La locution « petite phrase » est couramment présente dans la presse depuis plus d'un demi-siècle. Les archives du quotidien Ouest-France, on l’a vu, en révèlent un usage non exceptionnel dès les années 1960. Il en va de même de celles du journal Le Monde. Il est spécialement intéressant de constater que ses grandes plumes, régulières ou invitées, l’emploient sans barguigner. Or ce journal est à l’époque le « quotidien de référence » lu par toute la classe dirigeante, ou presque. On peut donc dire que la « petite phrase », même si elle reste parfois entourée de guillemets, est présente dès cette époque dans le vocabulaire de la politique.
En voici quelques exemples :
- André
Mandouze :
« Les deux phrases du plénipotentiaire français se suivaient sans interruption et s'adressaient à des journalistes. Celle du plénipotentiaire algérien répondait en d'autres circonstances à d'autres journalistes. Entre réciprocité de contextes et enchaînement de répliques il est une différence notable, très exactement la distance représentée par une toute petite phrase. Krim ne s'est pas contenté de dire que, une fois l'Algérie souveraine, le reste "irait de soi ". Il a cru bon de préciser aussitôt : "Mais seulement à ce moment-là." » – 3 juin 1961
- Raymond
Barrillon :
« Partout, la fameuse "peur du vide" l'emportait, mais d'autres sentiments jouaient aussi : l'angoisse paralysante d'un conflit qui dure, la crainte d'un antiparlementarisme toujours vivace affermi par trois années de dialogue direct entre le pouvoir et le "pays réel". Et puis, que pouvait bien signifier la petite phrase présidentielle de la veille sur l'article 16 qui pourrait être appliqué derechef "dans toute son étendue possible" ? » – 5 octobre 1961
- Michel
Tatu :
« À tort ou à raison, c'est cette petite phrase de M. Khrouchtchev, tirée d'un discours fleuve qui occupe vendredi plus de cinq pages entières de la Pravda, qui a fait le plus de bruit dans les milieux étrangers de Moscou. » – 27 avril 1963
- Alain
Clément :
« Une petite phrase du discours prononcé à Francfort par le président Kennedy, et passée presque inaperçue en Europe, sauf au siège de la C.E.E. ("les grandes nations du monde libre doivent reprendre le contrôle des problèmes monétaires, si nous ne voulons pas qu'ils nous débordent"), fait l'objet de spéculations incessantes dans les cercles intéressés de Washington. » – 10 juillet 1963
- Yves
Florenne :
Quoi qu'il en soit, l'essai de M. Jurquin est d'une lecture fructueuse. Une toute petite phrase me donne seulement un peu à rêver, mais c'est la faute de ce vieux songeur de La Fontaine, si ingénument fermé à la dialectique. "Le temps de l'immoralité s'achève", dit M. Jurquin. Et voici la moralité de la fable : " »La raison la meilleure est défendue par les plus forts". » – 3 octobre 1963
- Claude
Julien :
« Aucune allusion n'a été faite à l'absence de toute délégation soviétique, pour la première fois en pareille circonstance. Une seule petite phrase a formulé le vœu que "les peuples des pays socialistes s'unissent", La présence de nombreux délégués venus des cinq continents aurait pourtant fourni une excellente occasion de faire rebondir la polémique avec Moscou. » – 4 mai 1964
- Alfred
Fabre-Luce :
« Il y a peu de semaines, on rêvait : M. Giscard d'Estaing, de candidatures multiples au sein de la majorité ; M. Lecanuet, d'un général de Gaulle prêt à s'incliner en tous cas devant le résultat des élections législatives. Le 28 octobre, deux petites phrases du chef de l'Etat nous ont rappelés à l'ordre. Ces deux phrases étaient pourtant assez sibyllines, mais des commentateurs les ont aussitôt traduites en termes fort clairs : candidature unique et recours éventuel à l'article 16. » – 8 décembre 1966
- André
Fontaine :
« "Mauvaises nouvelles de Russie. Les maximalistes triomphent." C'est en ces termes que Poincarré consigna dans son journal, le 8 novembre 1917, la victoire des bolcheviks à Pétrograd. Deux petites phrases de rien du tout, au milieu de longues considérations sur bien d'autres affaires. C'est peu pour un événement qui domine le siècle. On pense au fameux "rien" de Louis XVI, le 14 juillet 1789. » – 7 juin 1967
