15 février 2023

Contr’Un, de Gaspard Kœnig : à l’Élysée, programme ou incarnation ?

La communication politique est en même temps vedette et paria dans le dernier livre de Gaspard Kœnig, Contre’Un – pour en finir avec l’élection présidentielle.

La première partie de Contr’Un (titre emprunté à Étienne de La Boétie), à la fois pratique et théorique, décrit les affres d’un philosophe embarqué dans une campagne présidentielle. Gaspard Kœnig a tenté l’aventure en 2022, sans obtenir les cinq cents parrainages nécessaires. Étrange tentative puisque ce candidat était hostile par principe à l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Pour lui, cette élection doit être celle d’un programme et non d’un homme : « Je ne pouvais pas prononcer les mots : "Je suis candidat à la présidence de la République." Trop pompeux, trop prétentieux, trop impudique. Et au fond, assez malhonnête par rapport à notre objectif : présenter un programme » (p. 42). Un objectif prégnant au point que sa propre directrice de campagne n’était pas sûre d’avoir compris qu’il s’était déclaré candidat.

Sa paralysie n’est pas seulement verbale. La gestuelle suit. Saluer la foule d’une estrade lui paraît « une rupture d’égalité irrémissible, contraire à l’esprit de la démocratie ». C’était trop pour lui : « Je ne pouvais pas faire ça. Mes bras restaient collés à mon corps. » Or la foule aspire à ce salut. Il lui faut du temps pour l’admettre, non sans gâcher l’occasion. « De guerre lasse, je me résolus à lever le bras, mais d’un air tellement contrit que les vivats s’arrêtaient net » (p. 45).

Sans doute y a-t-il de l’autodérision dans ce portrait d’un candidat empoté, mais Gaspard Kœnig y revient sans cesse : seul le programme compte, l’incarnation lui répugne. « Le point d’orgue de cette personnalisation constante est de savoir qui est, ou qui est vraiment comme on lit sur la couverture des magazines, le candidat. Je l’ignorais moi-même, et ce vaste exercice de psychanalyse participative ne m’a guère aidé » (p. 50). Mais est-il bien raisonnable d’aspirer à la présidence de la République quand on ne sait pas qui l’on est « vraiment » ?

Famille, timbre de voix et petites phrases

Ce qui n’empêche pas les certitudes, pourtant. Le philosophe ne prend jamais de recul par rapport à ses propres conceptions. Jamais il ne se demande pourquoi les citoyens aspirent à une incarnation. « S'intéresse-t-on encore à la famille de l'un, au timbre de voix de l'autre, aux petites phrases du troisième ? », demande-t-il (p. 12). À cet « encore », on devine une foi dans l’amélioration du citoyen avec le temps. « Qu’y a-t-il de plus médiéval que ces bains de foule, à mi-chemin entre la guérison des écrouelles et le baiser aux reliques ? », note-t-il aussi (p. 57). Il remonte même plus loin dans l’évolution du vivant : « TGV après TGV, photo après photo, je me sentais comme une bête qui pisse pour marquer son territoire »(p. 56).

Ce n’est pas une simple métaphore. Gaspard Kœnig y revient implicitement, plus loin, en citant l’historien Raymond Huard : « Il apparaît bien que le principe de l’élection d’un "chef", représentant la nation et auquel on s’en remet pour assurer le fonctionnement de l’État, corresponde – même si on peut le regretter – à une structure mentale encore fortement enracinée dans les esprits, au moins au stade actuel du développement de l’humanité. » Et le philosophe d’ajouter : « N’est-il pas temps de changer de structure mentale, de passer à un autre stade de développement de l’humanité ? » (p. 177). Le « il faut dissoudre le peuple » de Bertolt Brecht n’est pas loin. Mais chez le dramaturge allemand, c’était une plaisanterie.

Le temps des programmes est-il venu ou passé ?

Face aux indices qui brossent le tableau impressionniste d’une personnalité politique, Gaspard Kœnig n’en a que pour les idées. « S’il est difficile de dissimuler des idées, il est en revanche aisé de maquiller ses traits de caractère », affirme-t-il, comme si le mensonge n’existait pas en politique. Il déplore « l'absence quasi générale de doctrines et de programmes »* (p. 12). 

* Notation paradoxale puisque, depuis le Programme commun de gouvernement de l’Union de la gauche en 1972, doctrines et programme ont proliféré comme jamais auparavant. Même si, comme le montre Ngram Viewer de Google, le mouvement semble avoir brutalement décéléré :

À l’inverse de ce que désire Gaspard Kœnig, il n’y a pas dépassement de l’homme politique par le programme politique. Au contraire, ce dernier paraît plutôt avoir fait son temps. En 2022, Emmanuel Macron n’a affiché le sien qu’à la mi-mars, à un moment où les jeux étaient déjà faits. Le Parti socialiste avait préparé le sien avec soin ; il n’a pas atteint 2 % des voix – et on l’a reproché à sa candidate, pas à son programme. Éric Zemmour avait dépassé 17 % des intentions de vote avant de présenter un programme, il est tombé à 7 % ensuite.

 Gaspard Kœnig n’a pas subi la même épreuve faute d’avoir pu aller au bout de sa candidature, mais il ne peut admettre que oui, en effet, encore et toujours, depuis aussi loin que l’histoire peut le déterminer, on s’intéresse « à la famille de l'un, au timbre de voix de l'autre, aux petites phrases du troisième ».

Le citoyen a-t-il tort ou n’est-ce pas plutôt le philosophe qui contrarie sa propre nature en visant la présidence de la République ? « Oui, oui. Mais tu vois… les gens veulent quand même un chef », lui fait observer Hervé Novelli. Il répond : « Un chef ? Je ne sais pas. Je n’ai pas franchement envie d’être chef »(p. 73). La cause devrait être entendue…

L’incarnation par les petites phrases

Après ces considérations (im)pratiques sur sa propre vocation, Gaspard Kœnig, dans une deuxième partie intitulée « L’Adieu au Général », passe en revue la conception gaullienne du pouvoir. De Gaulle est pour lui « l’homme du 8 juin », car l’élection du président au suffrage universel direct, objet du discours du 8 juin 1962, « représente une rupture majeure dans notre histoire républicaine, faisant d’un homme non plus la clé de voûte, mais le pilier central de nos institutions. Cette concentration de la légitimité démocratique en un seul et unique point transforme le débat public en un pugilat de personnalités qui ne peuvent avoir d’autres objectifs que la présidence » (p. 119).

Ce qui se traduit dans la communication politique par « ces formules répétées, souvent moquées, où de Gaulle se voit comme l’incarnation de la nation, par-delà toute légalité démocratique » (p. 145). En d’autres termes, des petites phrases, témoins et outils de cette incarnation. Gaspard Kœnig analyse avec subtilité la pensée du Général mais, tout à sa condamnation de la personnalisation du pouvoir, il omet de se demander en quoi elle rejoint ou pas les aspirations du peuple. Et même quand il évoque celles-ci, c’est pour les déplorer : « Le peuple réclame son guide. Et il ne supporte pas ceux qui trahissent le devoir d’incarnation : François Hollande, le seul président à avoir voulu rester "normal" au mépris de l’anormalité propre à la fonction, ne fut pas à même de se représenter » (p. 146).

Souveraineté dispersée

Dans une troisième partie, Gaspard Kœnig se demande comment, en pratique, instaurer son idéal. Surprise : il préconise en premier lieu de « revenir à la Ve République », celle de 1958, d’avant le funeste référendum du 28 octobre 1962 qui a instauré l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Deuxième surprise : lui qui déplorait chez le citoyen amateur d’incarnation présidentielle « une structure mentale encore fortement enracinée dans les esprits », il déclare soudain : « l’homme est un animal politique parce que la politique est jouissive, parce qu’on y trouve une réalisation de soi ». Et d’envisager dans « la dispute, disputatio scolastique ou engueulade au café des Sports, un principe de plaisir » (p. 197). À condition toutefois que ces discussions « politiques » se cantonnent à des sujets anodins…

Ce qui est plus facilement le cas, par définition, à un niveau décentralisé, c’est pourquoi le message de Gaspard Kœnig dans ce livre est finalement un plaidoyer en faveur d’une « souveraineté dispersée » assurée par une démocratie locale directe et une démocratie délégative au niveau national. Qu’il espère à l’horizon 2058.

M.L.S.

Gaspard Koenig, Contr’Un – pour en finir avec l’élection présidentielle
Éditions de l’Observatoire, 240 pages, 20 €
ISBN 979-10-329-2650-5

20 janvier 2023

Revenir sur une petite phrase : l’astuce tactique d’Emmanuel Macron à propos de la crise climatique

« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » Cette question abracadabrantesque posée par Emmanuel Macron dans ses vœux aux Français le 31 décembre 2022 a été largement qualifiée de « petite phrase ». Elle a aussitôt soulevé sarcasmes et indignation.

