Petite phrase et langue de bois sont les deux pôles opposés
du discours politique[1].
La langue de bois est faite pour « entrer par une oreille et sortir par
l’autre ». La petite phrase, au contraire, « vise à marquer les
esprits », comme
dit l’Académie française. Elle est le clou qui fixe la langue de bois.
Cette distinction n’est pas propre à la vie politique
contemporaine. Dans la Grèce antique, écrit Paul Veyne, « le contenu
des discours d’apparat n’était pas senti comme vrai et pas davantage comme
faux, mais comme verbal. Les responsabilités de cette ‘langue de bois’ ne sont
pas du côté des pouvoirs politiques, mais d’une institution propre à cette
époque, à savoir la rhétorique. Les intéressés n’étaient pas contre pour
autant, car ils savaient distinguer la lettre et la bonne intention : si
ce n’était pas vrai, c’était bien trouvé.[2] »
Aujourd’hui comme hier, la langue de bois exprime surtout des bonnes
intentions.
Bien entendu, la langue de bois n’est pas propre non plus au
discours politique tout court. Les « promesses verbales » jamais
tenues abondent dans les relations personnelles. Comme chantait Dalida,
« Paroles, paroles, paroles, paroles, paroles et encore des paroles que tu sèmes au vent
Voilà mon destin te parler, te parler comme la première fois »
On a beau savoir que les bonnes intentions resteront des intentions, elles font toujours plaisir à entendre.
« Paroles, paroles, paroles, paroles, paroles et encore des paroles que tu sèmes au vent
Voilà mon destin te parler, te parler comme la première fois »
On a beau savoir que les bonnes intentions resteront des intentions, elles font toujours plaisir à entendre.
Si la langue de bois est récurrente, elle doit être
recyclable. Des humoristes proposent régulièrement des générateurs de langue de
bois. Le politologue Thomas Guénolé a jeté les bases d’un
« pipotron » dans son Petit guide du mensonge en politique[3].
Mais ne s’agit-il pas de plaisanteries ? On sait maintenant que non.
Valentin Kassarnig, étudiant en informatique à l’University
of Massachusetts Amherst, vient de présenter « un système capable de
générer des discours politiques pour le parti politique de son choix ».
Il a détaillé ses travaux dans un
article intitulé « Political Speech Generation », déposé voici
quelques jours sur le site de prépublication scientifique ArXiv et mentionné
par le blog du Monde
comme par le supplément Étudiants du Figaro.
Son système utilise des méthodes de programmation neuro-linguistique avancées comme
les n-grammes, les réseaux de neurones récurrents ou l’allocation de Dirichlet
latente. Il s’appuie sur la base de données Convote, de
Cornell University, qui contient près de quatre mille discours de
parlementaires américains.
Or ce système donne de bons résultats, tant sur le plan de
la correction grammaticale que celui du contenu. Même si Valentin Kassarnig
juge « très improbable que ces méthodes soient réellement utilisées
pour générer les discours de politiciens », les textes produits sont
très plausibles. Comme dit Paul Veyne, s’ils ne sont pas vrais, ils sont bien
trouvés.
Michel Le Séac'h
[2] Paul Veyne, Les
Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Seuil, coll. Essais, 1992,
p. 89.
[3] Thomas
Guénolé, Petit guide du mensonge en politique, Paris, First, 2014,
p.153-155.
Buste de Démosthène, copie romaine d’une statue de Polyeuctos, musée du Louvre, photo User:Mbzt, licence CC BY 3.0