19 décembre 2022

Petites phrases des années 1960 et 1970

J’ai noté dans « Une brève histoire des petites phrases » (www.phrasitude.fr, 2 juin 2020) que l’emploi du syntagme « petite phrase » s’est accéléré à partir du milieu des années 1960. Pour étayer cette affirmation, voici une sélection de citations de la presse régionale de l’Ouest, issue des archives du groupe Ouest-France :

M. Taine, par exemple, serait un « réactionnaire », lui qui écrivait avec infiniment de raison cette petite phrase que beaucoup de nos réformateurs feraient bien de méditer : « La forme sociale et politique dans laquelle un peuple peut entrer et rester n'est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé ».

L'Ouest-Éclair, 28 mars 1900 (Une)

M. Nail, quand il a renouvelé le décret moratoire pour un trimestre, a laissé entendre que ce délai serait le dernier. Là-dessus, l'organe officiel du parti unifié proteste et découvre toute sa pensée en cette petite phrase : « M. Nail menace de presser la solution de la question des loyers. » L'Humanité considère comme une menace le fait de mettre à l'ordre du jour de la Chambre la discussion du projet de loi.

L'Ouest-Éclair, 15 janvier 1918 (Une)

Cette vérité très pénible pour l'orgueil local (et on risque de le froisser mortellement en l'énonçant sans précautions) a des chances d'être contenue dans une petite phrase placée au beau milieu de l'étude en question. Elle se détache cruellement. Ayons le courage viril de la transcrire : « Le port de Nantes apparaît donc comme à refaire entièrement ».

L'Ouest-Éclair, 12 janvier 1919 (p. 4)

Très rares étaient cette après-midi, dans les couloirs de la Chambre et du Sénat, les hommes politiques qui contestaient cette évidence. Quelques-uns, évidemment, jetaient bien, de ci, de là, de petites phrases perfides, et des noms pris certainement au hasard : Barlhou, Steeg, François Marsal, Louis Marin mais la conviction manquait. M. Briand lui-même déclarait : « Cette crise est absurde ! »

— L'Ouest-Éclair, 27 mars 1924 (Une)

« Et quand Mme la France se réveillera, toute nue, dépouillée de tous ses biens, elle s'emportera contre les étrangers, oubliant qu'elle est née jobard. » Et ma foi, ami lecteur, pour aujourd'hui, cette dernière petite phrase nous servira de conclusion... Je la trouve très bien.

L'Ouest-Éclair, 30 juillet 1926 (p. 2)

M Chamberlain sourit, évidemment ému ; on le voit prononcer quelques petites phrases interrompues par des silences brefs. M. Mussolini est tout sourires ; son visage rayonne de joie et de satisfaction.

L'Ouest-Éclair, 12 janvier 1939

Après un assez long développement sur « la petite phrase » de la déclaration P.C.-F.G.D.S. du 24 février, M. Pompidou aborde sa conclusion : « L 'important pour le Gouvernement, dit-il, est de ne céder en rien sur ce qui est de ses attributions ».

Presse Océan, 25 avril 1968 (p. 3)

Rarement une année sociale n'aura été autant tributaire des événements politiques et davantage personnalisée : dans les grandes options, on retrouve, face à face, deux des principaux négociateurs de Grenelle, Georges Pompidou et Georges Séguy. Le 13 septembre, c'est la « petite phrase » devenue historique du secrétaire général de la C.G.T. : « Le septennat du président pourrait être de courte durée ».

Ouest-France, 31 décembre 1969 (p. 2)

Pour le moment, la Pologne paraît bien décidée à régler ses problèmes toute seule. Mais le pourra- t-elle ? Une petite phrase prononcée jeudi soir par M. Cyrankiewicz a fait dresser l'oreille : « Notre devoir, a dit le Premier Polonais, est de défendre nos acquisitions par tous les moyens. »

Ouest-France, 19 décembre 1970 (Une)

Il ne faut pas oublier que M. Descamps, secrétaire général de la CFDT avait répondu par avance, en quelques mots, à la « petite phrase » incendiaire dans le discours de rentrée prononcé samedi matin par M. Georges Seguy, au Palais de la Mutualité.

Presse Océan, 21 septembre 1970 (p. 3)

« Nous ferons en sorte d'empêcher que personne ne puisse utiliser à des fins politiques personnelles les positions que nous prendrons. C'est pourquoi toutes nos « petites phrases » seront prononcées de telle sorte qu'elles montrent bien que la C.G.T. s'attache à défendre les intérêts des travailleurs ». C'est ce qu'a déclaré M. Georges Séguy à France-Inter.

Presse Océan, 27 août 1970 (p. 3)

Par ces deux phrases, le secrétaire général de la C.G.T. répondait particulièrement à l'allusion faites par Roger Michaud, à ce qui fut appelé la petite phrase de M. Séguy, prononcée lors de la précédente « rentrée sociale » il y a un an. M. Séguy avait alors émis l'opinion que le septennat du Président de la République pourrait être abrégé.

Presse Océan, 27 août 1970 (p. 3)

Depuis une certaine « petite phrase » qui visait M. Pompidou. M. Georges Séguy se méfie de l’interprétation que l’on peut donner à ses propos.

Ouest-France, 28 août 1970 (p. 4)

Une coopération entre l’Europe et les U.S.A. ? Au cours de cette conférence de presse il était normal que soit évoquée la petite phrase du président Nixon, visitant Concorde aux Açores avant de regagner les U.S.A. :« J’aurais aimé que nous l’ayons construit... »

Ouest-France, 16 décembre 1971 (p. 3)

Une « petite phrase » de M. Debré : « Pourquoi pas une coopération avec l'industrie aéronautique soviétique »

Ouest-France, 26 mai 1971 (Une)

 « Le retour aux sources nous parait essentiel. » On aura d'autant plus noté cette petite phrase de M. Hubert Germain qu'au cours de la journée de consultations le président de l'amicale « Présence et action du gaullisme »a été reçu à trois reprises différentes par M. Messmer. Cette fidélité au message du général de Gaulle paraît bien avoir été le souci de M. Pompidou en changeant d'équipe.

Ouest-France, 7 juillet 1972 (p. 4)

Tout cela, M. Pompidou l'a résumé dans une petite phrase :« L'Europe doit affirmer sa personnalité face aux États-Unis. » Il s'attachera aujourd'hui, sans trop d'illusions, à faire partager ce point de vue à son hôte.

