« L’anaphore est temporairement indisponible »,
assure Béatrice Toulon, la patronne de Maestria Consulting, spécialiste
de la formation à l’expression orale. L'anaphore, figure de style, qui consiste à
répéter le même mot au début de plusieurs phrases successives, a été mise en
valeur par le célèbre « moi président » de François Hollande. L’utiliser désormais serait passer pour un « copieur
ridicule ».
Par quoi la remplacer ? « Sachez que la
rhétorique dispose en rayon de l’épiphore », signale
Béatrice Toulon dans un intéressant commentaire inspiré par cette déclaration
de Bruno Le Maire au 7/9 de Patrick Cohen sur France Inter, lundi 14
septembre :
Ah ! bien Daesch est là,
ils tuent, ils égorgent.
Ils égorgent le responsable du
site de Palmyre, 72 ans, qui a consacré sa vie entière à garder le patrimoine
de l'humanité, c’est pas grave.
Ils égorgent des jeunes
soldats qui sont proches de nous, c’est pas grave.
Ils violent des femmes, c’est
pas grave.
Ils veulent étendre leur
emprise, c’est pas grave.
Ils menacent le Liban qui est
un pays frère de la France, c’est pas grave.
Ils pourraient laisser
s’installer bientôt des troupes iraniennes à proximité de l’Etat d’Israël dont
nous avons toujours dit que nous garantirions la sécurité, c’est pas grave…
Le caractère incantatoire de l’épiphore*, est évident. Comme
l’anaphore, elle conduit à répéter plusieurs fois la même formule, mais à la fin des phrases et non au début. La
répétition joue un rôle clé dans la pérennisation d’une petite phrase. On n’est
jamais si bien servi que par soi-même : en répétant plusieurs fois une
même formule, l’orateur accroît ses chances de marquer les esprits.
Une petite phrase est rarement négative**. Le « c’est
pas grave » de Bruno Le Maire l’est-il ? Évidemment non :
c’est une antiphrase. Ne risquait-elle pas d’être prise au premier degré ?
Manifestement, Bruno Le Maire ne le craignait pas. Il se sentait sur la même
longueur d’onde que son auditoire. Et l’on voit là une autre caractéristique forte
des petites phrases réussies : leur alignement avec la culture du public.
Bruno Le Maire a tout de même pris une petite précaution
oratoire en utilisant la formule relâchée « c’est pas grave »
et non le plus formel « ce n’est pas grave », ce qui revenait à dire
implicitement : « On se comprend à demi-mot, n’est-ce
pas ? ».
Michel Le Séac’h
____________
* Le mot « épiphore » est inconnu de
l’Académie française, tout comme son synonyme « épistrophe ». Il
appartenait autrefois au domaine médical, désignant un écoulement lacrymal
permanent et douloureux. Il n’est que rarement utilisé pour désigner une figure
de style avant le 20e siècle. Il est cependant défini par le baron
Jakob-Friedrich von Bielfeld dans L'érudition universelle, ou analyse
abrégée de toutes les sciences, des beaux-arts et des belles lettres
(Berlin, 1768).
** Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, p. 223.
Photo de Bruno Le Maire : Thesupermat, Wikimedia
Commons, licence CC-BY-SA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire