En 1983, Jean-Pierre Chevènement est ministre de la Recherche et de la Technologie. En désaccord avec une politique
gouvernementale qu’il juge trop à droite, il déclare : « Un ministre,
ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne ». Et il
démissionne. Il récidivera en 1991, hostile à l’intervention de la France en
Irak alors qu’il est ministre de la Défense.
Sa formule est devenue l’une des petites phrases les plus
connues de la vie politique française contemporaine. Google en recense des dizaines de milliers d’occurrences et, consécration, elle figure dans l’Histoire
de la Vème république pour les Nuls de Nicolas Charbonneau et Laurent
Guimier. Elle est systématiquement rappelée par la presse et les milieux
politiques chaque fois qu’un ministre manifeste un désaccord avec le
gouvernement. Et cela quelle que soit l’issue : démission, résipiscence ou
limogeage. On l’a citée ces dernières années à propos de Rama Yade, de Cécile
Duflot, de Delphine Batho, d’Arnaud Montebourg et de quelques autres.
Depuis quinze jours, c’est le tour de Christiane Taubira.
Son cas n’est pas foncièrement différent, même si elle déploie une
interprétation originale du scénario : elle l’ouvre et la ferme
alternativement sans démissionner ni être renvoyée. La jurisprudence
Chevènement a été rappelée par Alexandre Sulzer dans L’Express,
Jean-Baptiste Jacquin dans Le
Monde, Grégoire Biseau dans Libération,
Jérôme Sainte Marie interviewé par Eléonore de Vulpillières dans Le
Figaro, et bien d’autres encore.
Le succès de cette petite phrase tient sûrement à sa bonne
adéquation avec la culture des milieux politiques et à la fréquence des
circonstances propices à sa répétition, donc à sa mémorisation. Quant à sa
forme, on peut noter :
- Qu’elle a été spontanément simplifiée et raccourcie par la postérité, « si ça veut l’ouvrir », pas indispensable, ayant été remplacé par le plus bref « ou ».
- Qu’elle contient une répétition interne (« ça… ça »), élément souvent favorable à la pérennisation d’une petite phrase.
- Que la présence d’un mot grossier (« gueule ») ne lui nuit pas, au contraire : comme l’ont montré Cory R. Scherer et Brad J. Sagarin, une obscénité légère exerce un effet positif sur la persuasion[1].
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[1] Cory R. Scherer et Brad J. Sagarin, "Indecent Influence: The Positive Effect of Obscenity on Persuasion", Social Influence, 1, n°2, juin 2006, https://doi.org/10.1080/15534510600747597