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20 janvier 2023

Revenir sur une petite phrase : l’astuce tactique d’Emmanuel Macron à propos de la crise climatique

« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » Cette question abracadabrantesque posée par Emmanuel Macron dans ses vœux aux Français le 31 décembre 2022 a été largement qualifiée de « petite phrase ». Elle a aussitôt soulevé sarcasmes et indignation.

Le président de la République a attendu le 17 janvier pour revenir sur le sujet dans une vidéo de sa chaîne YouTube. Pourquoi un si long délai alors que ce qu’il avait à dire pour sa défense était au fond assez simple ? Peut-être parce qu’il a tenu à ce que sa vidéo ne soit pas défensive. Elle est présentée comme la troisième d’une série intitulée « Vos questions sur l’écologie ». Sans doute a-t-il fallu un peu de temps pour la réaliser.


La réponse à la petite phrase du 31 décembre y est traitée comme un simple préambule. Elle occupe à peine une minute et demie sur un total de près de dix-huit minutes. Mais bien entendu, les médias et une bonne partie des internautes n’ont eu d’oreilles que pour cette minute et demie, et non pour les questions plus pratiques posées par le public sur la taxe carbone, les emballages plastiques ou… le compost à l’Élysée. « "Qui aurait pu prédire la crise climatique" : Macron s'explique après sa phrase polémique » titre par exemple L’Indépendant.

Emmanuel Macron se garde bien de dénoncer « une phrase sortie de son contexte », comme le font tant de politiques et comme il l’avait fait lui-même voici deux ans et demi face à Gilles Bouleau et Léa Salamé. Cette riposte quasi pavlovienne a largement prouvé son peu d’efficacité. Il ne tente pas non plus d’ajouter à sa petite phrase un volet qu’il aurait pensé sans le dire, comme l’avait fait Michel Rocard après son célèbre « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Pour prospérer, un tel tour de passe-passe suppose d’avoir dans la presse de bons amis qui font mine d’y croire. Michel Rocard les avait, Emmanuel Macron probablement pas.

Une bourde mise au passif de… celui qui l’écoute

Le chef de l’État ne revient pas sur ses propos, il ne tente pas une explication de texte. En fait, il change carrément son fusil d’épaule : « Qu'est-ce que j'ai simplement voulu dire ? C'est qu'au fond, ça a été encore plus vite que prévu. » Ce qui est tout de même éloigné de « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » mais coupe court à toute nécessité d’explication.

Et loin de se livrer à une autocritique pour une petite phrase évidemment ambiguë, ou de rejeter la faute sur le rédacteur de ses vœux, il contre-attaque en des termes assez durs : « On a voulu me faire dire que, au fond, je n'aurais jamais lu aucun rapport du GIEC, de l'IPBES, de tous les experts… j'ai le sentiment qu'il y a eu quand même beaucoup de mauvaise foi derrière ce qui s'est passé ces derniers jours… on a voulu me caricaturer en un message de déni. » Il prend l’avantage – il saisit l’avantage, pourrait-on dire – en jouant de l’absurdité de la situation : comme personne ne pouvait raisonnablement croire ce qu’il a dit, ceux qui ont critiqué ses propos sont forcément de mauvaise foi !

L’inversion accusatoire est souvent efficace. Ici, en plus, la question des retraites et des grèves occupait les esprits. La mise au point aura donc été perçue surtout par les milieux les plus concernés, en particulier les scientifiques. Emmanuel Macron a sans doute joué habilement en s’exprimant pour référence, comme en passant, sans risquer de relancer une polémique et en adoptant une posture d’autorité plutôt qu’en se victimisant.

Michel Le Séac’h

Illustration : saisie d'écran, chaîne YouTube d'Emmanuel Macron

17 juillet 2020

Les petites phrases de Macron : sorties de leur contexte… ou entrées dedans ?

Interrogé par Gilles Bouleau et Léa Salamé, Emmanuel Macron s’est exprimé en direct devant les Français le 14 juillet. Questionné sur la « détestation » qu’il pouvait susciter, il a déclaré dès la troisième minute de ce long entretien :

le jeu des maladresses, parfois des phrases sorties de leur contexte d'autres fois, de l'opposition, de la vie politique a fait que cette détestation a pu être alimentée.

Derrière ces « phrases » du président de la République, certains ont même entendu spontanément « petites phrases », comme France 2, Le Figaro, Challenges ou Nice Matin. Elles font évidemment songer au « carré macronien » : « je traverse la rue », « les Gaulois réfractaires », « un pognon de dingue » et « des gens qui ne sont rien ».