Ouest-France, 10 février 1972 (Une)

Or, voilà qu'une toute petite phrase du communiqué du Conseil des Ministres jette à nouveau le doute. M. Chaban-Delmas est, certes, autorisé à engager la responsabilité du gouvernement, mais seulement « s'il le juge utile ».

Ouest-France, 18 mai 1972 (Une)

La « petite phrase » du président Nixon : « Nous allons mettre fin à la guerre sans trahir nos alliés » IL A SUFFI D’UNE NOUVELLE PETITE PHRASE du président Nixon à Los Angeles, au moment où son conseiller spécial, M. Kissinger, rentrait de Paris après y être resté exceptionnellement 48 heures, pour que les bruits d’un cessez-le-feu et même d’une paix imminente se multiplient.

Ouest-France, 29 septembre 1972 (p. 4)

Le Premier ministre, en ce début de session parlementaire, s'est montré particulièrement laconique. Quelques mots d'encouragement à la majorité. Quelques mois d'avertissement à l'opposition à propos des petites phrases de M. Séguy, et c'est tout.

Ouest-France, 3 octobre 1973 (Une)

Avec l’incertitude de la situation économique et monétaire, chacun est convaincu que l’on vit plus que jamais sous le règne de l’imprévisible. Au cas où cela tournerait mal, la « petite phrase » de Georges Séguy permettra de dire que la C.G.T. l’avait annoncé.

Ouest-France, 7 septembre 1973 (p. 4)

 « Des éléments semblables à ceux qui précédèrent mai 1968 existent incontestablement dans la situation actuelle » déclare M. Séguy, dans une interview accordée hier au « Monde », alors qu'on lui demandait de préciser sa « petite phrase » du 6 septembre.

Presse Océan, 14 septembre 1973 (p. 2)

L'illégalité, déjà au cœur des débats sur le drame chilien, au centre des « petites phrases » syndicales et politiques du moment, est le butoir réel des négociations d'Arc-et-Senans.

Ouest-France, 17 septembre 1973 (Une)

D'autres arguments militent en faveur de la bonne entente franco-libyenne : on n'a pas oublié à Paris la petite phrase du colonel Kadhafi « du pétrole contre des armes » et l'on ne paraît pas hostile à l'idée de livrer à Tripoli de nouveaux armements.

Ouest-France, 24 novembre 1973 (p. 3)

Il a suffi d'une petite phrase sur le « régime des partis » et de quelques consignes judicieuses pour que les choses rentrent apparemment dans l'ordre. Cependant, le problème demeure.

Ouest-France, 26 mai 1973 (p. 4)

Au gré des souhaits, des conseils, et des petites phrases qu'il distille à l'occasion des congratulations de la nouvelle année, le Président Pompidou s'efforce visiblement de montrer qu'il tient toujours la barre.

Presse Océan, 4 janvier 1974 (Une)

Il existe de sérieux freins à l'application concrète de la politique d'une détente, les méfiances ne sont pas balayées au niveau des dirigeants et les groupes de pression militaire ont évidemment leur mot à dire. D'où cette petite phrase de M. Kissinger : « Les deux parties doivent convaincre leurs chefs militaires des bénéfices de la modération. Ce n'est pas une chose qui est naturelle aux militaires, de part et d'autre. »

Ouest-France, 4 juillet 1974 (p. 2)

 « Quand on regarde notre histoire, on s'aperçoit que les grandes périodes de développement de notre pays sont avant tout les périodes de développement maritime. » Cette petite phrase prononcée hier matin, dans les salons de l'aérodrome de Guipavas par M. Giscard d'Estaing, a mis un peu de baume au cœur des élus de la communauté urbaine brestoise et de la presqu'île de Crozon.

Ouest-France, 8 novembre 1974 (p. 3)

Justifié ou non, ce sentiment que la mobilisation syndicale ne constitue pas une menace politique réelle, malgré la petite phrase de Michel Rocard posant hier le problème du remplacement du pouvoir actuel, incite le gouvernement à maintenir toutes ses mises.

Ouest-France, 19 novembre 1974 (Une)

L'indépendance nationale, aux yeux de certains, parait dangereusement compromise, dès lors que l'on s'efforce de sortir, à l'égard des États-Unis, de la politique de longue bouderie, entrecoupée de petites phrases hargneuses.

Presse Océan, 21 décembre 1974 (Une)

Décidément, les petites phrases du secrétaire d'État aux P.T.T., M. Lelong, notamment celles qui concernent son interrogation sur les revendications des travailleurs de son administration, semblent rester dans la gorge.

Ouest-France, 26 octobre 1974 (p. 8)

Michel Poniatowski vient de démontrer (sans le vouloir) qu'il est malaisé et parfois scabreux de porter trop de casquettes à la fois. En deux ou trois petites phrases lâchées devant le micro d'un poste périphérique, il a réussi à ternir l'image libérale qu'il s'était efforcé de donner de son personnage et de sa politique.

Presse Océan, 7 février 1975 (Une)

Bien sûr, en relisant la petite phrase présidentielle, on pourrait y déceler l'intention de M. Giscard d'Estaing de ne pas attendre l'échéance normale (1978) pour organiser ces élections.

Ouest-France, 7 avril 1975 (Une)

 « Les petites phrases rapportées par les journaux ne correspondent à rien et ne mettent pas en cause notre amitié », a déclaré M. Poniatowski samedi à Rouen.

Ouest-France, 8 décembre 1975 (Une)

Le mal de l’histoire, c'est la violence... Le grand problème politique est de transformer la violence déchaînée en force motrice. » François-Régis HUTIN. LES « PETITES PHRASES DE FRANÇOISE GIROUD Une mise au point, mais...

Ouest-France, 17 juin 1975 (p. 4)

Les congressistes n'ont pas, au milieu de leur surprise et de leur enthousiasme un peu douché, apprécié toute l'importance qu'il faut attacher à une petite phrase de la péroraison du discours de M. Chirac, « Je suis moralement responsable de l'avenir de notre mouvement ».

Presse Océan, 17 juin 1975 (p. 2)

Une petite phrase de Valéry Giscard d'Estaing. prononcée hier, devant le monument aux morts de Kiev, va-t-elle donner à son séjour en U.R.S.S. une nouvelle tournure ? Le Président de la République a paru, en tout cas. vouloir réagir contre la morosité générale en affirmant son « optimisme ».

