« Les petites phrases font mal à la vie
publique », a déclaré Manuel Valls hier dans une petite phrase en
abyme. De l’avis unanime des commentateurs, il visait une déclaration d’Emmanuel
Macron, prononcée la veille devant l’université du Medef.
Qu’avait déclaré le ministre de l’Économie, de l’Industrie
et du Numérique ? « La gauche a pu croire à un moment, il y a
longtemps, […] que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. C’était
des fausses idées. » Voilà une déclaration qui, à première vue, ne
ressemble pas vraiment à une petite phrase, parce qu’elle est faite de morceaux
empruntés à une énumération bien plus longue* et parce qu’elle évoque le
passé**.
Selon le mode d’emploi qu’on lui appliquait, d’ailleurs,
cette déclaration pouvait signifier des choses fort différentes. On aurait pu
entendre, par exemple, « la gauche a pu croire, il y a longtemps, que la
France pourrait aller mieux en comptant davantage de chômeurs »,
« …en mécanisant davantage », etc. Mais la
presse et les auditeurs semblent avoir tous compris : « …en renonçant aux 35
heures ». « En travaillant moins » était évidemment une
métaphore des 35 heures tout autant que « Travailler plus pour gagner
plus » était une métaphore de l’opposition aux 35 heures. Voici trois
exemples de titres parus dans la presse :
Pour qu’une petite phrase marque les esprits, il doit y avoir
alignement entre les propos de son auteur, l’interprétation des médias et la
culture du public touché. À première vue, cette condition était parfaitement
satisfaite. Hélas, deux publics ont été touchés et non un seul : l’un côté
Medef, l’autre côté Parti socialiste. Tous deux ont bien perçu la même petite
phrase, tous deux l'ont comprise au présent et non au passé... mais elle ne leur a pas fait du tout le même effet !
« Emmanuel Macron, star au Medef, épouvantail au PS »,
a titré Le Monde.
La vraie petite phrase était ailleurs
Or les uns et les autres se trompaient ! Emmanuel Macron
l’a dit ce vendredi :
« Je ne parlais pas des 35 heures mais du
rapport au travail. Il en faut plus, pas moins. C'est le plus beau combat de la
gauche car le travail, c'est le moteur de l'émancipation individuelle ».
Cet erratum, certes, n’est pas d’une totale clarté puisque le passage du
« en
travaillant moins » au
« il en faut plus pas moins »
n’est pas évident.
Mais le ministre avait deux atouts dans son jeu. D'une part, l'expression
« 35 heures » ne figurait pas expressément dans la phrase qu'on lui reproche --
ce qui rappelle l'« effet fuite d'eau » provoqué au mois de juin par une déclaration de Nicolas Sarkozy. Ensuite, la formule d’origine était suffisamment alambiquée pour autoriser les dénégations. Michel Rocard n'avait pas eu ce luxe avec son fameux
« La France ne peut pas accueillir
toute la misère du monde »***.
Emmanuel Macron a joué de malchance. Il avait bien glissé
une petite phrase dans son discours : « Ne vous demandez pas ce
que le pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour
le pays ». Elle avait déjà fait ses preuves puisque c’est le passage
le plus célèbre de l’un des discours les plus célèbres du 20e siècle,
prononcé par le président John F. Kennedy lors de son investiture, le 20 janvier 1961 : « Ask
not what your country can do for you, ask what you can do for your
country ». Kennedy avait alors 43 ans, Emmanuel Macron en a 37, on ne pouvait manquer de le noter. C’est un autre passage qui a été retenu : l’homme politique propose, le public dispose.
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* « La gauche a pu croire, à un moment, il y a longtemps,
que la politique se faisait contre les entreprises, ou au moins sans elles, qu’il
suffisait de décréter et de légiférer pour que les choses changent, qu’il
n’était pas nécessaire de connaître le monde de l’entreprise pour prétendre le
régenter, que la France pourrait aller mieux en travaillant moins.»
** Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, p. 225.
*** Idem, p. 101.
Photo d’Emmanuel Macron : OFFICIAL LEWEB PHOTOS, Flickr, cc-by-2.0.