Emmanuel Macron, on le sait, a
des tics de langage, dont le plus fréquent est « en même
temps ». La locution adverbiale figurait deux fois dans sa déclaration de candidature
du 16 novembre 2016 (à 4:03 et 5:05).
Longtemps avant qu’Emmanuel Macron ne se présente à
l’élection présidentielle, ces « en même temps » avaient pu
être repérés dans ses interventions publiques. Trois fois dans un seul discours
sur les taxis devant l’Assemblée nationale le 28 janvier 2015, par exemple. Ils
ont ponctué à maintes reprises sa campagne électorale au point de susciter
quelques moqueries. Emmanuel Macron lui-même en a plaisanté lors de son grand
meeting de Bercy, le 17 avril : « Excusez-moi, vous avez dû le
noter, j'ai dit en même temps. Il paraît les amis que c'est un tic de
langage. »
Emmanuel Macron n’est pas le premier à cultiver cette
locution : Albert Camus, qu’il cite volontiers, en faisait grand usage. « En
même temps » figure quarante-cinq fois dans L’Homme révolté,
dix fois dans La Chute, vingt-trois fois dans L’Exil et le royaume,
etc. Mais sous la plume de Camus, elle signifie le plus souvent
« simultanément ». Or, dans un sens figuré et plus populaire, elle
peut signifier aussi « cependant », « en revanche »,
« d’un autre côté ».
Quel sens a-t-elle chez Emmanuel Macron ? Il s’en est
expliqué lui-même le 17 avril à Bercy (c’est moi qui souligne) :
« Je continuerai à utiliser 'en
même temps' dans mes phrases mais aussi dans ma pensée, parce que en même temps
ça signifie simplement que l'on prend en compte des impératifs qui
paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon
fonctionnement d'une société. »
Explicitement, les « en même temps »
d’Emmanuel Macron renvoient ainsi à une résolution des contradictions. Le président
de la République pense pouvoir satisfaire tout le monde à la fois au lieu de
trancher en faisant des mécontents. Ces trois mots seraient représentatifs d’un
mode de gouvernement. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs éditorialistes les
aient traités comme une petite phrase, sur France
Culture, dans L’Obs,
Le
Point, Challenge,
La
Croix, L’Express,
etc. Avec une tonalité généralement négative. « Sous vos airs
polis, vous avez dit beaucoup de choses et leurs contraires », lui
disait Alba Ventura sur RTL. Ce jeune président serait aussi capable qu’un
vieux politicien de tout promettre à tout le monde.
Pour Emmanuel Macron, le risque est clair : transformé
en petite phrase dans l’esprit du public, « en même temps »
pourrait brosser en trois mots le portrait d’un président conciliant… ou d’un
dirigeant imprécis et indécis. Ou les deux en même temps (simultanément), selon
les publics.
En même temps (cependant), la chance
sourit à Emmanuel Macron : il ne semble pas que cette idée plutôt négative
ait marqué l’électorat à ce jour. Google Trends ne révèle pas une envolée des
recherches sur « en même temps » au cours des derniers mois.
Sans doute la petite phrase n’a-t-elle pas dépassé le stade des médias, elle ne
s’est pas inscrite dans l’esprit du public. Mais le risque demeure, car les
bases sont posées. Une décision gouvernementale conflictuelle pourrait
transformer la locution adverbiale en petite phrase toxique. Le président de la
République aurait tout intérêt à la bannir désormais de son vocabulaire.