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09 août 2025

« Houston, we have a problem », petite phrase spatiale optimisée par Hollywood

Jim Lovell, qui vient de mourir à 97 ans, restera dans l’histoire comme l’astronaute qui a dit, ou presque : « Houston, we have a problem ». 

« Houston, on a un problème » est assurément l’une des petites phrases spatiales les plus connues (loin derrière « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité », cependant). Elle illustre éloquemment la parenté qui existe parfois entre répliques cultes et petites phrases, les premières relevant de la fiction, les secondes de la « vraie vie ». 

Elle remonte au 13 avril 1970, au cours de la mission spatiale Apollo 13. Alors que le vaisseau spatial américain s’apprête à atterrir sur la Lune, un réservoir d’oxygène explose, provoquant de nombreux dommages. « We’ve had a problem » prévient l’un des astronautes. Le contrôle de mission de la NASA, à Houston, demande une confirmation. « Houston, we’ve had a problem », répond Jim Lovell, commandant de la mission. La NASA interrompt aussitôt le programme prévu et s’attache à ramener au plus vite les astronautes sur la Terre.

James Lovell en 2008, entre Frank Borman et William Anders ; ls formaient
l’équipage de la mission Apollo 8, qui a orbité autour de la Lune en 1968.
Photo Chris Radcliff, via Wikimedia Commons sous licence CCAS 2.0.

L’enregistrement de la séquence ne laisse aucun doute : James « Jim » Lovell a bien dit : « Houston, we’ve had a problem » (« Houston, nous avons eu un problème »). Pourtant, la phrase est presque toujours citée sous la forme : « Houston, we have a problem » (« Houston, on a un problème »). La raison en est parfaitement connue. 

La mission spatiale, et surtout son problem, a fait l’objet du film hollywoodien à gros budget Apollo 13 réalisé par Ron Howard en 1995. Le scénariste du film, William Broyles, a délibérément opté pour le temps présent « we have », au lieu du passé « we’ve had ». Ainsi, cette phrase qui signale le début de l’épisode central du film contribue beaucoup mieux au suspense. 

On note que les petites phrases, en particulier celles qui deviennent des mots historiques, sont rarement à l’imparfait ; le présent, l’impératif et le futur leur conviennent beaucoup mieux(1). Mais la parenté entre répliques cultes et petites phrases ne s’arrête pas là. Les unes et les autres peuvent être considérées comme des « microrhétoriques » associant un logos, un ethos et un pathos

Logos, ethos pathos : un parfait alignement

Le logos, les paroles prononcées telles que revues par Broyles, n’a pas pour seule qualité d’être au présent. Au premier degré, la phrase de Lovell est d’une banalité absolue. Chacun a pu l’entendre et la lire, voire la prononcer, des centaines de fois dans des articles, des discours et des conversations du quotidien. Sa force, ici, est dans son sous-entendu, vite compris de tous dans la culture américaine. Elle constitue pour le public une sorte de message codé : il sait que ces quelques mots vont se déployer en une aventure palpitante. Le public est délibérément poussé dans cette voie par l’affiche du film, où « We have a problem » figure en guise de slogan.

L’ethos du locuteur n’est pas moins puissant. La phrase est prononcée par le commandant d’une mission spatiale, par essence un héros moderne. Qui plus est, Lovell est incarné dans le film par Tom Hanks, probablement l’acteur le plus adulé du moment depuis la sortie de Forrest Gump l’année précédente. Toujours optimiste, Forrest Gump prend la vie comme elle vient sans se démonter devant l’adversité.

Le pathos américain du moment, enfin, fait une large place à des valeurs comme le courage, la résilience, la sérénité, l’objectivité,  qui s’expriment bien à travers ce simple constat prononcé sur un ton énonciatif : « On a un problème ». Cet air du temps a fait le succès de Forrest Gump comme il fera celui d’Apollo 13, qui contribuent à le renforcer par un effet cerceau. 