Le thème de la petite phrase « sortie de son contexte » est un grand classique de la vie politique. Ce n’est pas une nouveauté pour Emmanuel Macron. En septembre 2017, peu après son élection donc, il déplorait devant des journalistes : « J'ai fait un discours important à Athènes, vous avez choisi une phrase sortie de son contexte » (en l’occurrence : « je ne céderai rien devant les fainéants »).

Les théoriciens de l’analyse du discours ont créé un mot pour désigner le phénomène d’extraction d’un fragment de texte : aphorisation. Une petite phrase est une aphorisation, précise Dominique Maingueneau. L’aphorisme se suffit à lui-même. Il n’a pas besoin d’un contexte.

Cependant, il serait difficile de considérer « les Gaulois réfractaires » ou « je ne céderai rien devant les fainéants » comme des aphorismes. Le problème de ces petites phrases prises en mauvaise part est en fait que leur auteur ne leur attache pas le même sens, la même valeur, que son auditoire. Le premier considère qu’elles disent quelque chose du monde. Le second considère qu’elles disent quelque chose du premier. Et ce quelque chose ne lui plaît pas.

Emmanuel Macron l’a compris, ou presque. Dans le même passage de son entretien du 14 juillet, il admet :

j'ai sans doute laissé paraître quelque chose que je ne crois pas être profondément, mais que les gens se sont mis à détester.

Quand un leader politique se plaint qu’on arrache des petites phrases à leur contexte, il entend par « contexte » le texte dont elles sont issues. Mais le véritable contexte du discours d’un leader politique, c’est le peuple.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie d’écran https://www.youtube.com/watch?v=ojdZ7VGbqSw (à 2 :58)

18 décembre 2018

Les trois phases de la petite phrase

Un moustique est un insecte qui vole et qui pique. Cet énoncé est vrai et faux à la fois puisque seul vole et pique l’adulte (imago) qui succède à la larve et à la nymphe, lesquelles n’en sont pas moins moustique elles aussi. L’analogie est rustique, sans doute, mais une petite phrase, qui vole et qui pique à sa manière, passe elle aussi par trois phases[1] :

  1. Petite phrase émise, telle qu’elle est prononcée ou écrite par son auteur.
  2. Petite phrase transmise, telle qu’elle est citée et reproduite dans la presse et les médias sociaux.
  3. Petite phrase admise, telle qu’elle est comprise par un public et s’inscrit plus ou moins durablement dans sa mémoire.
Ces trois phases sont des champs d’étude pour des sciences différentes. Chacune de ces sciences est susceptible de définir différemment la petite phrase. Et l’on ne peut comprendre la nature globale de celle-ci qu’à condition de considérer ses trois phases.

Mais à quoi bon un long discours ? L’idée peut être résumée par ce simple tableau :

PHASes de la petite phrase
émise
Transmise
Admise
Missions
Expression
Diffusion, discussion
Interprétation, mémorisation
Description
Il le dit
On dit qu’il l’a dit
On sait – ou croit savoir – qu’il l’a dit
Protagonistes
Auteur
Médias, réseaux sociaux
Public
Déterminant
Contenu
Contexte
Culture
Mouvement
Pousser
Transmettre
Tirer
Domaines d'étude
Linguistique, sémiologie, lexicologie, analyse du discours
Sciences de l’information et de la communication, science politique
Psychologie, psychosociologie, sciences cognitives, neurosciences

Juste une observation supplémentaire sur la rubrique « déterminant ». Pour qu’il y ait petite phrase, il faut qu’il y ait un contenu, des mots (en petit nombre, voire un seul), d’où l’intérêt que lui portent les sciences du langage.

Mais ce contenu n’est pas nécessairement très saillant au premier degré. Ce qui le rend remarquable et fait qu’il sera transmis, repris par la presse et les réseaux sociaux, est sa pertinence à l’égard d’un contexte : la petite phrase émane d’un personnage important, elle se rapporte à un événement en cours, elle concerne beaucoup de monde, etc.

En fin de compte, la petite phrase sera admise si elle correspond à la culture de son public. Celui-ci la comprend ou l’interprète aisément, il la range plus ou moins durablement dans une doxa qu’elle contribue à alimenter. En cas de dissonance cognitive, elle ne prospère pas.

Ces trois déterminants, contenu, contexte et culture, peuvent être retenus comme les « 3C ». Mais si l’on veut les mémoriser aisément, les trois premières syllabes présentent peut-être certaines vertus mnémoniques…

Michel Le Séac’h



[1] Voire quatre en cas de recyclage sous forme de snowclone.

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Illustration : cycle de vie d'un moustique du genre Culex, par Mariana Ruiz Villarreal LadyofHatsWwikipedia Commons