Ouest-France, 17 octobre 1975 (p. 3

L'un propose le dialogue et la concertation à l'opposition tout entière, et l'autre, fidèle à l'antique tactique consistant à diviser pour régner, lance à la cantonade contre les communistes, les petites phrases dont le ministre d'État s'est fait une spécialité, et dont il sait que si elles ne sont pas toujours jugées opportunes à l'Élysée, elles sont appréciées de la partie droitière de son électorat.

Presse Océan, 19 septembre 1975

Il comprendra douze membres : quatre parlementaires, quatre personnalités qualifiées, quatre officiers et sous-officiers. A propos de ces derniers, une petite phrase de M. Soufflet, ministre de la Défense, a donné lieu à des spéculations :« Il y aura parmi eux une personnalité qui vous étonnera ». Depuis, les paris sont engagés. Le favori, un non-conformiste : le général Bigeard.

Presse Océan, 20 janvier 1975 (p. 2)

La querelle était prévisible Une « petite phrase » de M. Gaston Deferre vient de mettre le feu aux poudres. Le député-maire de Marseille, en réponse à une prise de position de la fédération communiste des Bouches-du-Rhône refusant le vote du budget municipal…

Ouest-France, 29 octobre 1975 (p. 2)

Solitude et défi... « Le gouvernement espagnol est totalement calme »... Cette petite phrase de Fernando Suarez, le ministre espagnol du travail, fait étrangement penser au tragique : « À Varsovie l’ordre règne ». Fernando Suarez passait pourtant pour être l’un de ceux qui, au sein du gouvernement, n’approuvait pas les exécutions capitales.

Ouest-France, 30 septembre 1975 (p. 2)

M. Chinaud a prononcé, au cours de sa conférence de presse, une petite phrase qui paraît désigner le futur élu :« M. Dominati, a-t-il dit, est pour le moment président de la Fédération de Paris ». Encore faut-il que ces nominations soient ratifiées par le congrès.

Ouest-France, 30 janvier 1975 (p. 4)

Giscard a très certainement voulu donner le piquant du cactus à sa petite phrase. En tout cas, elle a traversé l'Atlantique-Nord à une vitesse bien supérieure à celle du supersonique franco-britannique.

Ouest-France, 6 janvier 1976 (Une)

Nul doute. par conséquent. qu'en prononçant ces petites phrases. M. Chirac n'ait fait allusion aux conditions dans lesquelles M. d'Ornano avait été choisi pour briguer la mairie de Paris. le printemps prochain.

— Journaux de Loire, 8 décembre 1976

La petite phrase prononcée de façon aussi brutale qu'inattendue par M. François Ceyrac, risque tout à la fois d'alourdir un climat social déjà chargé et de compromettre un peu plus la réussite du plan Barre.

— Journaux de Loire, 24 novembre 1976 (p. 2)

Ferme réplique de Raymond BARRE au patronat « La politique de la main-d’œuvre ne se ramène pas à l’examen des possibilités de licenciements » Les deux petites phrases de l'interview de François Ceyrac à Ouest-France, dans lesquelles la président du C.N.P.F. demandait un soutien de l'économie et la liberté de licencier pour les entreprises, continuent à faire du bruit.

Ouest-France, 26 novembre 1976

C'EST LA SANS DOUTE le plan « optimum » du président Carter. Il l'a formulé par « petites phrases » successives en tenant compte des réactions d'opposition qui se manifestaient au Congrès ou au sein du lobby pro-israélien.

Ouest-France, 1er août 1977

La méfiance règne car ils ont été blessés par les attaques dont ils ont été maintes fois l'objet. Des petites phrases visant les juges sont en effet parties naguère des rangs gouvernementaux. Ils ne veulent plus que le Pouvoir porte atteinte à leur crédit en leur faisant endosser les bavures policières.

Presse Océan, 2 décembre 1977 (Une)

La réunion, mercredi, du comité de liaison de la gauche et celle, jeudi, en présence exceptionnellement de quarante journalistes, du Comité Central du Parti Communiste n'ont fait que le confirmer. Plusieurs « petites phrases » de Georges Marchais jeudi et de Charles Fiterman mercredi donnent la mesure de la détermination affichée par le P.C.

Presse Océan, 12 novembre 1977

Reste maintenant la polémique qui a surgi entre le président de la République et le secrétaire général du P.C. « On ne fait pas de politique avec des otages »: cette petite phrase prononcée à la télévision par M. Giscard d’Estaing a suscité la colère du leader communiste. « Lamentable et indigne du président de la République ! » a-t-il dit hier.

Ouest-France, 16 décembre 1977 (p. 3)

La petite phrase prononcée, hier, par M. Sadate, à sa sortie de la mosquée, et dans laquelle il n'excluait pas une prochaine visite au Caire de M. Begin dans les quinze jours a relancé les enchères.

Ouest-France, 17 décembre 1977 (p. 2)

Pierre Mauroy a d'ailleurs eu à ce sujet une petite phrase sybilline qui a fait froncer quelques sourcils dans la minorité comme chez les partenaires de la coalition de gauche : « Un parti dominant n'est pas nécessairement majoritaire », a-t-il expliqué.

Ouest-France, 18 juin 1977 (p. 3)

Il s'agissait en fait de concilier ces trois grandes priorités et « d'ajuster la part respective qui leur sera donnée ». En attendant d'en savoir plus, il semble bien que cette petite phrase contienne la clé du plan Barre.

Ouest-France, 18 avril 1977 (Une)

Enfin, les Radicaux de Gauche se contenteraient du compromis proposé par M. Mitterrand sur la « petite phrase » (nationalisations « à la carte »). Le texte actualisé du Programme Commun préciserait seulement que les nouvelles nationalisations devront être réalisées « conformément à la constitution ».

Presse Océan, 20 septembre 1977 (p. 2)

Une très longue attente pour les journalistes bloqués au rez-de-chaussée du siège du P.C., tandis que les discussions se poursuivaient à huis-clos au cinquième étage. Ils n'avaient pu que noter cette petite phrase de Claude Estier :« Nul ne peut dire que le P.S. ne veut pas de l’union de la gauche... ».