Le président de la République a attendu le 17 janvier pour revenir sur le sujet dans une vidéo de sa chaîne YouTube. Pourquoi un si long délai alors que ce qu’il avait à dire pour sa défense était au fond assez simple ? Peut-être parce qu’il a tenu à ce que sa vidéo ne soit pas défensive. Elle est présentée comme la troisième d’une série intitulée « Vos questions sur l’écologie ». Sans doute a-t-il fallu un peu de temps pour la réaliser.


La réponse à la petite phrase du 31 décembre y est traitée comme un simple préambule. Elle occupe à peine une minute et demie sur un total de près de dix-huit minutes. Mais bien entendu, les médias et une bonne partie des internautes n’ont eu d’oreilles que pour cette minute et demie, et non pour les questions plus pratiques posées par le public sur la taxe carbone, les emballages plastiques ou… le compost à l’Élysée. « "Qui aurait pu prédire la crise climatique" : Macron s'explique après sa phrase polémique » titre par exemple L’Indépendant.

Emmanuel Macron se garde bien de dénoncer « une phrase sortie de son contexte », comme le font tant de politiques et comme il l’avait fait lui-même voici deux ans et demi face à Gilles Bouleau et Léa Salamé. Cette riposte quasi pavlovienne a largement prouvé son peu d’efficacité. Il ne tente pas non plus d’ajouter à sa petite phrase un volet qu’il aurait pensé sans le dire, comme l’avait fait Michel Rocard après son célèbre « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Pour prospérer, un tel tour de passe-passe suppose d’avoir dans la presse de bons amis qui font mine d’y croire. Michel Rocard les avait, Emmanuel Macron probablement pas.

Une bourde mise au passif de… celui qui l’écoute

Le chef de l’État ne revient pas sur ses propos, il ne tente pas une explication de texte. En fait, il change carrément son fusil d’épaule : « Qu'est-ce que j'ai simplement voulu dire ? C'est qu'au fond, ça a été encore plus vite que prévu. » Ce qui est tout de même éloigné de « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » mais coupe court à toute nécessité d’explication.

Et loin de se livrer à une autocritique pour une petite phrase évidemment ambiguë, ou de rejeter la faute sur le rédacteur de ses vœux, il contre-attaque en des termes assez durs : « On a voulu me faire dire que, au fond, je n'aurais jamais lu aucun rapport du GIEC, de l'IPBES, de tous les experts… j'ai le sentiment qu'il y a eu quand même beaucoup de mauvaise foi derrière ce qui s'est passé ces derniers jours… on a voulu me caricaturer en un message de déni. » Il prend l’avantage – il saisit l’avantage, pourrait-on dire – en jouant de l’absurdité de la situation : comme personne ne pouvait raisonnablement croire ce qu’il a dit, ceux qui ont critiqué ses propos sont forcément de mauvaise foi !

L’inversion accusatoire est souvent efficace. Ici, en plus, la question des retraites et des grèves occupait les esprits. La mise au point aura donc été perçue surtout par les milieux les plus concernés, en particulier les scientifiques. Emmanuel Macron a sans doute joué habilement en s’exprimant pour référence, comme en passant, sans risquer de relancer une polémique et en adoptant une posture d’autorité plutôt qu’en se victimisant.

Michel Le Séac’h

Illustration : saisie d'écran, chaîne YouTube d'Emmanuel Macron

18 janvier 2023

L’intelligence artificielle de ChatGPT et les petites phrases

OpenAI, « société de recherche et de déploiement » spécialiste de l’intelligence artificielle installée à San Francisco, a superbement réussi le pré-lancement de son robot conversationnel ChatGPT. Cet outil répond en langage naturel à toutes sortes de questions grâce à une énorme base de données. Pour les besoins de sa mise au point, il est accessible en ligne gratuitement et croule sous les connexions.

Toutes les disciplines, dirait-on, ont voulu savoir ce que ChatGPT pouvait dire d’elles. À notre tour, interrogeons le robot sur les petites phrases :

  • [Question] : Qu'est-ce qu'une petite phrase ?
  • [Réponse] : Une petite phrase est une expression courte et concise qui peut avoir plusieurs significations ou utilisations différentes. Elle peut être utilisée pour résumer une idée, pour exprimer une émotion ou pour formuler une question.

Étrangement, si l’on relance aussitôt le robot, ses réponses varient quelque peu : 

  • Qu'est-ce qu'une petite phrase ?
  • Une petite phrase est une phrase courte et concise qui exprime une idée simple. Elle peut être utilisée pour résumer une idée, communiquer une émotion ou une pensée, ou pour attirer l'attention sur un point particulier. Les petites phrases peuvent être utilisées dans divers contextes, comme les slogans publicitaires, les citations ou les proverbes.

Puis :

  • Qu'est-ce qu'une petite phrase ?
  • Une petite phrase est une phrase courte et simple qui exprime une idée ou une pensée. Elle peut être utilisée pour résumer une idée plus complexe ou pour communiquer une information de manière concise.

Ces réponses cursives ne sont pas totalement homogènes. L’émotion est absente de la troisième, par exemple. La première envisage qu’une petite phrase ait « plusieurs significations ou utilisations différentes » alors que pour la seconde elle « exprime une idée simple ». Toutes cependant s’entendent pour attribuer à la petite phrase un but pratique : elle est « utilisée ». Mais par qui ? Car on note surtout qu’aucune des trois définitions n’accorde de place au locuteur, alors qu’une petite phrase a toujours un auteur. Implicitement, la seconde définition évacue celui-ci en confondant petites phrases, slogans, citations et proverbes. L’auditoire est pareillement oublié. Si elles ne sont pas absurdes, les définitions de la petite phrase données par ChatGPT sont d’une simplicité abusive.

Leur reprochera-t-on de ne pas rattacher la petite phrase à la communication politique ? Paradoxalement, si l’on s’élève d’un échelon dans la complexité de la question, ChatGPT se montre plus convaincant :

  • Les petites phrases sont-elles propres aux hommes politiques ?
  • Les petites phrases sont souvent associées aux hommes politiques car ils utilisent souvent des expressions courtes et mémorables pour communiquer avec leurs électeurs ou les membres de la presse. Cependant, les petites phrases peuvent également être utilisées dans d’autres domaines, tels que la publicité, les discours d’entreprise ou les conversations de tous les jours. Les petites phrases sont utilisées pour capter l’attention et pour faire passer un message de manière efficace.

C’est bien vu. On note surtout qu’ici « capter l’attention » renvoie implicitement à l’auditoire et « faire passer un message » au locuteur.

Puisque ChatGPT paraît plus à l’aise avec les questions complexes qu’avec les questions simples, poursuivons dans cette voie :

  • Les petites phrases sont-elles toujours positives ?
  • Les petites phrases ne sont pas toujours positives. En fait, elles peuvent être utilisées pour exprimer des idées, des opinions ou des émotions négatives. Les petites phrases peuvent être utilisées pour critiquer ou pour dénigrer une personne, une idée ou un groupe. Les petites phrases peuvent également être utilisées pour tromper ou manipuler les gens. Il est donc important de considérer le contexte et de vérifier la véracité des informations avant de croire ou de partager une petite phrase.

Puis :

  • Parler de petite phrase assassine est excessif car personne ne meurt
  • Vous avez raison, parler de "petite phrase assassine" est certainement excessif car personne ne meurt. Cependant, il est vrai que certaines petites phrases peuvent être très nocives ou offensantes, et peuvent causer de la douleur ou de la désinformation. Les petites phrases peuvent être utilisées pour propager la haine, l'intolérance ou la discrimination, ou pour dénigrer une personne ou un groupe de personnes. Il est donc important de réfléchir aux conséquences de nos paroles avant de les utiliser, et de prendre soin de ne pas blesser ou offenser les autres avec nos propos.

Pas mal trop mal. Cependant, dans ces deux derniers cas, les réserves formulées in fine derrière « il est donc important de » ont de quoi surprendre. OpenAI a probablement cédé à l’immense pression du politiquement correct à l’américaine : il ne fallait pas que ChatGPT puisse donner l’impression de préconiser l’usage de petites phrases négatives, voire « assassines ». Mais ces leçons morales élémentaires donnent l’impression qu’il prend ses utilisateurs pour des débiles. « L’intelligence artificielle est l’inverse de la connerie naturelle », plaisantait-on autrefois…

Enfin, si l’on interroge le robot sur des petites phrases spécifiques, on constate qu’il a du mal à contextualiser. Il ne reconnaît pas ces formules comme des petites phrases attachées à un personnage et à des circonstances spécifiques. Il les interprète au premier degré et disserte sur elles en conséquence sans percevoir le sous-entendu qu’elles recèlent presque toujours, l’élément de connivence entre leur auteur et leur auditoire.

