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08 janvier 2025

La petite phrase la plus importante de Jean-Marie Le Pen

 Y a-t-il un homme politique auquel on a attribué plus de « petites phrases » que Jean-Marie Le Pen ? Hormis le général de Gaulle, bien sûr… C’est peut-être en bonne partie pour cela que la locution « petite phrase » a pris une tonalité le plus souvent péjorative (ce qui n’était pas le cas voici cinquante ans comme le montrent les archives d’Ouest-France aussi bien que celles du Monde).

Dans la masse énorme des déclarations de Jean-Marie Le Pen, celle qui vient le plus spontanément à l’esprit est certainement « Les chambres à gaz sont un détail ». Le cas est exemplaire. D’abord, il montre une fois de plus que les petites phrases les plus fortes ne portent pas sur des programmes électoraux mais sur des convictions ou des attitudes. Surtout, il illustre bien le phénomène d'amélioration subi par beaucoup de petites phrases émergentes : les auditeurs – ou des commentateurs plus ou moins bienveillants – tendent à les optimiser
‑ afin d’installer un logos plus concis et plus percutant,
‑ et/ou correspondant au mieux à la réputation du locuteur, à son ethos,
‑ et/ou faisant mieux écho aux sentiments du public, à son pathos.


Interrogé en 1987 sur les chambres à gaz nazies par un Grand Jury RTL-Le Monde, Jean-Marie Le Pen, voit évidemment la question comme un piège. Il répond : « Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». La déclaration est aussitôt reformulée, du relatif on fait un absolu : « Les chambres à gaz sont un détail ». La petite phrase est moins dans la bouche de Jean-Marie Le Pen que dans l’oreille des auditeurs ou dans le stylo des commentateurs. Il aura beau soutenir que l’important est que les gens ont été tués et non la manière dont ils l’ont été, la cause est entendue et jugée instantanément. La petite phrase n’est pas seulement citée abondamment, elle produit des effets politiques jusqu’à nos jours.

Cependant, si cette petite phrase est probablement celle qui a le plus marqué la carrière politique personnelle de Jean-Marie Le Pen, et qui est rappelée avec le plus d'insistance depuis son décès hier, 7 janvier 2025, ce n’est probablement pas celle qui aura pesé le plus lourd sur la vie politique française. L’Institut national de l’audiovisuel (INA) l’a rappelé fin 2023 lors de la discussion du projet de loi sur l’immigration.

« L’immigration est depuis des décennies au cœur des débats politiques et a d’ailleurs été sujet à de petites phrases que l’on retient », note l’INA. Celui-ci a fait appel à Pascal Perrineau pour une « analyse de la phrase de Jean-Marie Le Pen : "La véritable vague déferlante de l'immigration" ». Cette phrase a été prononcée le 13 février 1984 au cours de l'émission L'Heure de vérité, diffusée sur Antenne 2. Là aussi, la petite phrase est optimisée, ou du moins raccourcie, puisque la formule originale était celle-ci : « …la véritable vague déferlante de l’immigration en provenance du tiers-monde vers un pays comme le nôtre frappé par la dénatalité. »

La rive fertile du Rubicon

« Alors là on entre vraiment dans le dur », commente Pascal Perrineau. « Ça annonce le discours sur le grand remplacement. Le discours de Jean-Marie Le Pen qui est un discours relativement marginal au début va peu à peu s'imposer et être au centre du débat comme il l'est aujourd'hui ». Le Front National, alors donné à 4 % dans les sondages, obtient presque 11 % des voix à l’élection européenne quelques semaines plus tard.

L’importance politique de cette petite phrase dépasse de beaucoup cette élection. À l’époque, la base du Parti communiste voit l’immigration d’un mauvais œil. En 1980, la mairie communiste de Vitry a fait détruire par un bulldozer un foyer pour émigrés. Une partie des socialistes s’interrogent. En 1988, Michel Rocard déclare que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Cette petite phrase restée célèbre elle aussi, est accueillie par un tollé chez les penseurs de gauche. Pour la majorité d’entre eux, la critique de l’immigration est l’apanage du Front National, un sujet interdit aux autres partis. Les jeux sont faits : « L'immigration va devenir un fonds de commerce prospère pour le Front National », constate Pascal Perrineau. La gauche, elle, demeure dans sa quasi-totalité sur l’autre rive du Rubicon qu’est devenue pour elle la petite phrase de 1984.