Ouest-France, 23 septembre 1977 (p. 2)

C'est la réouverture de la chasse aux « faux chômeurs ». Lancée hier en Alsace, par une petite phrase de M. Raymond Barre (« S’il y a refus d’emploi, qu’on ne vienne plus ensuite se présenter en demandeur »), accompagnée de curieux articles de presse (« Des millionnaires touchent l’aide au chômage »), elle se concrétisera au prochain conseil des ministres.

Ouest-France, 25 août 1977 (p. 2)

Le rapport conclut en réclamant un effort considérable à tous les pays du monde et spécialement à ceux de la Communauté européenne. « Tout de suite. Car demain il sera trop tard. » Cette petite phrase de la commission sénatoriale, Valéry Giscard d'Estaing l’aura sans aucun doute en mémoire, ce matin, en arrivant à Portsall.

Ouest-France, 3 août 1978 (p. 4)

Devant les deux chambres du parlement brésilien, réunies en séance solennelle, le chef de l'État français, relève-t-on à Brasilia, a eu des propos chaleureux pour le Brésil, sa « vitalité et son grand peuple ». Une petite phrase, surtout, a retenu l'attention : dans l'éloge de son hôte, M. Giscard d'Estaing a parlé, de « sa droiture, sa simplicité, la fermeté de ses convictions et son ouverture sur les évolutions nécessaires ».

Presse Océan, 6 octobre 1978 (p. 3)

 « Cette assemblée sera écoutée et entendue. Elle représentera un moteur psychologique qui conduira les gouvernements à rechercher, par de nouveaux accords, à donner de nouveaux contenus à la vie communautaire, et donc au Parlement européen ». Ces petites phrases sont évidemment à rapprocher de celle, désormais fameuse, de M. Schmidt :« Je ne crois pas que le Parlement élu se contentera des droits relativement restreints dont il dispose à l'heure actuelle ».

Ouest-France, 20 novembre 1978

Autant le chancelier Helmut Schmidt a de doigté pour les particularités anglo-saxonnes, autant aussi il manque d'intuition en ce qui concerne la mentalité française. Avec sa petite phrase, il a porté un coup grave à tous les Européens français et, à leur tète, au président Valéry Giscard d'Estaing.

Ouest-France, 20 novembre 1978 (p. 4)

Et l’hôte de Matignon pour qui « l’horizon s'est éclairci », et qui estime avoir le temps devant lui « pour réaliser les réformes nécessaires », a eu cette petite phrase cuisante : « L'ambition ne se réalise pas seulement par le verbe »... avant d'emprunter à François Mauriac ce mot cruel :« Moins les gens ont d'idées à exprimer et plus ils parlent fort ».

Ouest-France, 21 avril 1978 (p. 3)

Sur l'Europe, sur les compétences de la future Assemblée élue de Strasbourg, sur les « petites phrases » ambiguë s de certains chefs de gouvernement des « Neuf », toutes questions qui appartiennent à une actualité plus controversée, M. Giscard d'Estaing a fait preuve d'une calme autorité, susceptible d'apaiser certaines craintes…

Ouest-France, 22 novembre 1978

Les hebdomadaires français excellent dans l'analyse subtile des « petites phrases » d'hommes politiques, dans la description et le commentaire généralement très fouillés mais presque totale ment désincarnés d'une situation sociale, économique ou politique.

Ouest-France, 23 juin 1978 (Une)

la controverse entre François Mitterrand et Michel Rocard, pour le contrôle du parti socialiste et la candidature à l'élection présidentielle, qui s'insinuait dans toutes sortes de rumeurs, rampait autour des « petites phrases » des uns et des autres et rôdait autour de l'état-major du parti, est maintenant officiellement déclarée.

Ouest-France, 27 novembre 1978 (Une)

On retiendra également le passage sur les divisions de la majorité : « Les Français souhaitent l'unité, je serai donc conduit à pren­dre des mesures pour rétablir cette unité ». Une petite phrase sibylline qui va susciter de nombreuses interrogations dans les milieux intéressés.

Ouest-France, 8 mars 1979 (p. 2)

Pour les trois premiers points (Gaza, pétrole, ambassadeurs), M. Carter a précisé que mardi matin M. Begin avait accepté de présenter les propositions de son gouvernement. Cette petite phrase du président américain semble souligner que la balle est de nouveau dans le camp israélien. En fait, tout s'est passé comme si M. Sadate l’avait discrètement et habilement poussée du pied.

Ouest-France, 14 mars 1979 (p. 2)

Une petite phrase pour désamorcer une bombe ? Je rappelle que l'élection à l'Assemblée des Communautés européennes a été décidée par la loi. Cette décision ne pourrait être modifiée que par la loi.

Ouest-France, 18 janvier 1979 (p. 3)

Pas tendre pour la C.G.T., ni pour le P.C., André Bergeron, secrétaire général de Force Ouvrière, dans une interview à Valeurs actuelles. C’est un recueil de « petites phrases ». Exemples :« En France, comme en Italie, nous souffrons du poids du Parti communiste  ». « Les motivations de la C.G.T. sont toujours politiques, même si elles se greffent sur des revendications syndicales fondées ».

Ouest-France, 8 septembre 1980 (p. 4)

Si l’officialisation de cette tactique par le n° 1 du P.C. est tout de même considérée comme un tournant dans les relations des deux partis, deux autres petites phrases ont surtout retenu l'attention des socialistes. La première, prononcée par Georges Marchais, confirme que pour le P.C. il n'est plus question d'accord…

Ouest-France, 15 octobre 1980

Michel Le Séac’h

12 décembre 2022

L’Étrange victoire – Macron II, l’histoire secrète par Louis Hausalter et Agathe Lambret

La réélection d’Emmanuel Macron a laissé un goût d’inachevé. Louis Hausalter et Agathe Lambret, journalistes respectivement à Marianne et BFMTV, cherchent à le dissiper en racontant l’envers du décor de sa campagne présidentielle de 2022. Économe de grandes envolées, leur récit décrit avec une abondance de détails plus d’une trentaine de moments significatifs vus de l’intérieur. Ils gardent le secret de leurs sources, à l’évidence proches du président. Les initiés s’amuseront sûrement à les deviner en découvrant des portraits plus indulgents que d’autres dans ce tableau globalement mitigé. G. s’en sort mieux que K., par exemple…

Il y a peu de petites phrases dans ce livre. En fait, la locution n’y figure qu’une fois, de manière très significative : « Désormais, Macron a peur des petites phrases. Elles ont disparu de son langage. Même à l’occasion de longs échanges sur le terrain, où la tentation est partout, le président se réfrène. Quitte à avoir l’air étrangement amorti. » (p. 177).

