Depuis une semaine, c’est un déferlement dans la plupart des
médias : d’abord surpris par des revendications qui partent dans tous les
sens, beaucoup de commentateurs finissent par y repérer un plus petit
dénominateur commun : la démission
du président de la République. Ce président presque inconnu il y a dix-huit
mois est désormais détesté alors que les effets de ses décisions restent
marginaux à ce jour. Comment l’expliquer ? En bonne partie par ses petites
phrases. L’avis
du professeur Arnaud Mercier a été évoqué ici. Il est désormais partagé
largement.
Il suffit d’ailleurs d’observer les « gilets
jaunes » eux-mêmes. « Dans le dos de leur habit fluo ou en
chanson, les manifestants en colère se réapproprient des expressions du
président qui les ont parfois agacés ou choqués » a
noté Camille Caldini, de France Télévision, qui a repéré en particulier des
« Gaulois réfractaires », des « pognon de
dingue » et des « traverser la rue ». Adrienne Sigel,
de BFM TV, partage cette observation : « ses sorties sont
aujourd’hui détournées contre lui, comme en témoigne le tag “Ok Manu, on
traverse”, observé boulevard Haussman à Paris samedi ». Le phénomène
est national. Sylvie
Ducatteau, dans L’Humanité, signale par exemple des « Gaulois
réfractaires » sur une banderole dans le Puy-de-Dôme.
Comment des formules aussi vagues et anodines que « traverser
la rue » ou « pognon dingue » peuvent-elles susciter
tant d’émotion ? On n’imagine guère qu’une analyse sémantique puisse
apporter une réponse satisfaisante. Il faudrait plutôt se tourner vers la
psychosociologie. Le problème n’est pas dans ce que disent les petites phrases
mais dans ce qu’en perçoivent les auditeurs-électeurs. Emmanuel Macron ne
semble pas s’être rendu compte qu’il disait en substance à une grande partie
des Français : « nous ne sommes pas du même monde ». Un vice rédhibitoire
quand on prétend représenter un peuple. « Encore quelques-unes du même
tonneau et Emmanuel Macron devra se préparer sérieusement à traverser la
rue », écrivais-je ici au mois de septembre après « je
traverse la rue ».
« Pas de grand homme sans petite phrase » (La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 234) bien sûr, mais, on le sait depuis Esope, sa langue peut-être la meilleure ou la pire des choses pour l'homme politique. On peut comprendre que le président de la République n’ait
pas vu le danger : il n’a pas fait ses classes électorales. Il est plus
étonnant, voire consternant, que les professionnels de la communication qui
l’entourent à l’Élysée et au gouvernement ne l’aient pas alerté.
Retour sur quelques petitesphrases d’Emmanuel Macron :
- « Je traverse la rue » : la flèche de l’image d’Emmanuel Macron s’égare
- Emmanuel Macron et le « Gaulois réfractaire au changement »
- Le « pognon dingue » d’Emmanuel Macron : une petite phrase probablement pas délibérée
- Emmanuel Macron a-t-il critiqué les 35 heures ? « C’était des fausses idées » !
- « Le traité de Versailles de la zone euro » : quand Emmanuel Macron s’essaie aux petites phrases
- « La vie d’un chef d’entreprise est bien souvent plus dure que celle d’un salarié » : une petite phrase involontaire d’Emmanuel Macron
- Emmanuel Macron, un candidat à l’élection présidentielle en manque de petite phrase
- Emmanuel Macron pratique le tweet et en même temps refuse la petite phrase
- Les petites phrases d’Emmanuel Macron : en marche avant ou en marche arrière ?
- « Il faut retourner dans son pays » : Emmanuel Macron sur une ligne de fracture
- « Les Français détestent les réformes » : encore une petite phrase imprudente d’Emmanuel Macron
Michel Le Séac'h
2 commentaires:
Tres interessant!
Et je recommande la lecture de "La petite phrase" de Michel Le Seac'h.
Passionnant, comme tous ses livres d'ailleurs!
Tres interessant!
Et je recommande la lecture de "La petite phrase" de Michel Le Seac'h.
Passionnant, comme tous ses livres d'ailleurs!
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