2 du
gouvernement se montrait hostile à toute intervention ? Il était aisé d’y
voir l’expression d’un désaccord interne. Le ministre a démenti ces
interprétations dès le lendemain. Et en vérité, l’AFP avait pratiqué une légère ablation. Comme en atteste l’enregistrement
du Grand Soir, Laurent Fabius n’avait pas dit comme indiqué plus
haut :
« Ce n’est pas en ajoutant de la guerre à la guerre qu’on va arriver à une solution »
mais
« Ce n’est pas en ajoutant de la guerre à la guerre qu’on va arriver à la solution politique »
Ce « politique » oublié changeait
évidemment le sens de la formule. Il en faisait un truisme au lieu d’une
contestation.
La petite phrase pourrait tout de même laisser des traces.
La construction même de la phrase de Laurent Fabius favorise sa mémorisation du
fait de sa répétition interne (« la guerre à la guerre »).
Mais surtout, elle a pu éveiller des réminiscences. Laurent Fabius lui-même
pourrait bien l’avoir extraite inconsciemment de sa mémoire : elle descend
en droite ligne d’une déclaration de François Mitterrand. Le 13 août 1992,
celui-ci avait été interrogé par Sud-Ouest à propos de la guerre civile
dans les Balkans. Il avait redit son opposition à une intervention militaire
sur le terrain et conclu l’entretien par cette formule : « ajouter
la guerre à la guerre ne résoudra rien ».
Bernard-Henri Lévy et les autres intellectuels qui
réclamaient alors l’envoi des troupes le lui avaient vivement reproché. « Le
président de la République se rend-il compte que c’est comme s’il disait aux
Serbes : ‘Faites ce que vous voudrez […] ?’ »,
écrivait BHL dans Le Lys et la cendre. Un débat purement historique de
nos jours ? Ce n’est pas si sûr. Interrogé un peu plus tard par Jean-Pierre Elkabbach,
Mitterrand expliquait : « En tout état de cause, si l'on
n'occupe pas le terrain après la frappe aérienne, cela risque d'être inutile.
Il faudrait donc envoyer des troupes, des soldats, au sol. » Par-delà
la petite phrase de Laurent Fabius, c’est François Mitterrand qui semble
contester François Hollande !
Michel Le Séac'h
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