Les auteurs ne semblent pas remarquer, en revanche, que la demande s’est tarie. Naguère, les médias et l’opinion prélevaient des petites phrases à leur gré dans n’importe quel échange. « Je traverse la rue, je vous trouve du travail », par exemple, extrait d’un bref dialogue avec un visiteur lambda en 2018, a été érigé en critique envers tous les chômeurs. Ce phénomène a pratiquement disparu. Sans quoi, que le président se réfrène ou pas, la campagne de 2022 aurait été davantage épicée de petites phrases puisées ici ou là.

Petites phrases pas si disparues

Si la demande s’est tarie, ce n’est pas vraiment le cas de l’offre. Hausalter et Lambret consacrent même un mini-chapitre à un « concours de punchlines » : « À quelques heures du débat d’entre deux tours, l’assistance réunie autour d’Emmanuel Macron à l’Élysée cherche des formules qui feront mouche face à Marine Le Pen. Les Technos en ont tiré une de leur sac : "Arrêtez avec le chat qui cache la forêt !" Manière de plaisanter sur la passion très médiatisée de la candidate RN pour ses bêtes. »

Ce n’est pas seulement une affaire d’entourage. Le président ne se réfrène pas tant que ça, en réalité. « Avec eux, Macron rôde ses angles et teste des formules. C’est là qu’il met au point une attaque en piqué contre la baisse de la TVA sur l’énergie proposée par Le Pen. […] Lui-même a déjà forgé personnellement quelques piques, par exemple sur l’emprunt russe du RN : "Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie". » (p. 190) Lors du débat télévisé, l’agressivité n’est pas retombée. « Soudain, au détour d’un échange aride sur les chiffres du chômage, Emmanuel Macron réveille un peu les troupes. "C’est pas Gérard Majax, ce soir, madame Le Pen !" On pouffe de rire dans la pièce. […] Place à la partie sur l’écologie, qui fait moins rire les troupes. "Elle est en train de remonter ", met en garde Sébastien Lecornu. "Il faut taper plus fort, vas-y Emmanuel, tape ! Démasque-la !" crie Richard Ferrand, bien réveillé, devant l’écran de télévision. » (p. 199)

Emmanuel Macron ne réserve pas ses piques à Marine Le Pen. « Très loin de la retenue que mettait jusqu’ici le président pour parler de ses adversaires. Macron qualifie Zemmour de "candidat malentendant", et l’invite à s’équiper à moindres frais, grâce à la réforme "100 % santé", qui permet le remboursement de certaines prothèses. Une réponse droite, un peu maladroite aussi. On imagine que le chef de l’État l’a peaufinée avec ses communicants, mais il n’en est rien. Cette riposte, il l’a préparée tout seul. » (p. 112)

Le programme ne fait pas le poids

Certains de ses proches « trouvent lunaire cette façon d’aborder le combat politique ». D’abord, un président en exercice n’a pas à descendre dans l’arène comme les autres, surtout quand une guerre fait rage depuis quelques jours en Europe. « Emmanuel Macron lui-même donne l’impression de vouloir enjamber ce début de campagne. Tant pis si, jusque dans son entourage, on s’est un peu ennuyé ce soir devant sa prestation sur TF1, lisse et consensuelle. Pour l’instant, il se tient au-dessus de la mêlée et fait presque mine d’ignorer l’existence de ses concurrents. » (p. 61)

Ensuite et surtout, beaucoup considèrent que la campagne doit être menée programme contre programme, c’est un combat d’idées. Ce point de vue, celui du clan des « Technos » élyséens paraît l’emporter au début. Leur stratégie inspire l’essentiel des interventions d’Emmanuel Macron. « L’élaboration de ce programme a été une véritable boîte noire. Certes, la garde rapprochée partageait cette idée qu’il fallait des mesures précises et fortes pour donner de la légitimité au président réélu. Qu’Emmanuel Macron, très haut dans les sondages au déclenchement de la guerre, ne devait pas se contenter d’un effet drapeau. Il fallait contrer ce phénomène, et recentrer l’attention sur les marqueurs du programme. » (p. 83)

Mais la présentation du programme par le candidat se passe mal. « L’énumération des concepts abstraits a noyé la déclinaison des mesures concrètes. Est-ce bien le même qui avait intimé à ses collaborateurs, dans les réunions préparatoires : « Je ne veux surtout pas d’un programme de techno, je veux raconter quelque chose » ? En off, un ministre de premier plan s’est désolé : "On dirait un Premier ministre qui prononce son discours de politique générale". » (p. 90) Les adversaires des « Technos » se déchaînent. Dès lors, l’aspect programmatique de la campagne sera plutôt une sorte d’os à ronger pour les bénévoles dont on ne sait que faire.

Les choses sérieuses, elles, passent entre les mains des politiques. Désormais, la campagne sera faite moins de concepts que d’images, de valeurs et de sentiments, éventuellement agressifs. Emmanuel Macron emprunte même à la concurrence. « Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits » (p. 119), proclame-t-il à La Défense Arena. La formule est en fait d’Olivier Besancenot ! Loin d’avoir disparu de la campagne, les petites phrases sont revenues au score sur le programme.

Michel Le Séac’h

Louis Hausalter, Agathe Lambret
L’Étrange victoire – Macron II, l’histoire secrète
Éditions de l’Observatoire, 2022
ISBN : 979-10-329-1327-7
224 pages, 19 euros

08 décembre 2022

Sécurité pour la Russie : une petite phrase internationale d’Emmanuel Macron plus remarquée à l’étranger qu’en France

 Les petites phrases d’Emmanuel Macron ont assez souvent été prononcées à l’étranger. C’est le cas par exemple de :

- « la colonisation est un crime contre l’humanité » (en Algérie)

- « le Gaulois réfractaire » (au Danemark)

- « les Français détestent les réformes » (en Roumanie)

- « l’Otan est en état de mort cérébrale » (dans un entretien avec The Economist)

Le filon n’est pas épuisé. À la fin de sa récente visite aux États-Unis, le chef de l’État est interrogé par Marie Chantrait dans le 13H00 de TF1, le 3 décembre. À propos de la guerre en Ukraine, il pose cette question rhétorique : « Qu’est-ce qu’on est prêts à faire, comment nous protégeons nos alliés et les États membres en donnant des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra autour de la table ? » Elle est expressément qualifiée de « petite phrase » par TF1 et Le Figaro (« encore une petite phrase » écrit même le quotidien).

