Qu’est-ce qu’une petite phrase ? C’est « ce que
les médias ou la médiatisation font aux discours des responsables
politiques », répondent Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier(1). Les deux chercheuses ne s’en tiennent
évidemment pas là, mais ce raccourci audacieux offre un bon point de départ
pour l’étude des petites phrases : une petite phrase est une phrase
dont la presse dit qu’elle est une petite phrase(2) !
Avec
Le Solitaire du palais – Le livre du quinquennat Macron
2017-2022, Laurence Benhamou emmène ses
lecteurs au cœur de ce réacteur. Journaliste
de l’AFP accréditée à l’Élysée, elle a vu naître des petites phrases
présidentielles pendant cinq ans – mieux, elle les a parfois portées sur les
fonts baptismaux. Une déclaration qualifiée de « petite phrase » par
l’AFP a de fortes chances de le devenir.
Laurence Benhamou
désigne expressément comme petites phrases les déclarations suivantes :
- « Ici,
dans cette gare, se croisaient ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont
rien… » (p. 48)
- « Les
Français détestent les réformes. Dès qu’on peut les éviter, on ne les fait
pas ! C’est un peuple qui déteste cela ! » (p. 51)
- « Je
serai d’une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants,
ni aux cyniques, ni aux extrêmes. » (p. 54)
- « Certains,
au lieu de foutre le bordel, devraient aller voir s’ils ne trouvent pas de
poste » (p. 58)
- « Moi,
je bois du vin midi et soir. Il y a un fléau de santé publique quand la
jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la
bière, mais ce n’est pas avec le vin. » (p. 99)
- « Jusqu’à
présent, la seule manière de faire ressentir rapidement un changement aux
Français consistait à distribuer de l’argent public. Notre pays s’était
habitué à cette morphine. » (p. 115)
- « Le Gaulois réfractaire » (p.
144)
- Les militants écologistes, « qu’ils
aillent manifester en Pologne ! » (p. 243
- « Quoi
qu’il en coûte. » (p. 292)
- « Je
nous connais mieux. Ce sont toujours les mêmes qui participent aux
réunions et les autres, au bout de deux mois, diront qu’ils en ont été
exclus. » (p. 433)
Elle parle aussi à l’occasion de « reparties
cinglantes » (« La médaille, si vous n’en voulez pas, vous ne la
prenez pas ! », p. 321), de « flèches du Parthe »
(« Nous sommes devenus une nation de 66 millions de
procureurs ! », p. 385), de « punchlines » (« Chaque
Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 », p. 399),
de « phrases fétiches » (« Parce que c’est notre projet »,
p. 150).
Se pourrait-il que cette sélection témoigne d’un parti-pris
de la part de la journaliste ? Il est clair que les formules ci-dessus
tendent à brosser le portrait d’un président arrogant et peu empathique et non
pas à résumer les orientations de sa politique. Mais tel est bien le rôle des
petites phrases, elles décrivent le caractère d’un leader et pas son programme.