Le récit plus fort que le réel

« We have a problem » n’est pas tout à fait conforme à la réalité mais l’améliore, la rend plus propice à la mémorisation. Quant à la traduction française, le choix du « on » au lieu du « nous » donne plus de force à la phrase, ne serait-ce qu’en la raccourcissant d’une syllabe. Il en va de même d’un grand nombre de petites phrases et de citations historiques : le public les optimise spontanément. Le détour par la fiction ne fait que souligner un fait cognitif : le récit l’emporte sur le réel. Le « merde ! » de Cambronne à Waterloo a suivi le même cursus : l’intervention de Victor Hugo a largement contribué à le rendre fameux

Jim Lovell accepte sans difficulté le « redressement » de sa phrase (il joue même un petit rôle dans Apollo 13). Il n’est pas le seul, car le film comporte une deuxième réplique culte : « Failure is not an option ». Elle est mise dans la bouche du directeur de mission Gene Kranz (joué dans le film par Ed Harris), qui ne l’a jamais prononcée. Mais elle exprimait si bien son état d’esprit et son rôle qu’il en a fait le titre de son autobiographie ! (La traduction de cette phrase dans la version française du film, « L’échec n’est pas envisageable » n’a certainement pas la même force.) 

L’American Film Institute (AFI) a classé « We have a problem » au cinquantième rang des cent répliques cultes les plus fameuses du cinéma américain. Mais les bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau en ont fait davantage encore : une expression idiomatique. Elle est souvent utilisée pour signaler un problème inattendu auquel on n’a pas d’autre choix que de faire face. 

L’engouement de la presse scientifique

Signe de la puissance de cette phrase, mais aussi de sa banalisation, elle fait une carrière inattendue dans les revues scientifiques. Depuis quelques années, certaines de celles-ci s’attachent à se démarquer par des titres accrocheurs – ou supposés tels. Elles surexploitent « Houston, we have a problem ». Les revues médicales en sont spécialement friandes :

Mais toutes les disciplines sont concernées, comme les technologies de l’information (“Houston, we have a problem!: The use of ChatGPT in responding to customer complaints”, E Koc, S Hatipoglu, O Kivrak, C Celik, K Koc - Technology in Society, 2023), le bâtiment (“'Houston, we've got a problem': The political construction of a housing affordability metric in New Zealand”, L Murphy - Housing Studies, 2014), l’histoire contemporaine (“" Houston, we have a problem": China and the race to space”, J Johnson-Freese - Current History, 2003), le droit (“Houston, We Have a Problem: Does the Second Amendment Create a Property Right to a Specific Firearm?”, JL Schwab, TG Sprankling - Colum. L. Rev. Sidebar, 2012), et bien d’autres encore. 

Un certain nombre d’auteurs tentent de subtiles variantes. « Houston, we have a solution » n’est pas rare. On trouve aussi, par exemple :

La mode s’est même répandue à des revues publiées dans d’autres langues que l’anglais (“Även om det inte hände är det sant–Houston, We Have a Problem”, S Pejkovic - Nordisk Østforum, 2020). 

Naturellement, la référence s'impose dans bon nombre d'articles consacrés aux problèmes de la ville de Houston (“Houston, We Have a Gentrification Problem: The Gentrification Effects of Local Environmental Improvement Plans in the City of Houston”, MM Byers - Tex. A&M Journal of Property Law, 2021). Cette tendance à l’automatisme, comme si le mot « problem » appelait le nom « Houston », agace plus d’un Texan !

(1) Voir Michel Le Séac'h, Petites phrases : des microrhétoriques dans la communication politique, p. 201 s.

Michel Le Séac’h

20 septembre 2023

Nicolas Sarkozy ne reconnaît qu'une petite phrase

Nicolas Sarkozy a publié une dizaine de livres. Dans Le Temps des combats, qui vient de paraître[i], il égrène ses souvenirs présidentiels de la période 2009-2011. Pour la première fois, sauf erreur, la locution « petite phrase » vient sous sa plume. Il évoque Ségolène Royal :

Je me souvenais d'ailleurs avec un brin de malice de cette petite phrase que je lui avais assénée quand, durant la campagne de 2007, les socialistes avaient lancé une polémique sur un prétendu espionnage de la candidate par mes équipes... J'avais balayé ces accusations fallacieuses d'un revers de main et ajouté : "Pour chercher quoi ? Son programme ? Ce n'est pas une enquête qu'il faut, c'est une exploration !" Cela n'était pas tendre, mais l'avenir m'a donné raison.

Le plus étonnant n’est pas que l’ancien président de la République éclaire ses années 2009-2011 en citant une phrase de 2007. C’est qu’il n’en cite pas d’autre. Car des petites phrases autrement fameuses ont marqué son parcours. Avant même son élection, c’était, en 2005 sur la dalle d’Argenteuil, « Vous en avez assez de cette bande de racailles? On va vous en débarrasser » et, à La Courneuve, « on va nettoyer au Karcher la cité ».