En voici un exemple célèbre qui a une longue histoire puisqu’il date de 1989 :

  • La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
  • Il est vrai que la France, comme tous les autres pays, a ses propres limites et contraintes en termes de capacité à accueillir des réfugiés et des migrants. Cependant, il est important de se rappeler que les personnes qui fuient la pauvreté, la persécution ou les conflits sont des individus qui cherchent à améliorer leur vie et celle de leur famille. Il est important de traiter ces personnes avec dignité et compassion, et de chercher des solutions qui tiennent compte de leurs besoins et de leurs droits. Il est également important de souligner que la migration est un phénomène mondial qui ne peut être résolu par un seul pays seul, mais qui nécessite une coopération internationale pour résoudre les causes sous-jacentes qui poussent les gens à migrer.

ChatGPT reconnaît, ce qui est déjà remarquable en soi, que cette phrase porte en réalité sur l’immigration et pas sur « la misère » en général. Mais il s’empresse de dérouler longuement un prêchi-prêcha très conventionnel, en vue apparemment de valider ou pas son affirmation. Surtout, il passe totalement à côté du destin de cette phrase dans la vie politique française et ne l’associe même pas à son auteur, Michel Rocard.

ChatGPT peine davantage encore sur un sujet plus récent :

  • Je traverse la rue, je vous trouve du travail.
  • Il s'agit d'une expression idiomatique qui signifie que quelque chose est facile à réaliser, ou que la personne qui parle est confiante dans sa capacité à réussir. Cela peut sous-entendre que la tâche en question est simple ou qu'il y a peu de défis à relever. Cette expression est souvent utilisée pour exprimer une attitude décontractée ou insouciante envers une tâche qui est considérée comme facile à accomplir.

Si l’on soumet la petite phrase au moteur de recherche de Google, ses résultats l’associent à Emmanuel Macron dans plus des trois quarts des cas. Cette expression est « souvent utilisée » non pour exprimer la décontraction dans l’absolu mais pour illustrer une attitude méprisante prêtée au chef de l’État. Là, on est tenté de dire que ChatGPT n’est pas seulement insuffisant mais qu’il se trompe largement. À moins que la formule ne soit trop banale pour que l’intelligence artificielle pense à l’associer au président de la République ? Essayons alors une déclaration plus spécifique :

  • Les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder.
  • Il est important de rappeler que chaque individu a le droit de prendre des décisions concernant sa santé en toute connaissance de cause. Il est également important de respecter les opinions et les croyances des autres, même si elles diffèrent des nôtres. Parler de vouloir "emmerder" les personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner peut être vu comme étant inapproprié et manque de respect envers les individus concernés. Il est important de rappeler que la vaccination est une décision personnelle et qu'il est important de respecter les choix de chacun.

Là encore, ChatGPT passe complètement à côté des deux éléments capitaux qui n’échapperaient pas à un Français moyen : cette phrase concerne la vaccination anti-Covid et a été prononcée par le président de la République. À ce dernier, le robot dispense consciencieusement une leçon de morale. Il assortit même la question comme la réponse de cette mention inscrite en rouge : « This content may violate our content policy. If you believe this to be in error, please submit your feedback — your input will aid our research in this area. » Sans nul doute, le mot « emmerder » en est la cause, même entre guillemets. Décidément, le politiquement correct est un lourd fardeau pour ChatGPT.

Un dernier exemple de petites phrase réelle retourne une réponse plutôt cocasse :

  • Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?
  • Je suis désolé, mais en tant que modèle de traitement du langage, je ne suis pas capable de dire qui a imaginé ou a mis en scène un tel scénario, surtout que cela n'a jamais été le cas en réalité. Le général Charles de Gaulle était un dirigeant politique français important et influent du XXe siècle, et il n'a jamais été mis en examen dans sa carrière politique. Il a plutôt été élu président de la république française, et a dirigé le pays pendant plusieurs années.

Cette fois, ChatGPT se soucie de l’auteur de la phrase (« qui a imaginé… ») sans  trouver François Fillon, ce qui semble indiquer que sa base de données n’est pas si riche en réalité. Mais au lieu de décrire les circonstances dans lesquelles cette petite phrase a été prononcée, il s’embarque dans un cours d’histoire élémentaire, d’ailleurs pas tout à fait exact puisque le général de Gaulle a été non seulement inculpé mais condamné deux fois en 1940, dont une fois à la peine de mort.

En réalité, ChatGPT n’est jamais aussi convaincant que lorsqu’il n’a rien à dire. Là encore, pourtant, il lui arrive de ne pas être aussi exact qu’on pourrait le souhaiter :

  • Emmanuel Macron sera-t-il réélu en 2027 ?
  • Il est impossible de prédire avec certitude si Emmanuel Macron sera réélu en 2027, car cela dépendra de nombreux facteurs tels que l'évolution de la situation économique et politique en France, les actions et les politiques qu'il mettra en place au cours de son mandat, la popularité de ses concurrents, et les événements imprévus qui pourraient survenir. En tant que modèle de traitement du langage, je n'ai pas la capacité de prédire l'avenir et je suis formé à partir des données jusqu'à 2021, il est donc préférable de se concentrer sur les actions et les politiques actuelles et futures de Emmanuel Macron et de ses concurrents pour se faire une idée de son potentiel de réélection en 2027.

Peut-être ben qu’oui, peut-être ben qu'non, en somme. Or c’est faux : l’article 6 de la Constitution interdit à Emmanuel Macron d’effectuer plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Il est donc possible de prédire avec certitude qu’il ne sera pas réélu en 2027, sauf modification constitutionnelle d’ici là. Dommage : alors qu'il aurait eu l’occasion de donner une réponse précise et certaine, le système tombe dans un piège grossier.

ChatGPT parvient remarquablement à imiter le langage naturel. Ses textes sont impeccables dans leur forme. Pour le fond, c’est une autre affaire. En particulier, confronté à une petite phrase, le robot passe complètement à côté des sous-entendus. Pour le moment.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie partielle d’écran du site OpenAI, openai.com

14 janvier 2023

« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » : une petite phrase inexplicable d’Emmanuel Macron

À l’approche de sa réélection en 2022, Emmanuel Macron avait paru soucieux d’éviter les formules maladroites qui l’avaient probablement desservi aux premiers temps de son mandat[i] (« je traverse la rue », « on met un pognon dingue dans les minima sociaux », « des gens qui ne sont rien »…). À la toute fin de l’année, pourtant, lors de ses vœux pour 2023, il semble avoir retrouvé cette veine avec « Qui aurait pu prédire […] la crise climatique ? »

Les médias ont largement qualifié de « petite phrase » cette question rhétorique, parfois dès leurs titres :

  • Vœux : la phrase d'Emmanuel Macron sur le climat qui ne passe pas – Le Point
  • Vœux de Macron : "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?", cette petite phrase qui agace les scientifiques du Giec – Midi libre
  • « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » : la petite phrase polémique d’Emmanuel Macron – Ouest-France
  • "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?" : la petite phrase d'Emmanuel Macron agace les scientifiques – Francetvinfo
  • Une petite phrase d’Emmanuel Macron a bien du mal à passer à propos du réchauffement climatique – Sud Radio
  • Les scientifiques ont-ils raison d'être en colère après la petite phrase d'E.Macron sur la crise climatique ? – France Bleu
  • Nicolas Poincaré : La petite phrase polémique d'Emmanuel Macron sur le climat  BFMTV

Le thème de la « petite phrase qui ne passe pas » est repris par Francetvinfo, Orange, Gala, Le Huffington Post, L’Indépendant et quelques autres. Les échos de la déclaration présidentielle retentissent même à l’étranger. Elle suscite d’innombrables réactions dans les milieux politiques et scientifiques. Bien entendu, la plupart des commentateurs rappellent que le thème du réchauffement global est ancien : le premier rapport du GIEC date de 1990. La crise climatique est au centre de maints travaux de recherche et d’innombrables conversations de bistro. « "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?" Eh bien, beaucoup de gens, monsieur le président… », ironise L’Obs. C’est tellement évident que personne ne semble capable d’expliquer de manière plausible la logique du propos présidentiel.

Erreur délibérée ou simple gaffe ?

Interrogé par Le Point, Philippe Moreau-Chevrolet voit dans cette phrase une « erreur de communication » tout en envisageant qu’elle soit délibérée : « On peut y voir une démarche populiste pour parler à l'électorat qui vit l'écologie de manière punitive. Ou alors une phrase destinée à justifier une forme d'inaction environnementale. Une sorte de révisionnisme à dire qu'il n'y avait pas de consensus politique et qu'on ne pensait pas que ce serait si fort. » Autrement dit, c’est à n’y rien comprendre !

Pour le conseil en communication, « c'est dommage, car c'était un discours tiède et insipide dont on va retenir cette phrase, probablement rédigée trop vite sur un coin de table. » Elle serait donc de la veine des gaffes d’avant 2017 comme « le libéralisme est une valeur de gauche » ou « il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France ».

