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24 septembre 2024

Michel Barnier, contre les petites phrases, tout contre

Décidément, Michel Barnier n’aime pas les petites phrases. Il l’a dit dans le passé, comme on l’a rappelé ici voici peu, il l’a redit expressément voici quelques jours, une fois nommé à l’Hôtel Matignon. À peu près toute la presse, de Libération au Huffington Post en passant par Public Sénat et Europe1, a noté son commentaire : « La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. J'ai demandé tous les éléments pour en apprécier l'exacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité. »

Le Figaro en a même fait un titre : « "Cette situation mérite mieux que des petites phrases" : Michel Barnier juge le contexte budgétaire français "très grave" ». Si la situation budgétaire du pays est grave, n’est-ce pas faire déjà beaucoup d’honneur aux petites phrases, de la part du Premier ministre et de la presse, que de considérer qu’elles pourraient être une alternative, même insuffisante, à la responsabilité budgétaire ? Bien entendu, une petite phrase ne règle rien, mais en faire un cache-misère est déjà lui accorder un certain poids.


Comme d’autres, Quentin Laurent, du Parisien, interrogé par France Inter, oppose la sobriété du Premier ministre au « côté bateleur » et au « goût prononcé pour la mise en scène » d’Emmanuel Macron : « [Ses équipes] aiment bien répéter que le Savoyard se méfie des petites phrases et des slogans ». Et même si des petites phrases en abyme sont possibles (« on se rappelle ce crochet du droit envoyé à l’Elysée le jour de sa nomination comme Premier ministre: "nous allons davantage agir que parler" »), le principe est posé. « Il ne s’invente pas un personnage. Michel Barnier, il est comme ça. »

À nouveau ce lundi, en réunissant son gouvernement pour la première fois, Michel Barnier lui a lancé un avertissement général : « "Pas d'esbroufe, s'il vous plait […]. Pas de petites phrases, pas de promesses excessives, une grande discipline ». Là encore, une grande partie de la presse a pris note de cette prohibition des petites phrases, à l’instar de BFM TV, d’Ouest-France ou de RMC. Mais faire régner la discipline n’est peut-être pas si facile. Quand Bruno Retailleau affirme :« J’ai trois priorités : rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre », ne parlera-t-on pas de petite phrase ? Et bien entendu, il n’est pas le seul ministre entrant ou sortant à tenter de prendre la lumière.

« Ce dédale de petites phrases et d’outrances sert les desseins de Michel Barnier », assure pourtant Luc Bourrianne dans La Nouvelle République. « C’est moins risqué que d’annoncer des réformes fiscales impopulaires ». À nouveau, c’est accorder implicitement une grande puissance, au moins temporaire, aux petites phrases. Et si le gouvernement est éphémère, elles pourraient bien devenir l’essentiel de ce qui en sera conservé.

Michel Le Séac’h

05 septembre 2024

Michel Barnier échappera difficilement aux petites phrases

 Michel Barnier, nouveau Premier ministre, est réputé homme pondéré et même un peu ennuyeux. Il n’aime pas les écarts de langage. En 1997, alors ministre délégué aux Affaires européennes, interrogé sur une question européenne importante lors d’un grand entretien radio-télévisé, il répondait : « Le meilleur moyen pour un membre du gouvernement, celui que vous interrogez à l’instant, de dissiper ces rumeurs est de ne pas y participer, de ne pas en rajouter, de ne pas faire sa petite phrase. »

Cette abstention n’est pas seulement conjoncturelle. Dans Vive la politique ! (Stock, 1985), Michel Barnier cite en exemple Delphine, 15 ans, dressée contre les politiques, « des gens qui nous apparaissent ridicules, qui vous débitent à longueur d'antenne des chiffres que chacun interprète à sa façon, quand ils ne sont pas en train de s'insulter à coups de sous-entendus ou de petites phrases." » Dans Vers une mer inconnue (Hachette Pluriel, 1994), il écrit : « Je suis certain que les querelles intestines, les petites phrases dont la presse est si friande et les ambitions des uns ou des autres indiffèrent ou agacent les Français. »


Cette certitude n’est sans doute ni justifiée, ni productive. Michel Barnier est « très sous-estimé sur la scène politique française, sans doute à cause de son peu de goût pour la petite phrase et de son sens de l'humour limité », estime Libération, brossant son portrait en 2016(1). «Il ne donne pas dans la petite phrase, il na pas une personnalité pétillante, il nest pas assez voyou pour les mœurs françaises et cela en fait un mauvais client pour les journalistes», assure un de ses proches à Ouest-France(2) en 2018.