Elle n’est pas vraiment nouvelle en réalité. Le président de la République a déjà manifesté son désir de ménager la Russie. « Il ne faut pas humilier la Russie », a-t-il déclaré au mois de mai dernier, déjà dans un contexte international – à Strasbourg, mais devant le parlement européen. Il a repris la formule le 3 juin devant la presse française. La formule a été qualifiée de petite phrase par Le Monde, Radiofrance, TF1 ou RFI. Elle lui a déjà valu des reproches en Europe. Cependant, il a paru changer de cap radicalement avec une intervention d’une très grande fermeté à l’égard de la Russie devant l’assemblée générale des Nations Unies le 20 septembre. Le balancier est résolument reparti dans l’autre sens.

Réactions indignées

Ces petites phrases ne sont pourtant pas très discutées en France. Les Français semblent moins en demande de petites phrases présidentielles qu’il y a cinq ou six ans. Peut-être parce qu’ils ont désormais l’impression de connaître Emmanuel Macron assez bien, ou de pouvoir puiser dans un répertoire déjà assez fourni. En revanche, son mandat l’a rendu plus audible des cercles dirigeants internationaux. Son « baffling statement » du 3 décembre soulève un grand nombre de réactions indignées en Ukraine même et dans plusieurs pays d’Europe orientale.

La plus brève et la plus éloquente est celle de Toomas Ilves, ancien président de l’Estonie, sur Twitter : « Oh FFS ». Le sigle peut désigner des tas de choses (Fédération française de ski, etc.). Ici, selon toute apparence, il est issu de l’argot anglophone et signifie « for fucks sake ». Ce dérivé de « for Christ’s sake » signifie en gros « arrête donc de déconner ». Le surlendemain, Toomas Ilves célébre l’anniversaire du « mémorandum de Budapest ». Par ce traité signé en 1994 entre l’Ukraine et la Russie, la première remettait ses armes nucléaires à la seconde, qui s’engageait en contrepartie à garantir sa sécurité. 

« M. Macron, donner des garanties de sécurité à la Russie, c’est comme fournir un garde du corps à Jack l’éventreur », s’indigne le diplomate ukrainien Olexander Scherba. Parmi les réactions les plus remarquées figure aussi celle de l’ex-champion du monde d’échecs Garry Kasparov, d’origine russe : « les Ukrainiens vivent à nouveau une journée où les missiles russes pleuvent sur leurs villes, mais Macron parle de garanties de sécurité pour… la Russie ?! Et la sécurité pour les gens innocents vraiment attaqués, alors ? »

Mais la pire réaction pour Emmanuel Macron est sans doute… celle qui lui est le plus favorable. Sa déclaration est saluée avec satisfaction par l’agence de presse officielle russe TASS (l’acronyme signifie « Agence télégraphique de l’Union soviétique »). Celle-ci préfère cependant ignorer une autre phrase du président de la République, curieusement peu remarquée en France. Elle porte sur une éventuelle reprise de la Crimée par l’Ukraine : « Est-ce que vous pensez que quand nous, Français et Françaises, nous avons eu à vivre la prise de l'Alsace et de la Lorraine on aurait aimé en pleine guerre qu'un dirigeant du reste du monde nous dise vous devez faire ceci et cela ? ». Il est douteux que la comparaison historique inspire à Vladimir Poutine un sentiment de sécurité.

Michel Le Séac’h
Illustration : copie d'écran agence Tass sur Twitter

05 novembre 2022

« Qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » : logos, ethos, pathos

Grégoire de Fournas, jeune viticulteur bordelais et député du Rassemblement national, a acquis instantanément une notoriété démesurée. Le jeudi 3 novembre, à l’Assemblée nationale, son collègue député LFI du Val-d’Oise Carlos Martens Bilongo s’inquiète du sort de l’Ocean Viking, un navire bloqué en mer avec 234 migrants à son bord. « Qu’il retourne en Afrique », s’écrie Grégoire de Fournas. Hourvari dans l’hémicycle. « Dehors, dehors », réclament bruyamment les députés LFI (voir vidéo de LCP).

Grégoire de Fournas assure avoir visé le bateau et ses occupants. Une grande partie de la presse et des politiques considèrent néanmoins son exclamation comme un « propos raciste » adressé à un député d’origine africaine. « L’élu d’extrême droite avait lancé "qu’il retourne en Afrique !" au député LFI Carlos Martens Bilongo, qui est noir, lors de l’intervention de ce dernier au sujet d’un bateau transportant des migrants », insiste Le Monde.

Logos : exégèse de l’inaudible

Quelques médias qualifient l’exclamation de « petite phrase » ; figurent parmi eux FranceTVinfo, Sud-Ouest, Closer ou La Charente libre. Son contenu est jugé ambigu. Certains écrivent systématiquement : « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ». « En effet, cette phrase, exprimée à l'oral, pourrait aussi bien avoir été prononcée au singulier ("Qu'il retourne en Afrique") ou au pluriel ("Qu'ils retournent en Afrique") », explique France info. On suppute que, au singulier, elle aurait visé Carlos Martens Bilongo, et au pluriel les migrants ; grammaticalement parlant, pourtant, elle peut aussi bien concerner le navire que ses occupants.

Le compte rendu de l’Assemblée nationale renonce aux parenthèses et tranche : « qu’il retourne en Afrique ». Mais dans l’après-midi du 4 novembre, le bureau de l’Assemblée nationale propose à celle-ci de prononcer à l’encontre de Grégoire de Fournas « une censure avec exclusion temporaire, sur le fondement de l’article 70 de notre règlement, en vertu duquel peut être sanctionné un député "qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse" ». Ce choix n’est pas neutre. Car l’article 70 permet aussi de sanctionner un député « qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ». Autrement dit, le bureau de l’Assemblée ne retient pas l’injure raciste.

Au surplus, si le bureau de l’Assemblée avait considéré l’exclamation du député RN comme un propos raciste, donc délictueux, l’article 78 du règlement lui aurait imposé d’informer sur-le-champ le procureur général. Implicitement, il ne reproche à Grégoire de Fournas que d’avoir provoqué une « scène tumultueuse ».