Délibérément ou non, l’usage qu’en fait Laurence Benhamou le confirme une fois
de plus. Ce qui ne signifie pas, cependant, que les petites phrases disent
toute la vérité du président ; on apprend ainsi que Brigitte Macron
« exècre [ses] petites phrases provocatrices », ce qui n’empêche pas
ses sentiments…
Sibeth Ndiaye, grave erreur de casting
On voit bien qu’Emmanuel Macron a raté son rendez-vous avec
les journalistes. Délibérément peut-être. « La nouvelle équipe sait déjà
comment elle veut traiter une presse dont elle se méfie : distance et
parole rare », lit-on dès les premières pages du livre, à peine le nouveau
président installé à l’Élysée. Et un peu plus loin : « Sa distance
avec la presse ? Il la revendique : "Je ne m’intéresse pas aux
journalistes, je m’intéresse aux gens. Quand les journalistes me posent des
questions sur la communication, ils s’intéressent à eux, pas au pays, c’est du
narcissisme. " Il faudra attendre certaines crises, notamment celle des
Gilets jaunes, pour que l’Élysée comprenne que les médias sont une courroie de
transmission indispensable entre l’exécutif et la population. »
Il faudra attendre aussi, semble-t-il, qu’Emmanuel Macron
prenne conscience du tort que lui causent certains de ses proches. Et avant
tout « Sibeth Ndiaye, la responsable de la communication, seule femme du
premier cercle, fille d’un éminent homme politique sénégalais, militante PS
devenue la communicante d’Emmanuel Macron à Bercy, et qui va le rester à l’Élysée. »
Elle paraît s’ingénier à pourrir la situation. « Quelques jours après
l’investiture, Sibeth Ndiaye débarque dans la salle de presse. Ironique et
agressive, elle ne prend pas de gants. (…) C’est le début d’un bras de fer. Il
va durer deux longues années. » Et alimenter les pages les plus critiques
du livre, où abondent les notations du genre : « Sibeth Ndiaye ne se
prive pas de nous envoyer promener, souvent en termes très crus. » Elle
est la seconde personne la plus souvent citée dans le livre, avant même
Brigitte Macron et le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. À côté
d’elle, Benjamin Griveaux, éphémère porte-parole du gouvernement,
« particulièrement agressif et méprisant à l’égard de la presse » a
presque l’air d’un enfant de chœur. Quand enfin le président se décide à l’évincer,
l’épitaphe est sans appel : « Son départ marque la fin d’une époque.
Ses maladresses, son langage cru, ses provocations, son ton cinglant et ses
tirades antimasques ont cristallisé la rancœur de l’opinion. »
Les images plus que les mots
Si ses relations avec les journalistes sont mauvaises,
Emmanuel Macron est en revanche attentif aux images, et Laurence Benhamou aux
attitudes du président. « Le couple évite le baiser sur la bouche qui
avait agacé au soir du premier tour », note-t-elle au soir de la victoire
électorale. « La Marseillaise retentit. Emmanuel Macron la chante à
mi-voix, parfois les yeux clos. Il serre très fort les doigts de sa compagne.
Et garde l’autre main sur le cœur, dans une posture à l’américaine. Comme s’il
voulait transformer les usages. Il n’y renoncera que quelques semaines plus
tard, lors de la visite de Donald Trump. Sans doute pour ne pas avoir l’air
d’imiter l’Américain. » Lors des obsèques de Johnny Hallyday, il se
retient de saisir le goupillon pour bénir le cercueil : « au dernier
moment, il se rend compte de la gaffe, ce geste qui lui serait reproché,
renonce et retient furtivement la main de son épouse qui allait faire de
même. » Lors des obsèques de Jean d’Ormesson, « théâtralement, il
dépose un crayon sur son cercueil ».
Mais les images présidentielles passent moins par la presse
que par les médias sociaux : Emmanuel Macron « aime autant les déguisements que les happenings, dont il
fait poster les images sur Twitter. (…) Les chaînes d’info sont dépassées, la
presse, ignorée, @EmmanuelMacron devient un média. Les journalistes qui ne font
pas partie des pools ne le voient plus qu’à travers cette avalanche
d’images ».
°°°
Bien entendu, les petites phrases n’occupent pas la place
centrale dans ce livre de 440 pages. Il relate cinq ans (enfin… quatre ans et
demi, il prend fin à l’automne 2021 et ne dit rien notamment de la guerre en
Ukraine) d’une présidence riche en événements, en polémiques et en travaux
législatifs et diplomatiques. Mais le sujet, ici, ce sont les petites phrases,
et sous ce filtre singulier, déjà, l’ouvrage apporte un éclairage intéressant
sur le quinquennat qui s’achève.
Laurence Benhamou, Le Solitaire du Palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Paris, Robert Laffont, 2022, 440 pages, 21 euros.
Michel Le Séac’h
(1) Alice
Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv, « Poser
les « petites phrases » comme objet d’étude », Communication &
langages, n° 168, juin 2011, p. 17-22.
(2) Sarah Al-Matary
et Chloé Gaboriaux notent elles aussi que « la plupart [des petites
phrases] ont d’ailleurs été qualifiés de "petites phrases" dans la
presse ». Voir « Une nouvelle lutte des "clashes" ?
Fragmentation des discours de campagne et mutation des clivages (France,
2016-2017) », Mots – Les langages du
politique, n°117, juillet 2018.