Voilà une petite phrase qu’il sera difficile d’effacer. Le
19 mai 2015, alors que l’Union européenne commençait à envisager une
répartition obligatoire des migrants, réfugiés ou clandestins entre tous ses
pays, François Hollande avait exprimé une position on ne peut plus
claire : « Il n’est pas question qu’il y ait des quotas
d’immigrés ».
Qui plus est, cette déclaration avait été faite à Berlin,
alors que les quotas étaient une proposition allemande défendue par la
chancelière Angela Merkel. Elle n’était donc pas passée inaperçue. L’AFP en
avait même fait le titre d’un article repris par plusieurs grands titres de la
presse française comme Le
Dauphiné libéré.
François Hollande ne faisait que répéter peu ou prou ce que
Manuel Valls avait affirmé trois jours plus tôt devant micros et caméras lors
d’une visite dans les Alpes-maritimes : « Je souhaite et
nous souhaitons être particulièrement clairs sur ce point, je suis contre
l'instauration de quotas de migrants ».
« Pas question », « particulièrement
clairs » : le président de la République et le Premier ministre
n’avaient pas hésité à brûler leurs vaisseaux par des formules marquant
l’intangibilité de leur position. Celle-ci avait été réaffirmée de la manière
la plus solennelle le lendemain du discours de Berlin dans le compte-rendu
du conseil des ministres du 20 mai 2015 :
« La France est et restera opposée à toute idée de quotas en matière de demande d’asile, la demande d’asile étant un droit, attribué à partir de critères objectifs et ne pouvant faire l’objet d’un contingentement. Il ne peut non plus y avoir de quotas en matière d’immigration irrégulière, puisque les migrants irréguliers doivent, dès leur entrée sur le territoire de l’Union, faire l’objet de procédures de reconduite vers leurs pays d’origine. »
« Il n’est pas question qu’il y ait des quotas
d’immigrés » : une formule aussi énergique, venant d’aussi haut,
concernant un problème aussi actuel, répétée un aussi grand nombre de fois,
avait tout pour devenir une petite phrase pérenne.
L'étonnement a donc été grand, jeudi dernier, moins de
quatre mois plus tard, quand François Hollande, dans une déclaration conjointe
avec le Premier ministre irlandais Enda Kenny, a exprimé une position toute
différente : « il faudra répartir ces demandeurs d’asile […].
Nous avons proposé avec la chancelière Merkel un mécanisme permanent
obligatoire. »
Qu’est-ce qu’un mécanisme de répartition permanent obligatoire ?
C’est un système de quotas. Est-ce le mot « quota » qui fait
peur ? Ce serait nouveau : depuis des décennies, l’Union européenne
manie les quotas de toutes sortes : quotas laitiers, quotas de pêche,
quotas d’émissions, quotas de représentation féminine, quotas de traducteurs,
quotas d’importation d’huile d’olive tunisienne, etc.
François Hollande ne peut
d’ailleurs compter sur les mots pour brouiller les pistes : une partie de
la presse a tout de suite noté une « contradiction » ou une
« volte-face ». Peut-être compte-t-il sur la photo tragique du petit
Aylan pour obtenir l’indulgence temporaire du public ? Il est probable qu'il invoquera une évolution de la situation ou qu'il admettra avoir changé de position (ce qui serait peut-être moins grave pour son image que pour celle de Manuel Valls). Mais à l’instar de « l’inversion de la courbe du chômage » ces « quotas
d’immigrés » lui reviendront sans doute en boomerang pendant longtemps.
Michel Le Séac’h
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