Une autre phrase de 2007 avait été beaucoup plus remarquée : « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »[ii]. Cette formule prononcée à Dakar, extraite d’un discours bourré d’hommages appuyés à l’Afrique et aux Africains, s’est avérée calamiteuse. Le public entend ce qui est dit (logos) en fonction de ses sentiments (pathos) et de ceux qu’il attribue au locuteur (ethos). De plus, le cerveau a souvent un peu de mal avec les tournures négatives. Bon nombre d’auditeurs ont cru entendre : « L’homme africain n’est pas entré dans l’histoire ». L’omission de l’adverbe « assez » changeait radicalement le sens de la phrase.

Ségolène Royal, justement elle, est même allée plus loin en changeant l’adverbe. Visitant Dakar à son tour en 2009, elle déclarait : « Quelqu’un est venu ici vous dire que l’homme africain n’est pas encore entré dans l’histoire. Pardon, pardon pour ces paroles humiliantes. » On comprend que Nicolas Sarkozy lui en tienne rigueur et que, en 2023 encore, il saisisse l’occasion de se souvenir « avec un brin de malice de cette petite phrase [qu’il lui avait] assénée ». Même si l’opinion publique, elle, a oublié depuis longtemps cette formule « pas tendre » mais pas non plus très remarquable.

Souffle d'en bas

Si l’on demande à l’homme de la rue quelle phrase il attache à l’ex-président, il est bien possible que « Casse-toi pauv’ con ! » tienne la corde[iii]. Cette réplique violente à un visiteur qui lui disait : « Touche-moi pas, tu me salis ! », au Salon de l’agriculture de février 2008, avait marqué les esprits. Nicolas Sarkozy ne s’en souvient pas « avec un brin de malice » mais il est juste de noter que, sans parler de petite phrase, il n’en a pas totalement expurgé ses mémoires. Dans La France pour la vie[iv], il commente ainsi cette imprécation :

Lorsque l'on veut devenir Président, on se doit de considérer, de respecter et de s'intéresser à chacun. J'ai moi-même eu grand tort, lors d'une visite au Salon de l'agriculture, de céder à la provocation en répondant à l'individu qui m'avait insulté : "Casse-toi, pauvre c..." Ce fut une erreur, car il avait le droit de penser ce qu'il disait, même s'il n'avait pas à me le dire ainsi. Mais, en lui répondant, je me suis mis à son niveau.

L’ex-président, on le voit, revendique au moins des circonstances atténuantes : il a cédé à une provocation. Le « merde » de Cambronne à Waterloo était lui aussi une réponse à l’ennemi anglais. « Cambronne trouve le mot de Waterloo par visitation du souffle d’en haut » écrit Victor Hugo. Nicolas Sarkozy, dirait-il peut-être, s’est laissé visiter par le souffle d’en bas.

Michel Le Séac’h


[i] Nicolas Sarkozy, Le Temps des combats, Paris, Fayard, 2023.

[ii] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 103.

[iii] Idem, p. 87.

[iv] Nicolas Sarkozy, La France pour la vie, Paris, Plon, 2016.

Photo Wilson Dias/Abr, Wikimedia Commons, licence Creative Commons Attribution 3.0 Brazil.

02 juin 2020

Une brève histoire des petites phrases

On reconnaît volontiers des petites phrases dans « Veni, vidi, vici » (47 av. J.C.), « Souviens-toi du vase de Soissons » (486) ou « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » (1638). Pourtant, la locution « petite phrase » elle-même est bien plus récente. Selon Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv, « ce n’est vraisemblablement que dans le courant des années 1980 que l’objet commence à se constituer, en tant que phénomène de coproduction discursive portant ce nom, dans les relations entre politique, communication et médias »[i].

Si tard, vraiment ? Avant le 20e siècle, certes, une « petite phrase » n’est qu’un nom précisé par un adjectif qui désigne une phrase brève, tout simplement. Cette phrase peut occasionnellement relever du domaine politique : « La France est le seul pays où quelque petite phrase puisse faire une grande révolution » écrit Balzac en 1834 dans La Duchesse de Langeais. Cependant, les occurrences constatées relèvent surtout de la pédagogie et de la musique, voire des deux :

    • Apprenez donc par cœur cette petite phrase : saurez, l’ami, si fais taie, et vous y trouverez le nom de vos sept toniques par dièses : sol, ré, la, mi, si, fé, té[ii]

Au tournant du 20e siècle, « petite phrase » devient clairement une locution. Rémy de Gourmont l’emploie ainsi à plusieurs reprises. Il écrit par exemple : « Le style de Mallarmé doit précisément son obscurité, parfois réelle, à l'absence quasi totale de clichés, de ces petites phrases ou locutions ou mots accouplés que tout le monde comprend dans un sens abstrait, c'est-à-dire unique »[iii].

