Les petites phrases viennent d’où elles veulent et disent ce
qu’on veut leur faire dire. Elles n’ont pas toujours été concoctées avec soin
par des communicants. En tout cas les petites phrases négatives, celle qui font
du tort à leurs auteurs. Témoin cette « double ration de frites ».
En meeting à Neuilly-sur-Seine avant-hier, Nicolas Sarkozy a déclaré :
« Je n'accepte pas dans nos écoles qu'il y ait des tables de juifs et des tables de musulmans, et si dans sa famille on ne mange pas de porc, eh ! bien le jour où à la cantine il y a des frites et une tranche de jambon, eh ! bien, le petit il prend pas de tranche de jambon, il prendra une double ration de frites. C'est la République. La même règle et le même menu pour tout le monde, c'est ça la République. »
Gros succès des frites républicaines dans les réseaux sociaux. « ‘’Double
ration de frites’’ à la place du jambon : Nicolas Sarkozy offre une belle
tranche de rigolade aux internautes », titre
ainsi 20 Minutes. Pourtant, Nicolas Sarkozy n’a rien offert du tout.
Il aurait plutôt fallu écrire : « les internautes s’offrent une belle
tranche de rigolade aux dépens de Nicolas Sarkozy ».
En effet, si jamais une partie de cette déclaration avait
été formatée pour devenir une petite phrase, ce serait son début (« Je
n'accepte pas dans nos écoles qu'il y ait des tables de juifs et des tables de
musulmans ») ou sa fin (« La même règle et le même menu pour
tout le monde, c'est ça la République »), sûrement pas la ration de
frites. De nombreux médias qualifient pourtant cette formule de « petite
phrase », à
l’instar de France 3. Bruno Le Maire évoque une « petite phrase […]
indigeste pour un ancien président de la République ».
Le message implicite de cette petite phrase n’a rien à voir
avec son contenu apparent. Ceux qui la propagent ne se soucient ni d’école ni
de diététique : leur « double ration de frites » parle
implicitement de Nicolas Sarkozy. En mal.
Dans la communication politique, évitez le gras et le sucré
Une petite phrase a un auteur (petite phrase émise), des
relais (petite phrase transmise) et un public (petite phrase admise). Il n’y
aura transmission, il n’y aura admission que si la petite phrase est jugée
porteuse d’un message en cohérence avec ce qu’on croit déjà. Les frites, un
sujet a priori complètement anodin, n’ont d’importance que si l’on pense déjà
du mal de Nicolas Sarkozy. Cet épisode comporte donc une leçon pour la
communication politique : une formule qui se diffuse spontanément et
largement dans les réseaux sociaux[1]
contient plus d’enseignements sur le public qui la reçoit et la relaie que sur
son auteur lui-même.
Or les réseaux sociaux sont dominés par les milléniaux, ou
la génération Y. Pour cette génération, la cantine de l’école n’est pas encore
très lointaine. Elle se projette aisément sur le « petit » de
Nicolas Sarkozy. Elle se rappelle qu’à la cantine, le jour des frites était
jour de fête. Et quand on sortait avec les copains, on allait volontiers au
MacDo – frites encore. La frite riche en lipides était une sorte de plaisir
coupable qu’on partageait entre ados. La frite ne passe donc pas inaperçue,
elle n’est pas n’importe quelle garniture : en se mêlant de frites,
Nicolas Sarkozy endosse le rôle de l’adulte qui transgresse leur intimité en
regardant dans leur assiette.
Jean-François Copé en avait déjà fait l’expérience avec son pain au
chocolat, les milléniaux ne sont pas seulement une génération
technologique, ils sont aussi une génération élevée aux produits gras et
sucrés : n’y touchez pas !
Michel Le Séac'h
[1] Dans la
presse, la formule a été activement « poussée » par l’AFP.
Photo N. Sarkozy : European People's Party - EPP Summit October 2010 via Wikipedia et Flickr, CC BY 2.0
Photo N. Sarkozy : European People's Party - EPP Summit October 2010 via Wikipedia et Flickr, CC BY 2.0