Candidat à la primaire de la droite, avant l’élection présidentielle de 2022, il ne se départit pas de cette ligne de conduite. Dans son camp, on craint que la concurrence ne tourne au jeu de massacre, tel celui déclenché en 2016 par une petite phrase de François Fillon. Mais avant d’avoir fait la perte de Fillon, n’avait-elle pas fait son succès ? En tout cas, Michel Barnier ne jouera pas à ce jeu-là. « Pas de petite phrase à attendre de Michel Barnier », promet son entourage à la veille du premier débats entre les candidats à la candidature(3).

Des petites phrases par inadvertance

Une petite phrase est vite arrivée. Chez Michel Barnier, cela ne peut être que par inadvertance. « L'avenir du Togo est entre les mains des Togolais » déclare-t-il sur France 2 en avril 2005. Dans la bouche d’un ministre des Affaires étrangèes, cela paraît une banalité. C’est en fait une grande imprudence !  « A Lomé, où les adversaires de Faure Gnassingbé sont majoritaires, la petite phrase de M. Barnier avait été interprétée comme la marque du soutien de Paris au fils du président défunt Eyadéma, et ce malgré les fraudes », commente alors Le Monde, qui ajoute : « Sans renier son propos (peu goûté à l'Elysée), M. Barnier l'a quelque peu nuancé jeudi en faisant observer qu'il ne s'était "jamais prononcé sur le résultat du scrutin". »(4)

En 2021, lors du Congrès des Républicains, alias la primaire de la droite avant l’élection présidentielle de 2022, il se livre à l’exercice du tweet en 140 signes synthétisant une partie de ses propositions : « Il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH. » Cette prise de position contre les juges supranationaux soulève un tollé ; il s’empresse de le retirer et de le remplacer par une formule édulcorée : « « Restons calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera qu’à la politique migratoire. » On ne saura jamais si cette reculade lui a été bénéfique ou a causé son échec (il arrive troisième avec 23,93 % des voix derrière Éric Ciotti, 25,59 %, et Valérie Pécresse, 25,00 %).

Arrivé à l’Hôtel Matignon dans les conditions qu’on sait, pourra-t-il s’abstenir de petites phrases ? Fatalement, qu’il le veuille ou non, une grande partie de ce qu’il dira sera susceptible d’être considérée comme telle. Mais il sera hors de question de multiplier les replis tactiques.

Michel Le Séac’h

 (1) Jean Quatremer, « Michel Barnier, un mister Brexit bien peu anglophile », Libération, 27 juillet 2016, https://www.liberation.fr/planete/2016/07/27/michel-barnier-un-mister-brexit-bien-peu-anglophile_1468933/

(2) Laurent Marchand, « Savoyard, gaulliste et Européen... Qui est Michel Barnier, le Mister Brexit de l'Europe ? », Ouest-France, 15 novembre 2018, htps://www.ouest-france.fr/europe/grande-bretagne/brexit/savoyard-gaulliste-et-europeen-qui-est-michel-barnier-le-mister-brexit-de-l-europe-6072053

(3) Aurélie Herbemont, « Présidentielle 2022 : le premier débat entre les candidats LR peut-il virer au pugilat ? », RTL, 08 novembre 2021, https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-le-premier-debat-entre-les-candidats-lr-peut-il-virer-au-pugilat-7900094026

(4) Jean-Pierre Tuquoi, « Pas d'ingérence de la France, selon Michel Barnier », Le Monde, 28 avril 2005, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2005/04/28/pas-d-ingerence-de-la-france-selon-michel-barnier_643811_3212.html

Illustration : photo Flick https://www.flickr.com/photos/lisboncouncil/8210920600, licence CC BY-NC-ND 2.0

12 septembre 2021

Michel Barnier : « Qui imagine la Cour de justice européenne mise en examen ? »

D’une seule phrase, Michel Barnier a soulevé jeudi dernier une énorme agitation dans les milieux politiques et médiatiques. Personne n’a parlé de « petite phrase », pourtant. Et pour cause. Cette phrase, prononcée lors d’une journée parlementaire des Républicains, la voici :

Nous ne pouvons pas faire tout cela sans avoir retrouvé notre souveraineté juridique, en étant menacés en permanence d'un arrêt ou d'une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Convention des droits de l'homme, ou d'une interprétation de notre propre institution judiciaire.