À partir de cette époque, les occurrences deviennent plus nombreuses. Le Ngram Viewer de Google permet de s’en faire une idée. À défaut d’être très précis, cet outil peut révéler des tendances sur longue période. Ici, il montre que, toutes choses égales d’ailleurs, la fréquence de l’expression progresse globalement tout au long du 20e siècle dans les livres en français. On note deux périodes d’accélération : au singulier (« petite phrase ») dans les années 1910, au singulier et au pluriel à partir du milieu des années 1960.



L’origine de la première accélération ne fait aucun doute : elle est due à Marcel Proust. Du côté de chez Swann est paru en 1913. La « petite phrase » de la sonate de Vinteuil, « hymne national » de l’amour entre Charles Swann et Odette de Crécy, frappe les esprits à l’égal de la « petite madeleine ». Le concept est d’autant mieux mémorisé qu’on le retrouve dans d’autres volumes de la Recherche (À l’ombre des jeunes filles en fleur, La Prisonnière…). (Il figurait déjà, appliqué à une sonate de Saint-Saëns, dans le premier roman de Proust, Jean Santeuil.)

La deuxième accélération commence au milieu des années 1960. La « petite phrase » désigne plutôt les échanges à fleurets mouchetés de la vie politique dans les premières années de la Ve République. Au singulier ou au pluriel, l’expression figure six fois dans Le Duel : de Gaulle-Pompidou de Philippe Alexandre (1970), par exemple.

Fin 1973 paraît dans Le Monde un article de Georges Vedel intitulé « Encore une petite phrase ». Le célèbre juriste y commente une décision du Conseil constitutionnel du 28 novembre 1973[iv]. L’air de ne pas y toucher, le Conseil a répondu incidemment et implicitement à une question importante qu'on ne lui posait pas (une peine d’emprisonnement peut-elle être instaurée par décret ?). L’article, le concept et la démarche du Conseil constitutionnel sont très remarqués dans le monde politique et médiatique de l’époque.

« Depuis quelque temps, après M. Pompidou et M. Brejnev, les petites phrases ont dans la vie politique une certaine importance », note un élu, Jacques Henriet, à la tribune du Sénat, quelques jours plus tard[v]. On commence à percevoir l’expression comme une locution, c’est-à-dire un groupe de mots formant une unité avec un sens propre, comme dans le domaine musical. On le souligne parfois en la mettant entre guillemets. « Pompidou cherche à tirer le meilleur effet de la ‘’petite phrase’’ », note par exemple Jean Poperen, l’un des dirigeants du parti socialiste de l’époque[vi].

La phrase succède au mot

Bien entendu, le phénomène existait avant la locution. Démosthène, l’un des plus fameux orateurs de l’Antiquité, s’est rendu célèbre pour les images employées dans ses discours. Aujourd’hui, certains de ses « slogans métaphoriques »[vii] seraient certainement qualifiés de petite phrase.

Avant cette appellation, la langue française utilisait une formule encore plus succincte : « mot ». Car le « mot » est parfois plus qu’un mot. En 1762, la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française en donne, entre autres, les définitions suivantes : « ce qu’on dit ou ce qu’on écrit à quelqu’un en peu de paroles » et « sentence, apophtegme, dit notable, parole remarquable ». La « phrase » de 1762, elle, est un simple « assemblage de mots sous une certaine construction ».

Réciproquement, la parole peut se définir… comme un mot. « Parole signifie aussi, Sentence, beau sentiment, mot notable », indique le Dictionnaire de 1762. « Parole mémorable. C'est une parole digne d'un Souverain. Il faudroit écrire cette parole en lettres d'or ». Parole signifie encore « Mot, ou discours pris selon ce qu'il est, bon ou mauvais, doux ou rude, offensant ou obligeant, honnête ou déshonnête, &c. ».

Il nous en reste des « paroles historiques » ou des « mots historiques » qu’aujourd’hui on appellerait sans aucun doute des petites phrases. « Alea jacta est » ‑ le sort en est jeté ‑, s’écrie Jules César en franchissant le Rubicon. C’est un « mot » note Dacier, traducteur de Plutarque qui a raconté l’histoire[viii]. Jules César encore traverse un village des Alpes. Il déclare : « J’aimerais mieux être ici le premier que le second dans Rome ». C’est un « mot » dit Rollin en rapportant l’anecdote[ix]. César toujours s’en va en campagne : « Nous nous éloignons d’un général sans armée pour aller combattre une armée sans général ». C’est un « mot »  pour Ferguson[x].

…et le mot devint mot

La première publication académique en français explicitement consacrée aux petites phrases – et souvent citée à ce titre – est intitulée « Petites phrases et grands discours (Sur quelques problèmes de l'écoute du genre délibératif sous la Révolution française) »[xi]. Son auteur, Patrick Brasart, applique sans peine cette locution du 20e siècle à la communication politique du 18e siècle, antérieure à la radio, à la télévision et à l’internet. Surtout, il montre que malgré la « culture rhétorique » des acteurs de l’époque, les petites phrases d’alors ressemblent beaucoup à celles d’aujourd’hui. Il insiste même sur leur versant négatif, « la malveillance des adversaires politiques d'un orateur pour pratiquer les abréviations les plus rudes, la plus radicale étant la réduction de l'ensemble du discours public d'un orateur à une seule phrase » [xii].

À l’époque, les archives parlementaires en témoignent, ces petites phrases révolutionnaires étaient systématiquement appelées « mots ». Mirabeau, par exemple, « dénonce le mot attribué au ministre de Saint-Priest », qui aurait « dit à la phalange des femmes qui demandaient du pain : ‘’Quand vous n'aviez qu'un Roi,vous ne manquiez pas de pain ; à présent que vous en avez douze cents, allez vous adresser à eux’’[xiii] ». Robespierre s’indigne contre le pouvoir des orateurs : « Alors se réalise le mot de Thémistocle, lorsque, montrant son fils enfant, il disait : ‘’Voilà celui qui gouverne la Grèce; ce marmot gouverne sa mère, sa mère me gouverne, je gouverne les Athéniens, et les Athéniens gouvernent la Grèce[xiv].’’ ».

Quant au « mot de Cambronne », c’était à l’origine « la Garde meurt mais ne se rend pas ». Ce mot était évidemment tout prédestiné à devenir un seul mot.

Michel Le Séac’h

Photo : Buste présumé de Jules César au Musée départemental d'Arles, photo fr.zil, Wkipedia, licence CC 2.0



[i] Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv, « Poser les « petites phrases » comme objet d’étude », Ccommunication & langages, n° 168, juin 2011, p. 17-22.
[ii] Émile Chevé, Méthode élémentaire de musique vocale, Paris, 1846.
[iii] Rémy de Gourmont, Esthétique de la langue française, Paris, Mercure de France, 1899.
[v] Sénat, séance du 3 décembre 1973, Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Sénat, 4 décembre 1973, p. 2299.
[vi] Jean Poperen, L’Unité de la gauche (1965-1973), Paris, Fayard, 1975, p.  83.
[vii] Matthieu Fernandez, Les images dans les Harangues et les Plaidoyers politiques de Démosthène : de la communication politique à la littérature, thèse de doctorat, École doctorale Mondes anciens et médiévaux (Paris), 2015.
[viii] Plutarque, Les Vies des hommes illustres, traduction Dacier, Paris, Paulus-du-Mesnil, 1734, p. 252.
[ix] Charles Rollin, Œuvres de Rollin, Paris, Firmin Didot, 1821, p. 452.
[x] Adam Ferguson, Histoire des progrès et de la chute de la république romaine, Paris, Nyon l’aîné et fils, 1741, p. 300.
[xi] Brasart Patrick. « Petites phrases et grands discours (Sur quelques problèmes de l'écoute du genre délibératif sous la Révolution française) ». Mots, septembre 1994, n°40, p. 106-112.
[xii] idem.
[xiii] Archives parlementaires de 1787 à 1860, première série (1787-1799), T. IX, p. 398. https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/9/0/0/0/0/0/0/0/398
[xiv] Archives parlementaires de 1787 à 1860, première série (1787-1799), T. XXVI, p. 125. https://sul-philologic.stanford.edu/philologic/archparl/navigate/26/0/0/0/0/0/0/0/129/