Cette thèse du coin de table est-elle soutenable ? Le texte des vœux présidentiels, reproduit sur le site web officiel de l’Élysée, a certainement été soupesé par une équipe de communicants chez qui l’amateurisme de Sibeth Ndiaye[ii] n’est plus de mise. Et Emmanuel Macron n’a sûrement pas oublié les éloges que lui avait valu « Make our planet great again[iii] ». Il sait aussi ce que l’image de Jacques Chirac doit à « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Est-il possible qu’il ait à ce point perdu de vue son simple intérêt politicien ?

 Un portrait par les petites phrases

Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher et les autres ministres qui ont tenté de corriger le tir dans les premiers jours de l’année ont tenu à rappeler les positions prises par Emmanuel Macron depuis son élection dans le domaine de l'écologie. Ils n’ont fait qu’approfondir le mystère : si le président est conscient du problème, pourquoi semble-t-il dire qu’il était imprévisible ?

L’explication la plus vraisemblable est plus prosaïque : thème anecdotique dans le discours, la crise climatique a été traitée par-dessous la jambe. Voici l’intégralité du passage où elle est abordée :

Je repense aux vœux que je vous présentais à la même heure, il y a un an. Qui aurait imaginé à  cet instant, que, pensant sortir avec beaucoup de difficultés d’une épidémie planétaire, nous  aurions à affronter en quelques semaines, d’inimaginables défis : la guerre revenue sur le sol  européen après l’agression russe jetant son dévolu sur l’Ukraine et sa démocratie ; des dizaines, peut-être des centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, une effroyable crise énergétique, une crise alimentaire menaçante, l’invocation des pires menaces, y compris nucléaires ? Qui aurait pu prédire la vague d’inflation, ainsi déclenchée ? Ou la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ?

Pour quarante-huit mots sur la guerre en Ukraine, treize sur la crise climatique. Le président revient brièvement sur le thème de l’environnement dans la suite de son discours[iv]. Mais globalement, ce thème n’y occupe qu’une place mineure et n’a peut-être pas reçu toute l’attention nécessaire. La question « Qui aurait pu prédire… ? » n’était peut être applicable qu’à l’inflation dans l’esprit des rédacteurs. Ou peut-être concernait-elle les « effets spectaculaires encore cet été », que personne n’avait vu venir, et non la crise climatique en tant que telle. La thèse du « coin de table » n’est pas absurde, finalement.

Les communicants de l’Élysée auront sans doute senti le vent du boulet. Si une phrase du président est ambiguë, mal construite, les médias et l’opinion demeurent tout disposés à l’interpréter de la manière la plus défavorable. Comme au temps des Gilets jaunes. En ce temps-là, leur quête de petites phrases présidentielles pouvait dénoter le désir de se faire un portrait d’un personnage encore mal connu. L’est-il mieux aujourd’hui ? Pas sûr. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Michel Le Séac’h


[i] Voir Michel Le Séac’h, Les petites phrases d’Emmanuel Macron, Paris, Librinova, 2022, chapitre 1.

[iv] « Parce que la transition écologique est une bataille que nous devrons gagner, il nous  faut la mener avec résolution et méthode. La planification écologique sera l’instrument de ce dépassement historique pour baisser nos émissions de C02 et sauver notre biodiversité. »

Illustration : copie partielle d'écran, site elysee.fr

02 janvier 2023

Ce que la locution « petite phrase » doit à Georges Séguy

Georges Séguy (1927-2016), secrétaire général de la CGT de 1967 à 1982, a éminemment contribué à l’essor de la locution « petite phrase ». Dans la France de son époque, il est probablement le leader qui use le plus de formules concises renfermant un message fort. La presse les désigne souvent comme des « petites phrases ». 

En ratissant large, même, de l’avis de l’intéressé : « Si, dans certaines circonstances, il m’est arrivé de prononcer des ‘’petites phrases’’ préméditées, j’ai eu souvent la surprise d’en découvrir qui n’étaient pas préméditées mais interprétées comme telles par les autres. (…) Il faut donc avoir une appréciation très nuancée sur ma capacité à prononcer, en chaque circonstance, les petites phrases appropriées(1). » Autrement dit, dès cette époque, les petites phrases sont aussi bien domestiques (elles sont délibérément prononcées par leur auteur) que sauvages (elles lui sont attribuées, à tort ou à raison par le public ou les médias).

La plus notable des petites phrases du dirigeant cégétiste date de 1969. L’année d’avant, il y a eu mai 68. Puis, en avril, le référendum raté et la démission du général de Gaulle, suivie de l’élection de Georges Pompidou comme président de la République en juin. Le 13 septembre 1969, lors d’une réunion à la Mutualité, Georges Séguy déclare : « l’anémie politique caractérise le début d’un septennat qui pourrait bien être de courte durée. »

Cette déclaration politico-syndicale, aussitôt qualifiée de « petite phrase » par plusieurs commentateurs, provoque de vifs remous. Le dirigeant du syndicat communiste appelle à la révolution politique ! 

Ce n’est pas un écart de langage. Quelques années plus tard, Georges Séguy persiste et signe : sa petite phrase était préméditée, « il s'agissait (…) de faire comprendre aux travailleurs que, en dehors des élections, il pouvait se produire des situations politiques susceptibles de faire évoluer et de précipiter les événements. C'est donc dans cet esprit que cette phrase a été prononcée et, si c'était à refaire, je le referais(2). »

Un acte de leadership

Autrement dit, avec sa petite phrase, Georges Séguy ne livre pas seulement un commentaire sur une situation, il se pose en chef politique et adresse un message de connivence au large public des « travailleurs ». Sa petite phrase est un acte de leadership. La presse, dans son ensemble, l’interprète ainsi. Le Nouvel Obs, par exemple, évoque deux mois plus tard « la fameuse petite phrase de Georges Séguy sur "l'alternative démocratique proche" »(3).

Et la « fameuse petite phrase de Georges Séguy » est souvent rappelée par les historiens de cette époque, comme Annie Kriegel et Guillaume Bourgeois(4). « Georges Séguy se plaît à donner le frisson au monde politique en prononçant des petites phrases sibyllines et énigmatiques comme celle-ci », rappellent aussi Didier Buffin et Dominique Gerbaud(5), parmi plusieurs autres(6).

Ainsi, dès septembre 1969, la locution « petite phrase » est présente dans le vocabulaire des médias, avec son sens contemporain. Elle ne reste pas un cas isolé puisque Georges Séguy sera l’auteur d’autres petites phrases faisant écho à celle de 1969. Le 22 février 1973, par exemple, Le Monde publie un article intitulé « Les syndicats et la campagne – Sur une nouvelle petite phrase de M. Georges Séguy »(7). Le 4 octobre 1973, Le Monde encore titre : « La "petite phrase" de M. Georges Séguy et ses suites »(8).

À cette date, la locution est entrée dans le vocabulaire du monde politique lui-même. « Plaise aux lecteurs de l'Humanité de demain matin, plaise au ciel, j'allais dire, que nous puissions retrouver cette nouvelle petite phrase en première page de ce journal », s’écrie Roger Chinaud à l’Assemblée nationale, toujours à propos d’une déclaration de Georges Séguy, le 9 octobre 1973(9).

Michel Le Séac’h

(1) Georges Séguy et Philippe Dominique, Lutter, Paris, Stock, 1975.

(2) Idem. Le septennat a bel et bien été raccourci par le décès prématuré du président Pompidou en 1974. « À aucun moment, je ne pouvais imaginer que le septennat se terminerait dans les conditions où il s'est achevé, car au-delà de tous les conflits, il ne m'est jamais venu à l'esprit de souhaiter la mort d'un adversaire », commentera Georges Séguy.

(3) Voir http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS0262_19691117/OBS0262_19691117_020.pdf

(4) Annie Kriegel et Guillaume Bourgeois, Les communistes français: dans leur premier demi-siècle, 1920-1970, Paris, Éditions du Seuil, 1985.

(5) Didier Buffin et Dominique Gerbaud, Les Communistes, Paris, Albin Michel, 1981. Voir aussi, entre autres, L’Année politique 1969, Paris, PUF, 1969 et René Mouriaux, La C.G.T., Paris, Éditions du Seuil, 1982.

(6) Voir par exemple L’Année politique 1969, Paris, PUF, 1969 et René Mouriaux, La C.G.T., Paris, Éditions du Seuil, 1982.

(7) Voir https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/02/22/les-syndicats-et-la-campagne-sur-une-nouvelle-petite-phrase-de-m-georges-seguy_3098707_1819218.html

(8) Voir https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/10/04/la-petite-phrase-de-m-georges-seguy-et-ses-suites_2555510_1819218.html

(9) Voir https://archives.assemblee-nationale.fr/5/cri/1973-1974-ordinaire1/008.pdf

Illustration : Palais de la Mutualité, photo Chabe01, licence CC AS 4.0 International, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Maison_Mutualit%C3%A9_Paris_4.jpg

19 décembre 2022

Petites phrases des années 1960 et 1970

J’ai noté dans « Une brève histoire des petites phrases » (www.phrasitude.fr, 2 juin 2020) que l’emploi du syntagme « petite phrase » s’est accéléré à partir du milieu des années 1960. Pour étayer cette affirmation, voici une sélection de citations de la presse régionale de l’Ouest, issue des archives du groupe Ouest-France :

M. Taine, par exemple, serait un « réactionnaire », lui qui écrivait avec infiniment de raison cette petite phrase que beaucoup de nos réformateurs feraient bien de méditer : « La forme sociale et politique dans laquelle un peuple peut entrer et rester n'est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé ».

L'Ouest-Éclair, 28 mars 1900 (Une)

M. Nail, quand il a renouvelé le décret moratoire pour un trimestre, a laissé entendre que ce délai serait le dernier. Là-dessus, l'organe officiel du parti unifié proteste et découvre toute sa pensée en cette petite phrase : « M. Nail menace de presser la solution de la question des loyers. » L'Humanité considère comme une menace le fait de mettre à l'ordre du jour de la Chambre la discussion du projet de loi.

L'Ouest-Éclair, 15 janvier 1918 (Une)

Cette vérité très pénible pour l'orgueil local (et on risque de le froisser mortellement en l'énonçant sans précautions) a des chances d'être contenue dans une petite phrase placée au beau milieu de l'étude en question. Elle se détache cruellement. Ayons le courage viril de la transcrire : « Le port de Nantes apparaît donc comme à refaire entièrement ».

L'Ouest-Éclair, 12 janvier 1919 (p. 4)

Très rares étaient cette après-midi, dans les couloirs de la Chambre et du Sénat, les hommes politiques qui contestaient cette évidence. Quelques-uns, évidemment, jetaient bien, de ci, de là, de petites phrases perfides, et des noms pris certainement au hasard : Barlhou, Steeg, François Marsal, Louis Marin mais la conviction manquait. M. Briand lui-même déclarait : « Cette crise est absurde ! »

— L'Ouest-Éclair, 27 mars 1924 (Une)

« Et quand Mme la France se réveillera, toute nue, dépouillée de tous ses biens, elle s'emportera contre les étrangers, oubliant qu'elle est née jobard. » Et ma foi, ami lecteur, pour aujourd'hui, cette dernière petite phrase nous servira de conclusion... Je la trouve très bien.

L'Ouest-Éclair, 30 juillet 1926 (p. 2)

M Chamberlain sourit, évidemment ému ; on le voit prononcer quelques petites phrases interrompues par des silences brefs. M. Mussolini est tout sourires ; son visage rayonne de joie et de satisfaction.

L'Ouest-Éclair, 12 janvier 1939

Après un assez long développement sur « la petite phrase » de la déclaration P.C.-F.G.D.S. du 24 février, M. Pompidou aborde sa conclusion : « L 'important pour le Gouvernement, dit-il, est de ne céder en rien sur ce qui est de ses attributions ».

Presse Océan, 25 avril 1968 (p. 3)

Rarement une année sociale n'aura été autant tributaire des événements politiques et davantage personnalisée : dans les grandes options, on retrouve, face à face, deux des principaux négociateurs de Grenelle, Georges Pompidou et Georges Séguy. Le 13 septembre, c'est la « petite phrase » devenue historique du secrétaire général de la C.G.T. : « Le septennat du président pourrait être de courte durée ».

Ouest-France, 31 décembre 1969 (p. 2)

Pour le moment, la Pologne paraît bien décidée à régler ses problèmes toute seule. Mais le pourra- t-elle ? Une petite phrase prononcée jeudi soir par M. Cyrankiewicz a fait dresser l'oreille : « Notre devoir, a dit le Premier Polonais, est de défendre nos acquisitions par tous les moyens. »

Ouest-France, 19 décembre 1970 (Une)

Il ne faut pas oublier que M. Descamps, secrétaire général de la CFDT avait répondu par avance, en quelques mots, à la « petite phrase » incendiaire dans le discours de rentrée prononcé samedi matin par M. Georges Seguy, au Palais de la Mutualité.

Presse Océan, 21 septembre 1970 (p. 3)

« Nous ferons en sorte d'empêcher que personne ne puisse utiliser à des fins politiques personnelles les positions que nous prendrons. C'est pourquoi toutes nos « petites phrases » seront prononcées de telle sorte qu'elles montrent bien que la C.G.T. s'attache à défendre les intérêts des travailleurs ». C'est ce qu'a déclaré M. Georges Séguy à France-Inter.

Presse Océan, 27 août 1970 (p. 3)

Par ces deux phrases, le secrétaire général de la C.G.T. répondait particulièrement à l'allusion faites par Roger Michaud, à ce qui fut appelé la petite phrase de M. Séguy, prononcée lors de la précédente « rentrée sociale » il y a un an. M. Séguy avait alors émis l'opinion que le septennat du Président de la République pourrait être abrégé.

Presse Océan, 27 août 1970 (p. 3)

Depuis une certaine « petite phrase » qui visait M. Pompidou. M. Georges Séguy se méfie de l’interprétation que l’on peut donner à ses propos.

Ouest-France, 28 août 1970 (p. 4)

Une coopération entre l’Europe et les U.S.A. ? Au cours de cette conférence de presse il était normal que soit évoquée la petite phrase du président Nixon, visitant Concorde aux Açores avant de regagner les U.S.A. :« J’aurais aimé que nous l’ayons construit... »

Ouest-France, 16 décembre 1971 (p. 3)

Une « petite phrase » de M. Debré : « Pourquoi pas une coopération avec l'industrie aéronautique soviétique »

Ouest-France, 26 mai 1971 (Une)

 « Le retour aux sources nous parait essentiel. » On aura d'autant plus noté cette petite phrase de M. Hubert Germain qu'au cours de la journée de consultations le président de l'amicale « Présence et action du gaullisme »a été reçu à trois reprises différentes par M. Messmer. Cette fidélité au message du général de Gaulle paraît bien avoir été le souci de M. Pompidou en changeant d'équipe.

Ouest-France, 7 juillet 1972 (p. 4)

Tout cela, M. Pompidou l'a résumé dans une petite phrase :« L'Europe doit affirmer sa personnalité face aux États-Unis. » Il s'attachera aujourd'hui, sans trop d'illusions, à faire partager ce point de vue à son hôte.

Ouest-France, 10 février 1972 (Une)

Or, voilà qu'une toute petite phrase du communiqué du Conseil des Ministres jette à nouveau le doute. M. Chaban-Delmas est, certes, autorisé à engager la responsabilité du gouvernement, mais seulement « s'il le juge utile ».

Ouest-France, 18 mai 1972 (Une)

La « petite phrase » du président Nixon : « Nous allons mettre fin à la guerre sans trahir nos alliés » IL A SUFFI D’UNE NOUVELLE PETITE PHRASE du président Nixon à Los Angeles, au moment où son conseiller spécial, M. Kissinger, rentrait de Paris après y être resté exceptionnellement 48 heures, pour que les bruits d’un cessez-le-feu et même d’une paix imminente se multiplient.

Ouest-France, 29 septembre 1972 (p. 4)

Le Premier ministre, en ce début de session parlementaire, s'est montré particulièrement laconique. Quelques mots d'encouragement à la majorité. Quelques mois d'avertissement à l'opposition à propos des petites phrases de M. Séguy, et c'est tout.

Ouest-France, 3 octobre 1973 (Une)

Avec l’incertitude de la situation économique et monétaire, chacun est convaincu que l’on vit plus que jamais sous le règne de l’imprévisible. Au cas où cela tournerait mal, la « petite phrase » de Georges Séguy permettra de dire que la C.G.T. l’avait annoncé.

Ouest-France, 7 septembre 1973 (p. 4)

 « Des éléments semblables à ceux qui précédèrent mai 1968 existent incontestablement dans la situation actuelle » déclare M. Séguy, dans une interview accordée hier au « Monde », alors qu'on lui demandait de préciser sa « petite phrase » du 6 septembre.

Presse Océan, 14 septembre 1973 (p. 2)

L'illégalité, déjà au cœur des débats sur le drame chilien, au centre des « petites phrases » syndicales et politiques du moment, est le butoir réel des négociations d'Arc-et-Senans.

Ouest-France, 17 septembre 1973 (Une)

D'autres arguments militent en faveur de la bonne entente franco-libyenne : on n'a pas oublié à Paris la petite phrase du colonel Kadhafi « du pétrole contre des armes » et l'on ne paraît pas hostile à l'idée de livrer à Tripoli de nouveaux armements.

Ouest-France, 24 novembre 1973 (p. 3)

Il a suffi d'une petite phrase sur le « régime des partis » et de quelques consignes judicieuses pour que les choses rentrent apparemment dans l'ordre. Cependant, le problème demeure.

Ouest-France, 26 mai 1973 (p. 4)

Au gré des souhaits, des conseils, et des petites phrases qu'il distille à l'occasion des congratulations de la nouvelle année, le Président Pompidou s'efforce visiblement de montrer qu'il tient toujours la barre.

Presse Océan, 4 janvier 1974 (Une)

Il existe de sérieux freins à l'application concrète de la politique d'une détente, les méfiances ne sont pas balayées au niveau des dirigeants et les groupes de pression militaire ont évidemment leur mot à dire. D'où cette petite phrase de M. Kissinger : « Les deux parties doivent convaincre leurs chefs militaires des bénéfices de la modération. Ce n'est pas une chose qui est naturelle aux militaires, de part et d'autre. »

Ouest-France, 4 juillet 1974 (p. 2)

 « Quand on regarde notre histoire, on s'aperçoit que les grandes périodes de développement de notre pays sont avant tout les périodes de développement maritime. » Cette petite phrase prononcée hier matin, dans les salons de l'aérodrome de Guipavas par M. Giscard d'Estaing, a mis un peu de baume au cœur des élus de la communauté urbaine brestoise et de la presqu'île de Crozon.

Ouest-France, 8 novembre 1974 (p. 3)

Justifié ou non, ce sentiment que la mobilisation syndicale ne constitue pas une menace politique réelle, malgré la petite phrase de Michel Rocard posant hier le problème du remplacement du pouvoir actuel, incite le gouvernement à maintenir toutes ses mises.

Ouest-France, 19 novembre 1974 (Une)

L'indépendance nationale, aux yeux de certains, parait dangereusement compromise, dès lors que l'on s'efforce de sortir, à l'égard des États-Unis, de la politique de longue bouderie, entrecoupée de petites phrases hargneuses.

Presse Océan, 21 décembre 1974 (Une)

Décidément, les petites phrases du secrétaire d'État aux P.T.T., M. Lelong, notamment celles qui concernent son interrogation sur les revendications des travailleurs de son administration, semblent rester dans la gorge.

Ouest-France, 26 octobre 1974 (p. 8)

Michel Poniatowski vient de démontrer (sans le vouloir) qu'il est malaisé et parfois scabreux de porter trop de casquettes à la fois. En deux ou trois petites phrases lâchées devant le micro d'un poste périphérique, il a réussi à ternir l'image libérale qu'il s'était efforcé de donner de son personnage et de sa politique.

Presse Océan, 7 février 1975 (Une)

Bien sûr, en relisant la petite phrase présidentielle, on pourrait y déceler l'intention de M. Giscard d'Estaing de ne pas attendre l'échéance normale (1978) pour organiser ces élections.

Ouest-France, 7 avril 1975 (Une)

 « Les petites phrases rapportées par les journaux ne correspondent à rien et ne mettent pas en cause notre amitié », a déclaré M. Poniatowski samedi à Rouen.

Ouest-France, 8 décembre 1975 (Une)

Le mal de l’histoire, c'est la violence... Le grand problème politique est de transformer la violence déchaînée en force motrice. » François-Régis HUTIN. LES « PETITES PHRASES DE FRANÇOISE GIROUD Une mise au point, mais...

Ouest-France, 17 juin 1975 (p. 4)

Les congressistes n'ont pas, au milieu de leur surprise et de leur enthousiasme un peu douché, apprécié toute l'importance qu'il faut attacher à une petite phrase de la péroraison du discours de M. Chirac, « Je suis moralement responsable de l'avenir de notre mouvement ».

Presse Océan, 17 juin 1975 (p. 2)

Une petite phrase de Valéry Giscard d'Estaing. prononcée hier, devant le monument aux morts de Kiev, va-t-elle donner à son séjour en U.R.S.S. une nouvelle tournure ? Le Président de la République a paru, en tout cas. vouloir réagir contre la morosité générale en affirmant son « optimisme ».

Ouest-France, 17 octobre 1975 (p. 3

L'un propose le dialogue et la concertation à l'opposition tout entière, et l'autre, fidèle à l'antique tactique consistant à diviser pour régner, lance à la cantonade contre les communistes, les petites phrases dont le ministre d'État s'est fait une spécialité, et dont il sait que si elles ne sont pas toujours jugées opportunes à l'Élysée, elles sont appréciées de la partie droitière de son électorat.

Presse Océan, 19 septembre 1975

Il comprendra douze membres : quatre parlementaires, quatre personnalités qualifiées, quatre officiers et sous-officiers. A propos de ces derniers, une petite phrase de M. Soufflet, ministre de la Défense, a donné lieu à des spéculations :« Il y aura parmi eux une personnalité qui vous étonnera ». Depuis, les paris sont engagés. Le favori, un non-conformiste : le général Bigeard.

Presse Océan, 20 janvier 1975 (p. 2)

La querelle était prévisible Une « petite phrase » de M. Gaston Deferre vient de mettre le feu aux poudres. Le député-maire de Marseille, en réponse à une prise de position de la fédération communiste des Bouches-du-Rhône refusant le vote du budget municipal…

Ouest-France, 29 octobre 1975 (p. 2)

Solitude et défi... « Le gouvernement espagnol est totalement calme »... Cette petite phrase de Fernando Suarez, le ministre espagnol du travail, fait étrangement penser au tragique : « À Varsovie l’ordre règne ». Fernando Suarez passait pourtant pour être l’un de ceux qui, au sein du gouvernement, n’approuvait pas les exécutions capitales.

Ouest-France, 30 septembre 1975 (p. 2)

M. Chinaud a prononcé, au cours de sa conférence de presse, une petite phrase qui paraît désigner le futur élu :« M. Dominati, a-t-il dit, est pour le moment président de la Fédération de Paris ». Encore faut-il que ces nominations soient ratifiées par le congrès.

Ouest-France, 30 janvier 1975 (p. 4)

Giscard a très certainement voulu donner le piquant du cactus à sa petite phrase. En tout cas, elle a traversé l'Atlantique-Nord à une vitesse bien supérieure à celle du supersonique franco-britannique.

Ouest-France, 6 janvier 1976 (Une)

Nul doute. par conséquent. qu'en prononçant ces petites phrases. M. Chirac n'ait fait allusion aux conditions dans lesquelles M. d'Ornano avait été choisi pour briguer la mairie de Paris. le printemps prochain.

— Journaux de Loire, 8 décembre 1976

La petite phrase prononcée de façon aussi brutale qu'inattendue par M. François Ceyrac, risque tout à la fois d'alourdir un climat social déjà chargé et de compromettre un peu plus la réussite du plan Barre.

— Journaux de Loire, 24 novembre 1976 (p. 2)

Ferme réplique de Raymond BARRE au patronat « La politique de la main-d’œuvre ne se ramène pas à l’examen des possibilités de licenciements » Les deux petites phrases de l'interview de François Ceyrac à Ouest-France, dans lesquelles la président du C.N.P.F. demandait un soutien de l'économie et la liberté de licencier pour les entreprises, continuent à faire du bruit.

Ouest-France, 26 novembre 1976

C'EST LA SANS DOUTE le plan « optimum » du président Carter. Il l'a formulé par « petites phrases » successives en tenant compte des réactions d'opposition qui se manifestaient au Congrès ou au sein du lobby pro-israélien.

Ouest-France, 1er août 1977

La méfiance règne car ils ont été blessés par les attaques dont ils ont été maintes fois l'objet. Des petites phrases visant les juges sont en effet parties naguère des rangs gouvernementaux. Ils ne veulent plus que le Pouvoir porte atteinte à leur crédit en leur faisant endosser les bavures policières.

Presse Océan, 2 décembre 1977 (Une)

La réunion, mercredi, du comité de liaison de la gauche et celle, jeudi, en présence exceptionnellement de quarante journalistes, du Comité Central du Parti Communiste n'ont fait que le confirmer. Plusieurs « petites phrases » de Georges Marchais jeudi et de Charles Fiterman mercredi donnent la mesure de la détermination affichée par le P.C.

Presse Océan, 12 novembre 1977

Reste maintenant la polémique qui a surgi entre le président de la République et le secrétaire général du P.C. « On ne fait pas de politique avec des otages »: cette petite phrase prononcée à la télévision par M. Giscard d’Estaing a suscité la colère du leader communiste. « Lamentable et indigne du président de la République ! » a-t-il dit hier.

Ouest-France, 16 décembre 1977 (p. 3)

La petite phrase prononcée, hier, par M. Sadate, à sa sortie de la mosquée, et dans laquelle il n'excluait pas une prochaine visite au Caire de M. Begin dans les quinze jours a relancé les enchères.

Ouest-France, 17 décembre 1977 (p. 2)

Pierre Mauroy a d'ailleurs eu à ce sujet une petite phrase sybilline qui a fait froncer quelques sourcils dans la minorité comme chez les partenaires de la coalition de gauche : « Un parti dominant n'est pas nécessairement majoritaire », a-t-il expliqué.

Ouest-France, 18 juin 1977 (p. 3)

Il s'agissait en fait de concilier ces trois grandes priorités et « d'ajuster la part respective qui leur sera donnée ». En attendant d'en savoir plus, il semble bien que cette petite phrase contienne la clé du plan Barre.

Ouest-France, 18 avril 1977 (Une)

Enfin, les Radicaux de Gauche se contenteraient du compromis proposé par M. Mitterrand sur la « petite phrase » (nationalisations « à la carte »). Le texte actualisé du Programme Commun préciserait seulement que les nouvelles nationalisations devront être réalisées « conformément à la constitution ».

Presse Océan, 20 septembre 1977 (p. 2)

Une très longue attente pour les journalistes bloqués au rez-de-chaussée du siège du P.C., tandis que les discussions se poursuivaient à huis-clos au cinquième étage. Ils n'avaient pu que noter cette petite phrase de Claude Estier :« Nul ne peut dire que le P.S. ne veut pas de l’union de la gauche... ».

Ouest-France, 23 septembre 1977 (p. 2)

C'est la réouverture de la chasse aux « faux chômeurs ». Lancée hier en Alsace, par une petite phrase de M. Raymond Barre (« S’il y a refus d’emploi, qu’on ne vienne plus ensuite se présenter en demandeur »), accompagnée de curieux articles de presse (« Des millionnaires touchent l’aide au chômage »), elle se concrétisera au prochain conseil des ministres.

Ouest-France, 25 août 1977 (p. 2)

Le rapport conclut en réclamant un effort considérable à tous les pays du monde et spécialement à ceux de la Communauté européenne. « Tout de suite. Car demain il sera trop tard. » Cette petite phrase de la commission sénatoriale, Valéry Giscard d'Estaing l’aura sans aucun doute en mémoire, ce matin, en arrivant à Portsall.

Ouest-France, 3 août 1978 (p. 4)

Devant les deux chambres du parlement brésilien, réunies en séance solennelle, le chef de l'État français, relève-t-on à Brasilia, a eu des propos chaleureux pour le Brésil, sa « vitalité et son grand peuple ». Une petite phrase, surtout, a retenu l'attention : dans l'éloge de son hôte, M. Giscard d'Estaing a parlé, de « sa droiture, sa simplicité, la fermeté de ses convictions et son ouverture sur les évolutions nécessaires ».

Presse Océan, 6 octobre 1978 (p. 3)

 « Cette assemblée sera écoutée et entendue. Elle représentera un moteur psychologique qui conduira les gouvernements à rechercher, par de nouveaux accords, à donner de nouveaux contenus à la vie communautaire, et donc au Parlement européen ». Ces petites phrases sont évidemment à rapprocher de celle, désormais fameuse, de M. Schmidt :« Je ne crois pas que le Parlement élu se contentera des droits relativement restreints dont il dispose à l'heure actuelle ».

Ouest-France, 20 novembre 1978

Autant le chancelier Helmut Schmidt a de doigté pour les particularités anglo-saxonnes, autant aussi il manque d'intuition en ce qui concerne la mentalité française. Avec sa petite phrase, il a porté un coup grave à tous les Européens français et, à leur tète, au président Valéry Giscard d'Estaing.

Ouest-France, 20 novembre 1978 (p. 4)

Et l’hôte de Matignon pour qui « l’horizon s'est éclairci », et qui estime avoir le temps devant lui « pour réaliser les réformes nécessaires », a eu cette petite phrase cuisante : « L'ambition ne se réalise pas seulement par le verbe »... avant d'emprunter à François Mauriac ce mot cruel :« Moins les gens ont d'idées à exprimer et plus ils parlent fort ».

Ouest-France, 21 avril 1978 (p. 3)

Sur l'Europe, sur les compétences de la future Assemblée élue de Strasbourg, sur les « petites phrases » ambiguë s de certains chefs de gouvernement des « Neuf », toutes questions qui appartiennent à une actualité plus controversée, M. Giscard d'Estaing a fait preuve d'une calme autorité, susceptible d'apaiser certaines craintes…

Ouest-France, 22 novembre 1978

Les hebdomadaires français excellent dans l'analyse subtile des « petites phrases » d'hommes politiques, dans la description et le commentaire généralement très fouillés mais presque totale ment désincarnés d'une situation sociale, économique ou politique.

Ouest-France, 23 juin 1978 (Une)

la controverse entre François Mitterrand et Michel Rocard, pour le contrôle du parti socialiste et la candidature à l'élection présidentielle, qui s'insinuait dans toutes sortes de rumeurs, rampait autour des « petites phrases » des uns et des autres et rôdait autour de l'état-major du parti, est maintenant officiellement déclarée.

Ouest-France, 27 novembre 1978 (Une)

On retiendra également le passage sur les divisions de la majorité : « Les Français souhaitent l'unité, je serai donc conduit à pren­dre des mesures pour rétablir cette unité ». Une petite phrase sibylline qui va susciter de nombreuses interrogations dans les milieux intéressés.

Ouest-France, 8 mars 1979 (p. 2)

Pour les trois premiers points (Gaza, pétrole, ambassadeurs), M. Carter a précisé que mardi matin M. Begin avait accepté de présenter les propositions de son gouvernement. Cette petite phrase du président américain semble souligner que la balle est de nouveau dans le camp israélien. En fait, tout s'est passé comme si M. Sadate l’avait discrètement et habilement poussée du pied.

Ouest-France, 14 mars 1979 (p. 2)

Une petite phrase pour désamorcer une bombe ? Je rappelle que l'élection à l'Assemblée des Communautés européennes a été décidée par la loi. Cette décision ne pourrait être modifiée que par la loi.

Ouest-France, 18 janvier 1979 (p. 3)

Pas tendre pour la C.G.T., ni pour le P.C., André Bergeron, secrétaire général de Force Ouvrière, dans une interview à Valeurs actuelles. C’est un recueil de « petites phrases ». Exemples :« En France, comme en Italie, nous souffrons du poids du Parti communiste  ». « Les motivations de la C.G.T. sont toujours politiques, même si elles se greffent sur des revendications syndicales fondées ».

Ouest-France, 8 septembre 1980 (p. 4)

Si l’officialisation de cette tactique par le n° 1 du P.C. est tout de même considérée comme un tournant dans les relations des deux partis, deux autres petites phrases ont surtout retenu l'attention des socialistes. La première, prononcée par Georges Marchais, confirme que pour le P.C. il n'est plus question d'accord…

Ouest-France, 15 octobre 1980

Michel Le Séac’h

12 décembre 2022

L’Étrange victoire – Macron II, l’histoire secrète par Louis Hausalter et Agathe Lambret

La réélection d’Emmanuel Macron a laissé un goût d’inachevé. Louis Hausalter et Agathe Lambret, journalistes respectivement à Marianne et BFMTV, cherchent à le dissiper en racontant l’envers du décor de sa campagne présidentielle de 2022. Économe de grandes envolées, leur récit décrit avec une abondance de détails plus d’une trentaine de moments significatifs vus de l’intérieur. Ils gardent le secret de leurs sources, à l’évidence proches du président. Les initiés s’amuseront sûrement à les deviner en découvrant des portraits plus indulgents que d’autres dans ce tableau globalement mitigé. G. s’en sort mieux que K., par exemple…

Il y a peu de petites phrases dans ce livre. En fait, la locution n’y figure qu’une fois, de manière très significative : « Désormais, Macron a peur des petites phrases. Elles ont disparu de son langage. Même à l’occasion de longs échanges sur le terrain, où la tentation est partout, le président se réfrène. Quitte à avoir l’air étrangement amorti. » (p. 177).

Les auteurs ne semblent pas remarquer, en revanche, que la demande s’est tarie. Naguère, les médias et l’opinion prélevaient des petites phrases à leur gré dans n’importe quel échange. « Je traverse la rue, je vous trouve du travail », par exemple, extrait d’un bref dialogue avec un visiteur lambda en 2018, a été érigé en critique envers tous les chômeurs. Ce phénomène a pratiquement disparu. Sans quoi, que le président se réfrène ou pas, la campagne de 2022 aurait été davantage épicée de petites phrases puisées ici ou là.

Petites phrases pas si disparues

Si la demande s’est tarie, ce n’est pas vraiment le cas de l’offre. Hausalter et Lambret consacrent même un mini-chapitre à un « concours de punchlines » : « À quelques heures du débat d’entre deux tours, l’assistance réunie autour d’Emmanuel Macron à l’Élysée cherche des formules qui feront mouche face à Marine Le Pen. Les Technos en ont tiré une de leur sac : "Arrêtez avec le chat qui cache la forêt !" Manière de plaisanter sur la passion très médiatisée de la candidate RN pour ses bêtes. »

Ce n’est pas seulement une affaire d’entourage. Le président ne se réfrène pas tant que ça, en réalité. « Avec eux, Macron rôde ses angles et teste des formules. C’est là qu’il met au point une attaque en piqué contre la baisse de la TVA sur l’énergie proposée par Le Pen. […] Lui-même a déjà forgé personnellement quelques piques, par exemple sur l’emprunt russe du RN : "Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie". » (p. 190) Lors du débat télévisé, l’agressivité n’est pas retombée. « Soudain, au détour d’un échange aride sur les chiffres du chômage, Emmanuel Macron réveille un peu les troupes. "C’est pas Gérard Majax, ce soir, madame Le Pen !" On pouffe de rire dans la pièce. […] Place à la partie sur l’écologie, qui fait moins rire les troupes. "Elle est en train de remonter ", met en garde Sébastien Lecornu. "Il faut taper plus fort, vas-y Emmanuel, tape ! Démasque-la !" crie Richard Ferrand, bien réveillé, devant l’écran de télévision. » (p. 199)

Emmanuel Macron ne réserve pas ses piques à Marine Le Pen. « Très loin de la retenue que mettait jusqu’ici le président pour parler de ses adversaires. Macron qualifie Zemmour de "candidat malentendant", et l’invite à s’équiper à moindres frais, grâce à la réforme "100 % santé", qui permet le remboursement de certaines prothèses. Une réponse droite, un peu maladroite aussi. On imagine que le chef de l’État l’a peaufinée avec ses communicants, mais il n’en est rien. Cette riposte, il l’a préparée tout seul. » (p. 112)

Le programme ne fait pas le poids

Certains de ses proches « trouvent lunaire cette façon d’aborder le combat politique ». D’abord, un président en exercice n’a pas à descendre dans l’arène comme les autres, surtout quand une guerre fait rage depuis quelques jours en Europe. « Emmanuel Macron lui-même donne l’impression de vouloir enjamber ce début de campagne. Tant pis si, jusque dans son entourage, on s’est un peu ennuyé ce soir devant sa prestation sur TF1, lisse et consensuelle. Pour l’instant, il se tient au-dessus de la mêlée et fait presque mine d’ignorer l’existence de ses concurrents. » (p. 61)

Ensuite et surtout, beaucoup considèrent que la campagne doit être menée programme contre programme, c’est un combat d’idées. Ce point de vue, celui du clan des « Technos » élyséens paraît l’emporter au début. Leur stratégie inspire l’essentiel des interventions d’Emmanuel Macron. « L’élaboration de ce programme a été une véritable boîte noire. Certes, la garde rapprochée partageait cette idée qu’il fallait des mesures précises et fortes pour donner de la légitimité au président réélu. Qu’Emmanuel Macron, très haut dans les sondages au déclenchement de la guerre, ne devait pas se contenter d’un effet drapeau. Il fallait contrer ce phénomène, et recentrer l’attention sur les marqueurs du programme. » (p. 83)

Mais la présentation du programme par le candidat se passe mal. « L’énumération des concepts abstraits a noyé la déclinaison des mesures concrètes. Est-ce bien le même qui avait intimé à ses collaborateurs, dans les réunions préparatoires : « Je ne veux surtout pas d’un programme de techno, je veux raconter quelque chose » ? En off, un ministre de premier plan s’est désolé : "On dirait un Premier ministre qui prononce son discours de politique générale". » (p. 90) Les adversaires des « Technos » se déchaînent. Dès lors, l’aspect programmatique de la campagne sera plutôt une sorte d’os à ronger pour les bénévoles dont on ne sait que faire.

Les choses sérieuses, elles, passent entre les mains des politiques. Désormais, la campagne sera faite moins de concepts que d’images, de valeurs et de sentiments, éventuellement agressifs. Emmanuel Macron emprunte même à la concurrence. « Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits » (p. 119), proclame-t-il à La Défense Arena. La formule est en fait d’Olivier Besancenot ! Loin d’avoir disparu de la campagne, les petites phrases sont revenues au score sur le programme.

Michel Le Séac’h

Louis Hausalter, Agathe Lambret
L’Étrange victoire – Macron II, l’histoire secrète
Éditions de l’Observatoire, 2022
ISBN : 979-10-329-1327-7
224 pages, 19 euros

08 décembre 2022

Sécurité pour la Russie : une petite phrase internationale d’Emmanuel Macron plus remarquée à l’étranger qu’en France

 Les petites phrases d’Emmanuel Macron ont assez souvent été prononcées à l’étranger. C’est le cas par exemple de :

- « la colonisation est un crime contre l’humanité » (en Algérie)

- « le Gaulois réfractaire » (au Danemark)

- « les Français détestent les réformes » (en Roumanie)

- « l’Otan est en état de mort cérébrale » (dans un entretien avec The Economist)

Le filon n’est pas épuisé. À la fin de sa récente visite aux États-Unis, le chef de l’État est interrogé par Marie Chantrait dans le 13H00 de TF1, le 3 décembre. À propos de la guerre en Ukraine, il pose cette question rhétorique : « Qu’est-ce qu’on est prêts à faire, comment nous protégeons nos alliés et les États membres en donnant des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra autour de la table ? » Elle est expressément qualifiée de « petite phrase » par TF1 et Le Figaro (« encore une petite phrase » écrit même le quotidien).

Elle n’est pas vraiment nouvelle en réalité. Le président de la République a déjà manifesté son désir de ménager la Russie. « Il ne faut pas humilier la Russie », a-t-il déclaré au mois de mai dernier, déjà dans un contexte international – à Strasbourg, mais devant le parlement européen. Il a repris la formule le 3 juin devant la presse française. La formule a été qualifiée de petite phrase par Le Monde, Radiofrance, TF1 ou RFI. Elle lui a déjà valu des reproches en Europe. Cependant, il a paru changer de cap radicalement avec une intervention d’une très grande fermeté à l’égard de la Russie devant l’assemblée générale des Nations Unies le 20 septembre. Le balancier est résolument reparti dans l’autre sens.

Réactions indignées

Ces petites phrases ne sont pourtant pas très discutées en France. Les Français semblent moins en demande de petites phrases présidentielles qu’il y a cinq ou six ans. Peut-être parce qu’ils ont désormais l’impression de connaître Emmanuel Macron assez bien, ou de pouvoir puiser dans un répertoire déjà assez fourni. En revanche, son mandat l’a rendu plus audible des cercles dirigeants internationaux. Son « baffling statement » du 3 décembre soulève un grand nombre de réactions indignées en Ukraine même et dans plusieurs pays d’Europe orientale.

La plus brève et la plus éloquente est celle de Toomas Ilves, ancien président de l’Estonie, sur Twitter : « Oh FFS ». Le sigle peut désigner des tas de choses (Fédération française de ski, etc.). Ici, selon toute apparence, il est issu de l’argot anglophone et signifie « for fucks sake ». Ce dérivé de « for Christ’s sake » signifie en gros « arrête donc de déconner ». Le surlendemain, Toomas Ilves célébre l’anniversaire du « mémorandum de Budapest ». Par ce traité signé en 1994 entre l’Ukraine et la Russie, la première remettait ses armes nucléaires à la seconde, qui s’engageait en contrepartie à garantir sa sécurité. 

« M. Macron, donner des garanties de sécurité à la Russie, c’est comme fournir un garde du corps à Jack l’éventreur », s’indigne le diplomate ukrainien Olexander Scherba. Parmi les réactions les plus remarquées figure aussi celle de l’ex-champion du monde d’échecs Garry Kasparov, d’origine russe : « les Ukrainiens vivent à nouveau une journée où les missiles russes pleuvent sur leurs villes, mais Macron parle de garanties de sécurité pour… la Russie ?! Et la sécurité pour les gens innocents vraiment attaqués, alors ? »

Mais la pire réaction pour Emmanuel Macron est sans doute… celle qui lui est le plus favorable. Sa déclaration est saluée avec satisfaction par l’agence de presse officielle russe TASS (l’acronyme signifie « Agence télégraphique de l’Union soviétique »). Celle-ci préfère cependant ignorer une autre phrase du président de la République, curieusement peu remarquée en France. Elle porte sur une éventuelle reprise de la Crimée par l’Ukraine : « Est-ce que vous pensez que quand nous, Français et Françaises, nous avons eu à vivre la prise de l'Alsace et de la Lorraine on aurait aimé en pleine guerre qu'un dirigeant du reste du monde nous dise vous devez faire ceci et cela ? ». Il est douteux que la comparaison historique inspire à Vladimir Poutine un sentiment de sécurité.

Michel Le Séac’h
Illustration : copie d'écran agence Tass sur Twitter