- François-Henri
de Virieu :
« Ceux qui pensent que M. Edgar Faure n'est pas allé plus loin à Grenoble qu'il n'avait été à Toulouse ont-ils raison ? Il ne semble pas. (…) mais les exégètes ne manqueront pas de déceler dans l'allocution de mardi suffisamment de "petites phrases" pour nourrir leurs commentaires. » – 9 mai 1968
- Alain
Jacob :
« L'organe du comité central rappelle d'ailleurs les critiques dont Novy Mir a déjà été l'objet dans le passé "pour avoir publié une série d'œuvres contenant des erreurs idéologiques et noircissant notre réalité". […] Si ce genre de dénonciations n'a rien d'inédit dans la presse soviétique, une petite phrase dans l'article de la Pravda sonne néanmoins comme une inquiétante menace : "L'opinion publique, y lit-on, a le droit d'attendre que la rédaction, de Novy Mir, tire enfin les conclusions qui s'imposent après cette critique." » – 8 mars 1969
- Roland
Delcour :
« "Finalement, je peux vous dire, conclut M. Giscard d'Estaing, qu'il n'y aura pas de petite phrase de plus succédant à la petite phrase de M. Pompidou à Rome. Il était naturel que M. Pompidou pense ce qu'il a pensé et il était seul juge de l'opportunité de le dire." » – 8 février 1969
- Pierre
Viansson-Ponté :
« M. Chaban-Delmas y trouve à peu de frais l'avantage de rassurer l'aile droite de la majorité et le parti de l'ordre, d'affirmer sa détermination, d'engager une polémique qui n'est pas sans rappeler celle des "petites phrases" du début de 1967, quand M. Pompidou avait fait grand cas d'une formule de la déclaration commune du P.C. et de la Fédération sur ce qui pouvait paraître comme la définition de la dictature du prolétariat. » – 20 septembre 1969
- Pierre
Drouin :
« Avec "l'affaire Renault" va s'ouvrir un nouveau chapitre de cette histoire déjà longue et tumultueuse de la "participation". Depuis la petite phrase de la conférence de presse de M. Georges Pompidou, faute d'information précise sur le contenu de cette forme d'actionnariat ouvrier ainsi relancée, on a prêté des intentions variées au président de la République. – 7 octobre 1969
- Jacques
Nobécourt :
« Le maréchal Tito a tenu samedi une conférence de presse destinée aux journalistes qui accompagnent M. Saragat. Il a résumé les sujets des entretiens et s'est félicité avec quelques nuances du climat de cordialité qui préside désormais aux relations entre les deux pays. Mais il a eu "une petite phrase" qui risque de provoquer quelques questions. » – 7 octobre 1969
- Paul-Jean
Franceschini :
« Au terme de sa déclaration, M. Brandt a placé une petite phrase singulière et qui, elle aussi, exigerait d'être explicitée : "Le gouvernement renonce délibérément aujourd'hui à s'engager au-delà du cadre fixé par cette déclaration ou à proposer des formules susceptibles de compliquer les négociations qu'il désire." » – 31 octobre 1969
- Claude
Durieux :
« Toujours au sujet des conflits sociaux, la deuxième chaîne, qui signalait la cessation de quelques grèves et divers accords d'entreprise, citait en images la "petite phrase" prononcée dimanche, à Strasbourg, par M. Chaban-Delmas ("Il n'y a pas de liberté sans autorité..."), tandis que la première chaîne donnait, avec des reportages, un panorama beaucoup plus vaste que la seconde sur les manifestations d'agriculteurs. » – 26 novembre 1969
- Pierre-Marie
Doutrelant :
« M. de Caffarelli, le président de la F.N.S.E.A., a eu une petite phrase curieuse jeudi en résumant les travaux du congrès : "La motion finale, a-t-il dit, c'est la sœur jumelle de la motion votée le 1er octobre au conseil national." » – 20 décembre 1969
M.L.S.
Illustration : ancien siège du journal Le Monde, 5 rue des Italiens, Paris, photo Tiraden, licence CC BY-SA 4.0
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