« L’extrême-droite, ce sont de fausses réponses à de vraies questions », admet pourtant le Premier ministre Laurent Fabius quelques mois plus tard. Mais faute de proposer de « vraies réponses » et un récit audible sur l’immigration, la gauche se condamne à voir son propre fonds de commerce s’étioler le jour où ces vraies questions deviennent un souci majeur pour les électeurs au point qu'ils franchissent eux aussi le Rubicon. Il serait excessif de dire que la petite phrase de Jean-Marie Le Pen en 1984 a « fait l’histoire », mais elle a du moins contribué à installer une situation dont les partis de gauche auront du mal à s’extraire sans casse.

Michel Le Séac’h

Jean-Marie Le Pen le 1er mai 2007, photo Marie-Lan Nguyen, sous licence CC BY 2.5 via commons.wikimedia.org

10 novembre 2023

« Les chambres à gaz sont un détail » : une petite phrase encore puissante trente-six ans plus tard

Des citoyens peuvent-ils participer à une manifestation contre l’antisémitisme alors que le président de leur parti vient de déclarer qu’à son avis le fondateur d’un parti dont le sien est issu n’était pas antisémite ? À Lilliput, un tel débat aurait quelque chose de la querelle entre gros-boutiens et petit-boutiens. Mais nous sommes en France : les mots ont un sens et non deux bouts. « Antisémitisme » désigne aussi bien la pratique active du pogrom que les considérations historiques illégales pour lesquelles Jean-Marie Le Pen a été condamné*. Et les polémiques autour de la participation du Rassemblement national à la manifestation organisée le 12 novembre 2023 par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale illustrent bruyamment l’importance des petites phrases.

Tout vient de ce dialogue sur BFM TV, le 5 novembre, entre le journaliste Benjamin Duhamel et Jordan Bardella, président du Rassemblement national :

‑ Est ce qu'il n'y a pas unparadoxe à porter la cause de la lutte contre l'antisémitisme comme vous le faites à l'instant quand on est patron d'un parti qui a été dirigé pendant près de 40 ans par un condamné pour négationnisme et pour des propos notoirement antisémites ?

‑ Je pourrais vous rappeler que M. Faure est l'héritier d'un mouvement politique qui a fait élire à la tête du pays M. Mitterrand qui a reçu des mains du maréchal Pétain la plus haute distinction du régime de Vichy. […]

‑ Moi je vous pose une question précise sur l'héritage du Front national devenu Rassemblement national dirigé pendant près de 40 ans par Jean-Marie Le Pen.

‑ M. Duhamel, la rupture politique entre Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen en 2015 a précisément eu lieu sur la question de l'antisémitisme, allant même jusqu'à exclure son propre père.

‑ Jean-Marie Le Pen, il n'est pas antisémite ?

‑ et euh... je ne le crois pas... je ne sonde pas les cœurs et les reins,  je ne le crois pas.

‑ Ah vous ne croyez pas que Jean-Marie Le Pen est antisémite ?

‑ Non je ne le crois pas…

‑ Mais il a quand même été condamné plusieurs fois pour cela.

‑ …maintenant, je suis né en 1995 et vous me parlez d'un temps que je n'ai pas connu […]

‑ Donc Jean-Marie Le Pen pour vous n'était pas antisémite... n'est pas antisémite.

‑ Non mais je ne suis pas juge, M. Duhamel.

‑ Ben les juges ont parlé puisqu'il a été condamné.

‑ Ben… les juges ont parlé, je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite. Maintenant, euh, je n'aurais évidemment pas tenu les propos qu'il a tenus sur, euh, le point de détail parce que pour moi l'horreur de la Shoah n'est pas un point de détail de l'histoire.

Le plus étonnant dans cette affaire est que M. Bardella, politicien chevronné malgré son jeune âge, se soit laissé aller à répondre : « je ne le crois pas ». Il connaissait certainement l’histoire du « point de détail » de 1987, il savait quelle était la « bonne » réponse et il était sûrement conscient que la question initiale visait à le piéger. Naïveté et sincérité voisinent dangereusement dans le débat politique. « Les adversaires du RN se délectent, depuis dimanche soir, du faux pas du jeune dirigeant », constate Clément Guillou dans Le Monde.

« Jean-Marie Le Pen n’est pas antisémite » est une formule moins puissante émotionnellement ‑ moins diabolisante ‑ que « les chambres à gaz sont un détail ». Et l’esprit ne saisit pas toujours bien les négations, a fortiori une négation d’un « anti ». Les commentateurs s’attachent donc plutôt à la deuxième phrase. Ainsi, une déclaration plutôt alambiquée (« Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé, je n'ai pas pu moi-même en voir, je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième guerre mondiale »), concernant des actes commis il y a quatre-vingts ans dans un pays étranger par un régime disparu, prononcée il y a trente-six ans par un homme aujourd’hui âgé de 95 ans, retiré depuis longtemps de la vie politique, tient encore une place considérable dans les débats politiques contemporains en France.

Ce faisant, ils soulignent l’incroyable puissance des petites phrases. Ils mettent aussi en évidence leur caractère de micro-rhétorique :

Logos Ce qui rend saillante la phrase de Jean-Marie Le Pen n’est pas son contenu littéral mais son sous-entendu réel ou supposé (« Je ne crois pas que les chambres à gaz aient existé »).

Ethos : Ce sous-entendu est légitimé par la réputation de l’auteur de la phrase.

Pathos : Lequel fait l’objet d’une forte hostilité de la part du public.

Michel Le Séac’h

* Si l’on veut entrer dans les… détails, Jean-Marie Le Pen a été condamné pénalement pour antisémitisme une seule fois, à la suite de ces propos tenus en 1986 : « Je dédie votre accueil à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Ivan Levaï, à Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays. Ces gens-là sont la honte de leur pays. » Les quatre journalistes cités étaient notoirement d’origine juive, ce qui a motivé la condamnation. Jean-Marie Le Pen a aussi été condamné pour injures et pour contestation de crimes contre l’humanité en raison de sa phrase de 1987 sur les chambres à gaz. De plus, il a été condamné par des tribunaux civils à verser d’importants dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du code civil (« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ») en raison de la douleur morale infligée aux plaignants par ses propos.

Photo BootEXE : Jordan Bardella au Parlement Européen de Strasbourg en septembre 2022 via Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 4.0 DEED

19 septembre 2015

Les hommes politiques les plus souvent associés à une petite phrase

Qui sont les hommes politiques les plus souvent associés à l’expression « petite phrase » par les moteurs de recherche ? Pour s’en faire une idée, voici les résultats d’une recherche effectuée le 18 septembre. Le classement est établi sur la base des résultats de Google pour un échantillon de personnages politiques contemporains (« petite phrase » + prénom et nom du personnage concerné). On note une relative cohérence du classement relatif d’un moteur de recherche à l’autre. Seuls le score de François Hollande sur Bing et ceux d’Emmanuel Macron et de Ségolène Royal sur Exalead étonnent vraiment, sans qu’on puisse les expliquer.

Cette petite compilation n’a rien de scientifique bien sûr. Elle ne dit pas si les personnages répertoriés sont cités comme auteurs ou comme victimes de petites phrases, ou même si deux sujets sans rapport entre eux voisinaient sur une même page web. Elle ne distingue pas les citations originales et les reprises, et pas davantage la tonalité des commentaires. Etc. Elle répond juste à la question qui ouvre ce billet.

D’après ce classement, Marine Le Pen dépasse son père et Emmanuel Macron a fait un démarrage fracassant. Car l’ancienneté joue logiquement un rôle : ainsi, Jacques Chirac figure encore à un rang élevé alors qu’il est retiré de la vie publique depuis des années. Si François Mitterrand figurait dans ce classement, il se situerait entre Jean-Marie Le Pen et Laurent Fabius alors qu’il est mort en 1996, à une époque où l’internet commençait à peine à toucher le grand public. Le général de Gaulle lui-même, disparu en 1969, s’intercalerait entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.

Google
Bing
Exalead
Nicolas Sarkozy
86100
19500
12138
François Hollande
83700
33600
8179
Manuel Valls
51500
12500
3163
Marine Le Pen
44100
12700
2478
Ségolène Royal
39400
12900
3822
Jacques Chirac
31900
14000
1642
Jean-Marie Le Pen
26300
12100
1038
Laurent Fabius
24500
10400
1193
Alain Juppé
24300
12900
1206
François Fillon
24000
8800
2034
Martine Aubry
19200
9380
2228
Emmanuel Macron
19000
10800
344
Jean-Luc Mélenchon
17400
6560
1276
François Bayrou
14900
6470
1285
Cécile Duflot
12800
5000
814