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16 novembre 2016

Emmanuel Macron, un candidat à l’élection présidentielle en manque de petite phrase

Emmanuel Macron s’est donc déclaré candidat à la présidence de la République. Pré-annoncée depuis plusieurs jours, cette candidature n’était pas suffisante pour marquer l’opinion. Quelle petite phrase l’ancien ministre de l’économie allait-il jeter en pâture à la presse et aux internautes, afin qu’ils en fassent des titres et des tweets qui s’inscriraient dans les esprits ?

On la cherche en vain. Une bonne partie de la presse semble avoir retenu par défaut « Je suis candidat à la présidence de la République », qui ne contient en réalité aucun message. Cette assertion n’est ni neuve, ni spécifique, elle n’a pas de quoi étonner. Pour un homme politique, sans doute, elle formalise un moment solennel nouveau pour lui, celui où il franchit le Rubicon. Mais l’opinion publique l'a déjà entendue cent fois, et pour elle Emmanuel Macron faisait déjà partie des présidentiables potentiels. Cette formule a pu constituer une petite phrase dans la bouche d'un Coluche, certainement pas dans celle d’un ancien ministre.

Quelques médias ont préféré retenir : « Je place ma candidature sous le signe de l’espérance ». Les perspectives de cette formule sont à peine meilleures. Pour deux raisons :

  • Elle est exprimée à la première personne, et même doublement, par le pronom « Je », sujet de la phrase, et par l’adjectif possessif « ma ». Cette construction n’est pas propice aux petites phrases[1]. Elle ne favorise pas la projection du public : fort peu de gens se prennent pour Emmanuel Macron.
  • Elle ne prescrit pas au public une attitude ou un comportement. Le mécanisme mental mis en jeu par les petites phrases les plus efficaces remonte probablement à l’aube de l’humanité : à l’instar des dictons, elles fonctionnent comme des heuristiques, elles disent quoi faire sans avoir à y réfléchir. Or l’espérance est une attitude passive, elle n’a jamais évité à personne de s’empoisonner avec un champignon vénéneux ou d’être dévoré par un tigre à dents de sabre. Le pape Jean-Paul II l’avait bien compris : quand il a publié une encyclique sur l’espérance, en 1994, il l’a intitulée Entrez dans l’espérance. Ce titre forgé sur un verbe d’action à la deuxième personne de l’impératif est resté dans beaucoup de mémoires. (Qui se souvient en revanche de la formule passive Spe Salvi – « Sauvés dans l’espérance » ‑ titre d’une encyclique publiée par Benoît XVI en 2007 ?)
Emmanuel Macron n'a pas de chance avec les petites phrases quand il ne les a pas calculées. Mais quand l'occasion se présente, il ne la saisit pas. Manque d'expérience sans doute.

Bien entendu, le sort d’une petite phrase ne tient pas seulement à son contenu. Il tient aussi à son auteur et à ses circonstances. Emmanuel Macron partait avec un avantage : homme en vue, il était certain que la presse s’intéresserait à ses propos. En guise de cadre, il avait retenu l’atelier d’un centre de formation à la réparation automobile. Ce choix symbolique semblait habile. Mais dans ce lieu de travail, on avait installé une tribune à fond bleu décorée d’un drapeau français et d’un drapeau européen. En fin de compte, les téléspectateurs l’ont vu s’exprimer dans un cadre aussi institutionnel que possible, tel qu’on en voit à l’Élysée ou dans n’importe quel ministère lors des déclarations officielles. Ce qui ne connotait pas l’idée d'un personnage neuf en rupture avec le milieu politique traditionnel. Paradoxalement, cette erreur d’un candidat inexpérimenté donne de lui l’image d’un homme du sérail !

Michel Le Séac'h


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 228.

30 janvier 2016

« Résister c’est partir », la demi-petite phrase de Christiane Taubira

En oratrice de talent, Christiane Taubira a émaillé de plusieurs formules bien frappées la conférence de presse organisée au ministère de la Justice dans la foulée de sa démission du gouvernement mercredi dernier : « Je choisis d’être fidèle à moi-même, à mes engagements, à mes combats, à mon rapport aux autres », « je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur », « nous ne devons concéder [au terrorisme] aucune victoire » et même « nous ne livrerons pas le monde aux assassins d'aube », citation approximative d’Aimé Césaire. Pourtant, à quelques exceptions près comme Le Monde, Sud-Ouest ou Europe1, les médias y ont rarement puisé leurs titres.

En revanche, beaucoup se sont focalisés, l’instar de L’Humanité, du Dauphiné ou du quotidien francophone algérien El Watan, sur un tweet posté par l’ex-Garde des Sceaux : « Parfois, résister c’est partir ». Et le web a fait un triomphe à cette formule. Pourquoi ? Probablement parce que les déclarations de Christiane Taubira au ministère de la Justice rendaient compte d’un débat intellectuel à la première personne alors que son tweet se donne des allures de règle heuristique : il prescrit une attitude valable pour tous.