Une phrase de 45 mots peut pouvait difficilement être qualifiée de « petite ». Et celle-ci ne semble pas avoir ému le grand public. Mais que les commentaires des spécialistes se soient focalisés sur elle a de quoi surprendre. Le message important, a priori, était le « faire tout cela » : ce que le candidat à la présidence de la République s’engage à réaliser s’il est élu. En l’occurrence, un moratoire de l’immigration comprenant une quinzaine de mesures : durcir les conditions du regroupement familial, distribuer des cartes vitales biométriques, renforcer Frontex, etc.

Ces mesures avaient déjà été avancées par Michel Barnier dans une tribune du 28 juillet 2021. L’une d’elles était ainsi libellée : « Loi constitutionnelle pour garantir la primauté du droit français en la matière. » C’est-à-dire, en douze mots, exactement la même chose que le 9 septembre en quarante-cinq. La bouffée d’indignation de ces derniers jours pourrait donc bien être le fruit d’une réflexion plutôt qu’une réaction spontanée.

Les positions sont, dépêche AFP aidant, assez stéréotypées :

  • Stupéfaction à Paris et Bruxelles après les critiques de Barnier contre la justice européenne – Le Parisien
  • La classe politique divisée après les critiques de Michel Barnier contre la justice européenne – Le Figaro
  • Michel Barnier provoque la consternation en Europe – Les Échos
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier consternent Bruxelles – Challenges
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier sèment la consternation à Bruxelles – Le Monde
  • Les propos de Michel Barnier contre la justice européenne créent la stupéfaction – Ouest-France

On note que ces réactions sont « bruxelloises », alors que l’avertissement de Michel Barnier vise tout autant le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État français. Évidemment, si un ancien commissaire européen est capable de contester aussi ouvertement la suprématie du droit européen, les autres candidats à la présidence pourraient surenchérir. Le risque est clair pour des institutions européennes déjà fragilisées par le Brexit et les attitudes de certains pays d’Europe de l’Est.

Les partisans de la supranationalité, alertés par les propos du 28 juillet, auraient pu la jouer lénifiante : « les institutions européennes respectent la souveraineté juridique des États membres dans le cadre prévu par les Traités », etc. Au contraire, ils ont saisi la première occasion explicite pour déclencher un tir de barrage. Et non contents de contester la proposition, ils attaquent l’homme lui-même. « Cela le discrédite complètement », proclame par exemple Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste. De là à penser qu’ils tapent fort pour tenter de dissuader d'éventuels imitateurs…

 Se montrer ferme ou pas

L’épisode contient aussi une leçon pour Michel Barnier en tant que candidat à la présidence. Expert ès milieux européens, il ne pouvait ignorer ni le caractère scandaleux de l’expression « primauté du droit français » ni la virulence de ces milieux envers les contestataires. Dès la révélation de ses intentions, c’est-à-dire dès le 28 juillet, il aurait dû s’attacher à leur donner une forme plus visible afin d’imposer sa marque, d'afficher une autorité intellectuelle.

François Fillon, lui aussi, savait bien qu’il allait scandaliser une partie de son propre camp en lançant, fin août 2016, son fameux « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? ». Une question rhétorique, largement qualifiée de petite phrase, elle. Les critiques avaient été vives mais l’ancien Premier ministre, lui aussi réputé terne et pondéré, avait acquis une stature.

À retardement, Michel Barnier cherche à présenter sa position au grand public le 9 septembre avec ce tweet : « Il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH. » Même si les sigles sont ésotériques pour beaucoup, la position se veut claire et déterminée : Michel Barnier est à l’offensive.

Cependant, devant la vivacité des réactions, l’ancien commissaire européen retire son tweet ! Il lui substitue celui-ci : « Restons calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera qu’à la politique migratoire. » Ses adversaires restent maîtres du terrain de la twittosphère. Son geste de soumission, ou au moins de conciliation, a sûrement ses raisons mais risque d’obérer la suite d'une campagne présidentielle.

Michel Le Séac’h

Illustration : Michel Barnier en 2017, photo The Jacques Delors Institute, licence CC B Y 2.0 via Wikimedia Commons