Ethos : l’Afrique des uns n’est pas l’Afrique des autres

Enjoindre à des migrants africains de retourner en Afrique pourrait être qualifié de brutal, d’inhumain, etc. Ici, cependant, la presse parle majoritairement de racisme. Car l’exclamation ne vient pas de nulle part. Un député qui parle d’Afrique parle d’Afrique. Mais quand c’est un député RN, le spectre du racisme plane sur le nom « Afrique » lui-même.

Le message réel d’une petite phrase est souvent dissocié de son contenu stricto sensu. Parce qu’elle vient d’Emmanuel Macron, l’expression « Gaulois réfractaires » est réputée méprisante. Ne l’est pas, en revanche, parce qu’elle vient du général de Gaulle, la présentation de Clemenceau comme un « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race »[1]. La réputation du locuteur, son « ethos » aurait dit Aristote, est consubstantielle à la petite phrase.

Elle peut même l’emporter sur ce qui a réellement été dit. Selon LFI, sur son compte Twitter officiel, « alors que notre député @BilongoCarlos pose sa question au gouvernement, un député RN lui lance : "Retourne en Afrique" ». La deuxième personne du singulier de l’impératif substituée ici à l’exclamation d’origine introduit une tonalité méprisante et hostile.

Pathos : des auditoires inconciliables

Sur ce point, cependant, on peut envisager l’effet du « pathos », les passions et convictions des auditeurs. Il n’est pas impossible que l’auteur du tweet ait entendu ce qu’il désirait entendre. L’URL du tweet comporte d’ailleurs cette séquence : « voici-ce-qua-dit-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-selon-le-compte-rendu-de-lassemblee-nationale ». Son auteur, donc, aurait non seulement mal entendu l'exclamation mais mal lu le compte rendu de l’Assemblée. Le biais de confirmation est une force puissante.

Cependant, dans un monde riche en médias, il n’y a pas un auditoire mais plusieurs. Majoritairement condamné par la presse, Grégoire de Fournas trouve des défenseurs en nombre sur l’Internet. Par exemple, quand Johanna Rolland, maire socialiste de Nantes, réélue en 2020 avec 60 % des suffrages, twitte : « Cette sanction contre les propos indignes d’un député du RN s’imposait », elle s'attire en une journée une cinquantaine de réponses, toutes hostiles à deux exceptions près. « Cette polémique pourrait se retourner en faveur du parti d’extrême-droite », s’inquiète France Culture.

Bien entendu, la position du bureau de l’Assemblée renforce ce risque. Pour avoir provoqué un tumulte, Grégoire de Fournas est exclu de l’hémicycle pendant quinze jours et privé de la moitié de ses indemnités parlementaires pendant deux mois. Mais les tumultes ne manquent pas au Palais-Bourbon. Or une telle sanction n’avait été prononcée qu’une fois antérieurement, contre le député communiste dissident Maxime Gremetz, pour avoir fait scandale en commission à propos de véhicules ministériels mal garés. Le RN n’aura pas de mal à se plaindre d’une victimisation. La petite phrase de Grégoire de Fournas pourrait même en devenir le symbole.

Michel Le Séac’h


[1] Discours prononcé sur la tombe de Georges Clemenceau, 12 mai 1946.

02 novembre 2022

Soundbites et catchphrases : le vocabulaire évolue

Les dictionnaires français-anglais, on l’a dit, traduisent le plus souvent « petite phrase » par « soundbite » ou « sound bite », et inversement. Cette traduction s’est imposée dans les quinze dernières années du 20e siècle. Peut-être en raison d’un usage de la politique américaine, comme le suggère David Colon : « depuis les années 1990, le White House Office of Communications systématise l'usage de la "ligne du jour", consistant à mettre en avant, chaque jour, un aspect particulier de l'action du président ou plus largement de l'administration présidentielle, à coups de déplacements thématiques et de « petites phrases » (sound bites) glissées à l'oreille des journalistes accrédités[i]. » 

Cependant, la locution « petite phrase » n’est peut-être pas très solidement inscrite dans la langue française : si elle a remplacé le « mot » depuis quelques dizaines d’années, elle pourrait être un jour remplacée par une autre expression. « Punchline » reste un prétendant plausible, mais paraît déjà en recul, avec quelques années de retard sur les États-Unis. Car le vocabulaire anglo-saxon lui-même évolue et les dictionnaires courants ont sans doute un temps de retard.

Les recherches sur Google en donnent une indication. Fréquentes au début de ce siècle aux États-Unis, les recherches sur « soundbites » ont peu à peu décliné, tandis que les recherches sur « catchphrases » progressaient. Depuis 2010 environ, « catchphrases » est recherché plus souvent que « soundbites », comme on le constate sur le graphique ci-dessous. Non représenté, « buzzwords », brièvement passé en tête dans les premières années 2010, a ensuite reculé lentement.


Bien entendu, ce graphique ne permet pas de conclusions absolues. Il faudrait comparer aussi les recherches sur le singulier des deux expressions, et aussi sur leur version en deux mots. Il faut noter aussi que si « soundbites » renvoie presque toujours à un usage politique, « catchprases » et plus encore « buzzwords » ou « punchlines » appartiennent souvent au vocabulaire du spectacle, des médias ou du marketing. Mais globalement, l’évolution est claire.

Les définitions canoniques de ces différents termes ne se recouvrent pas exactement. Peu importe, car elles ne sont ni stables ni très précises. Le tout est de savoir si les expressions sont bien utilisées pour désigner des formules concises prononcées par des personnages publics et qui marquent les esprits. La petite phrase reste un concept mal identifié.

Michel Le Séac’h


[i] David Colon, Propagande – La manipulation de masse dans le monde contemporain, Paris, 2019/édition Champs Flammarion, 2021, p. 167.


28 octobre 2022

Une petite phrase a un auteur, l’Académie française n’est pas seule à l’oublier

« "Petite phrase" : La définition magistrale de l’Académie française » est à ce jour le huitième billet le plus consulté de ce blog. Sans nul doute, la définition forgée par le Quai Conti est remarquable et inégalée. Elle souffre pourtant d’une omission capitale.

