Les communicants de l’Élysée avaient réussi leur montée en
température : plusieurs jours à l’avance, le discours que François Hollande
devait prononcer au Panthéon le 27 mai était théâtralisé. Ce serait « l’un
des plus importants discours du quinquennat », assurait ainsi 20
minutes. On savait que le président de la République y travaillait
assidûment, entouré de nombreux collaborateurs et conseillers*.
Et la référence à la cérémonie de 1964 en hommage à Jean
Moulin était clairement posée : « Pour les ‘plumes’ de François
Hollande, se montrer digne d’André Malraux et de son légendaire ‘entre ici’
relève de la gageure », estimait
Benoît Hopquin dans Le Monde. Non sans ajouter : « une mission
sacrément casse-gueule ». De fait, François Hollande a eu beau parler
deux fois plus longtemps que Malraux, et panthéoniser quatre fois plus de héros,
son discours n’a manifestement pas été à la hauteur des attentes. « Malraux
1, Hollande 0 », titre
par exemple Daniel Schneidermann dans Rue89.
Il ne s’agit pas ici d’étudier les maladresses de la
communication de François Hollande (on lira entre autres l’analyse qu’en fait Philippe Moreau Chevrolet dans le Huffington Post : «
Hollande au Panthéon : entre ici 2017 ») ni le fond du
discours mais de s’interroger sur les petites phrases que la postérité pourrait
en tirer. Car la « petitephraséification », c'est comme la panthéonisation : elle est rarement immédiate. Un temps de maturation est souvent nécessaire.
Il a fallu du
temps pour que le discours de Malraux en 1964 se concentre dans la formule « Entre
ici, Jean Moulin », qui n’avait pas été spécialement remarquée dans
l’instant au sein d’un texte considéré comme brillant du premier au dernier
mot. Et qui contenait pourtant des phrases qui auraient pu « mal
tourner », comme « il a été le Carnot de la Résistance »**
ou « regarde le prisonnier qui entre dans une villa luxueuse et se
demande pourquoi on lui donne une salle de bain ‑ il n'a pas encore entendu
parler de la baignoire ».
Plus tard, François Mitterrand et Jacques Chirac n’ont pas
montré un grand souci de la petite phrase dans leurs discours d’entrée au
Panthéon. Quelques perches tendues (« Le destin des civilisations n’est
pas de redouter la connaissance des choses mais de la maîtriser »,
dans l’hommage de Mitterrand à Pierre et Marie Curie, « La République
aussi a ses mousquetaires », dans celui de Chirac à Alexandre Dumas…)
n’ont pas été saisies par le public.
François Hollande semble avoir fait plus d’efforts avec des
formules comme « L’indifférence,
voilà l’ennemi contemporain » , « Les morts de la France
combattante ne nous demandent pas de les plaindre mais de continuer » ou « La France vient de loin. La France porte au
loin. La France doit voir loin. ». Mais leurs perspectives paraissent faibles. Si l’éclat du discours de
1964 a fini par se concentrer dans « Entre ici, Jean Moulin »,
le problème du discours de 2015 est plutôt qu’il manque d’un éclat à concentrer.
Quand à la formule « Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz,
Germaine Tillion, Jean Zay, prenez place », elle n’a évidemment aucune
chance de subsister aux côtés de celle de Malraux : quatre héros pour une petite
phrase, c’est au moins trois de trop.
______________________
* On citait notamment Pierre Azéma, Pierre-Louis Basse,
Pierre-Yves Bocquet, Jean- Vincent Duclert, Jean-Pierre Jouyet, Jack Lang, Mona
Ozouf, Fleur Pellerin, Constance Rivière, Najat Vallaud-Belkacem, Manuel Valls…
** Cette phrase est absente de la
version du discours figurant dans le Dossier Malraux mis en ligne par le
ministère de la Culture. Lazare Carnot, créateur des armées de la République en 1793, a été surnommé l’Organisateur de la victoire. Mais dans une lettre au général Turreau à propos des « colonnes infernales » qui ravageaient la Vendée, il écrivait : « Extermine les brigands jusqu'au dernier, voilà ton devoir. »
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