La formule retenue par la presse et le web n'est cependant qu’un extrait du tweet d'origine. Son contenu complet était : « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. » La première de ces trois phrases avait de bons atouts pour devenir une petite phrase reprise par les médias et mémorisée par l’opinion : énonciatrice, elle reposait sur le redoublement[1] d’un verbe d’action fort renvoyant à une composante majeure de la culture historique contemporaine, la Résistance (« Résister c’est partir », écrit Léon Blum dans ses Mémoires à propos de la situation de juin 1940).

En revanche, elle avait un handicap presque rédhibitoire : elle évoquait deux attitudes contradictoires : rester et partir. Une petite phrase ne s’inscrit dans les esprits que si elle apporte une réponse et une seule, elle ne doit jamais susciter la perplexité. Les médias, et les internautes plus encore, ont donc spontanément raccourci la déclaration de Christiane Taubira en ne gardant que la partie conforme à sa prescription implicite.

Cette petite phrase sera-t-elle pérenne pour autant ? Le Premier ministre a fait de son mieux pour l’éviter. J’y reviendrai.

Michel Le Séac'h

21 octobre 2015

« La France est un pays de race blanche » : les gros sabots fourchus de Nadine Morano

La diabolisation est l’heuristique suprême en politique : le personnage visé devient infréquentable, tout ce qu’il dit, fait ou touche se trouve contaminé. Ce qui simplifie radicalement le travail de ses adversaires, désormais dispensés de plus ample démonstration. Et la diabolisation a souvent pour instrument majeur une petite phrase montée en épingle (on connaît le rôle de l’épingle dans la malédiction vaudoue…)*.

On vient d’en voir un bon exemple avec Nadine Morano à la suite de sa déclaration du 26 septembre dans l’émission « On n’est pas couché » sur France 2. Il n’est pas question ici d’analyser ses propos mais uniquement les réactions qu’ils ont suscitées.

« Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche » a déclaré Mme Morano. Le débat s'est focalisé sur le second terme (race blanche), d'ordre biologique, et non sur le premier (judéo-chrétien), d'ordre religieux. Il n'empêche qu'il a largement fait appel à l'encontre de la  « pécheresse » à des concepts et expressions aux connotations religieuses. En voici quelques exemples :
  • Faute : ce mot qui désigne un manquement à une règle morale a souvent été utilisé, en particulier, lit-on ici et là, par Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Les plus indulgents ont qualifié cette faute de « vénielle », un adjectif directement venu de la religion.
  • Exécration : Nathalie Kosciusko-Morizet a jugé « exécrables » les propos de sa collègue. L’exécration est originellement, dit l’Académie française, une « malédiction suprême par laquelle on se vouait soi-même aux divinités infernales en cas de parjure ».
  • Enfer : Christine Clerc, dans une tribune du Figaro, a évoqué « une mauvaise manière qui conduit tout droit à l’enfer FN ».
  • Scandale : ce mot utilisé par plusieurs commentateurs, à l’instar d’Europe 1, était autrefois défini par l’Académie comme « ce qui est occasion de tomber dans l’erreur, dans le péché ». « Malheur à celui par qui le scandale arrive », prévient l’Évangile selon saint Matthieu (XVIII).
  • Amende honorable : Nadine Morano a refusé de faire « amende honorable », a-t-on lu sous la signature de Mehdi Pfeiffer dans Le Parisien, de Xavier Brouet dans Le Républicain lorrain ou de Laurent de Boissieu dans La Croix. Disparue avec l’Ancien régime, l’amende honorable a été rétablie en 1825 par une loi dite « du sacrilège », qui disposait que « la profanation des hosties consacrées commise publiquement sera punie de mort ; l’exécution sera précédée de l’amende honorable faite par le condamné ».
  • Expiation : Interrogé dans 20 minutes par Anne-Laetitia Béraud, le politologue Eddy Fougier, chercheur associé à l’IRIS, a vu dans Nadine Morano « une victime expiatoire de la droite ». L’expiation était une cérémonie religieuse destinée à apaiser la colère des dieux.
Métaphores profanes ou signes d'une religiosité subliminale ? Dans un « pays judéo-chrétien », la seconde hypothèse a sa place. Nadine Morano et ses défenseurs n'ont pas manqué d'invoquer à leur tour des concepts religieux : procès en sorcellerie, bouc émissaire, etc. C’est assez classique, mais particulièrement défendable en l’espèce : pour son propre camp, l’eurodéputée est désormais un ange déchu.

Michel Le Séac'h
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