En 1935, la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française ignorait la petite phrase. Celle-ci est entrée en 2011 dans le troisième volume de la neuvième édition, en cours. Les académiciens s’y sont même pris à deux fois, avec deux définitions identiques à un mot près :

  • « phrase concise qui, sous des dehors anodins, vise à marquer les esprits »
  • « formule concise qui, sous des dehors anodins, vise à marquer les esprits »

La première illustre l’un des sens de l’adjectif « petit ». La seconde, l’un des sens du nom « phrase ». L’Académie procédant par ordre alphabétique, la seconde définition est postérieure à la première. On peut considérer qu’elle la corrige.

Une correction s’imposait en effet. La première définition ci-dessus sert à éclairer cette définition de « petit » : « dont la valeur ou l'importance est faible ». Elle voisine avec d’autres exemples comme « rendre un petit service », « de petits tracas », « au petit bonheur la chance ». Pourtant, si la petite phrase doit « marquer les esprits », c’est sans doute que sa valeur n’est pas si faible ! À moins que les esprits ne le soient eux-mêmes – mais imagine-t-on l’Académie française faire preuve à ce point de… mauvais esprit ?

La seconde définition échappe à cette contradiction interne. Les académiciens l’ont mûrement soupesée puisque ils ont choisi de remplacer le mot « phrase » par le mot « formule » au moment même où ils réfléchissaient au sens du mot « phrase ». Cette dernière est une « proposition simple […] grammaticalement autonome, et qui présente une unité de sens ». La « formule », une « expression condensée, nette et frappante ». Ainsi, il y a plus d’énergie dans la formule que dans la phrase. Pour des sciences comme les mathématiques, une formule exprime de manière symbolique une règle opératoire et se suffit à elle-même. Qu’on songe à E = mc² : Einstein y concentre l’univers entier en trois lettres, un chiffre et un symbole mathématique. En effet, une petite phrase résume souvent une vaste pensée.

L’ethos toujours capital

La définition de l’Académie est remarquable à d’autres égards :

  • La petite phrase n’est pas seulement petite, c’est-à-dire brève, elle est « concise », c’est-à-dire qu’elle « fait entendre beaucoup de choses en peu de mots ». Elle contient davantage qu’elle-même.
  • La petite phrase se présente « sous des dehors anodins ». Puisqu'il y a « dehors », implicitement, il y a aussi « dedans ». Si les premiers sont « anodins », c’est que l’important, dans la petite phrase, se cache à l'intérieur.
  • La petite phrase « vise ». Autrement dit, elle est animée d’une intention. Le sujet du verbe d’action, c’est elle. Et elle atteint parfois des cibles imprévues.
  • La petite phrase est destinée à « marquer », c’est-à-dire à produire une impression durable. Elle relève plus de la mémoire que de l'intelligence.
  • La petite phrase marque « les esprits », pluriel qui dénote son caractère collectif : elle s’adresse en général à un groupe, non à une personne.

En douze mots seulement, les académiciens ont donc livré une définition pesée au trébuchet, spécialement riche de sens. Il y manque pourtant deux éléments essentiels : les médias et, surtout, l’auteur. Si la petite phrase est animée d’une vie propre, encore lui faut-il un géniteur. 

L’identité de l’auteur, autrement dit l’ethos d’Aristote, est pour beaucoup dans les dedans implicites d’une petite phrase. « Je traverse la rue, je vous trouve du travail » ou « le Gaulois réfractaire » ne signifieraient rien si ces phrases n’étaient d'Emmanuel Macron. La différence capitale entre « L’État c’est moi » et « La République c’est moi » n’est pas entre l’État et la République mais entre Louis XIV et Jean-Luc Mélenchon.

Le locuteur souvent oublié

Pourquoi cet oubli de l’auteur ? Probablement parce que sa présence paraît évidente : toute phrase a un auteur. Ce qui est trop visible reste parfois inaperçu – c’est l’éléphant dans la pièce ! L’Académie française n’est pas seule à négliger le locuteur. Il est intéressant de comparer sa définition en douze mots à celle de dictionnaires et encyclopédies contemporains. C’est l’objet du tableau ci-dessous.

On remarquera spécialement la définition de l’encyclopédie libre Wikipedia, alimentée par les internautes. L’article « petite phrase » a été créé en décembre 2007. Il proposait la définition suivante : « un court extrait de discours ou une brève citation, destinée à marquer les esprits et être reprise dans les médias du fait de son effet percutant ». Cette définition est restée à peu près inchangée (seuls les six derniers mots ont été supprimés) pendant près de quinze ans. C’est seulement en juillet 2022 qu’un contributeur signant WikipSQ y a introduit la mention d’un « acteur médiatique et le plus souvent politique ».

 La petite phrase et ses protagonistes dans les dictionnaires usuels

Source

Définition

Auteur

Médias

Public

Trésor de la langue française (1988, 2021 en ligne)

« propos bref d’un homme politique qui sert à frapper l’opinion »

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Petit Robert (1993, 2017)

« petite phrase, extraite des propos d'un homme public et abondamment commentée par les médias »

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Maxidico (1996)

« propos d’une personnalité, gén. politique, repris par les médias qui en amplifient l’importance ou l’effet sur l’opinion « 

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Le Grand Robert de la langue française (2001)

« expression ou phrase, faisant formule et prononcée dans un contexte politique »

 

 

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Le Robert, Dictionnaire culturel en langue française (2005)

« v. 1980, expression ou phrase, faisant formule et prononcée dans un contexte politique »

 

 

*

Le Grand Larousse illustré (2018)

« élément d’un discours, notamm. politique, repris par les médias pour son impact potentiel sur l’opinion »

 

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CNRTL (2022, en ligne)

« propos bref d'un homme politique, qui sert à frapper l'opinion »

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Larousse (2022, en ligne)

« courte phrase détachée des propos tenus en public par une personnalité et censée révéler la pensée profonde de l’auteur »

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The Free Dictionary (2022, en ligne)

« élément d’un discours, en particulier politique, repris par les médias pour son impact potentiel sur l’opinion »

 

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*

Wikipedia (2022, en ligne)

« un court extrait de discours ou une brève citation publique, d'acteurs sociaux (acteur médiatique et le plus souvent politique), destinée à marquer les esprits et être reprise dans les médias »

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Wiktionary (2022, en ligne)

« courte phrase ou citation, volontaire ou non, qui marque les esprits parce qu’elle est facilement détachée de son contexte »

 

 

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Michel Le Séac’h

Illustration : Anonyme, La mort de Démosthène, 1805, Nancy, musée des Beaux-Arts (extrait). Photo VladoubidoOo via Wikipedia Commons, licence CC AS 4.0