Laurent Wauquiez n’aime plus les petites phrases. Il le dit
dans l’entretien qu’il vient de donner à Nathalie Schuck et Valérie Toranian
pour Le Point (11 mai 2023) -- et même deux fois plutôt qu’une. « J’ai
été porte-parole du gouvernement et je me suis laissé intoxiquer un temps par
cette facilité qui consiste à penser qu’en sortant une petite phrase, en
faisant le buzz, on remplit » sa mission, raisonne-t-il. Puis : « Je
me suis, par moments, laissé abîmer, entraîner vers le bas par une politique
médiocre, par l’affrontement politicien et le jeu des petites phrases. »
Il ne se demande pas ce qu’il pourrait néanmoins leur
devoir. Dès 2007, jeune porte-parole du gouvernement, il fait de leur surveillance un
pivot de son rôle : « La difficulté c'est que comme on est là pour
défendre la politique du Gouvernement, c'est d'être tellement vigilant sur la
moindre petite phrase et la moindre petite expression, qu'on finit par ne plus
rien dire » (déclaration
du 26 juin 2007 au site gouvernemental vie-publique.fr). On remarque, en
creux, cette position implicite : si à pourchasser les petites phrases on
ne dit plus rien, c’est sans doute qu’elles disent quelque chose.
En 2012, Vanessa Schneider publie dans Le Monde un
portrait intitulé : « Laurent
Wauquiez : le sniper de l’UMP », ce qui est déjà assez
éloquent. L’article commence ainsi : « Consacré ministre
polyvalent sous l'ère Sarkozy, il manie avec brio la petite phrase
assassine. » Si lui-même y voit aujourd’hui un « jeu »,
l’adjectif « assassine » dénote que l’affaire n’est pas
si ludique à l’époque.

Les petites phrases de Laurent Wauquiez ne s’attaquent pas
toutes au personnel politique, au moins à première vue. En mai 2011, par
exemple, il déclare à Europe
1, pointant le RSA : « la différence entre le travail et
l'assistanat est aujourd'hui un des vrais cancers de la société française parce
que ça n'encourage pas les gens à reprendre un travail, parce que ça décourage
ceux qui travaillent. » Les ténors de son parti le condamnent,
l’opposition s’indigne. Pourtant, note Vanessa Schneider, « avec sa
dénonciation du "cancer de l'assistanat", le ministre parvient tout
de même à ses fins : il crève le plafond de verre médiatique et s'impose
dans les baromètres de popularité. »
Et cette recherche d’exposition médiatique n’est peut-être
pas le seul objectif. « Avec sa petite phrase, M. Wauquiez n’a pas
agi en chien fou solitaire, il s’inscrit dans un mouvement », estiment
Matthieu Goar et Alexandre Lemarié dans Le Monde. Ils citent
Frédéric Lefebvre, alors secrétaire national de l’UMP : « Certains
ont toujours estimé qu’il fallait taper sur Sarkozy pour qu’il vous remarque.
Laurent Wauquiez pense, lui, qu’il faut être meilleur que Sarkozy sur son
propre terrain pour être considéré. » Sous la prise de position
politique, il y pourrait donc y avoir en réalité une sorte de petite phrase ad
hominem rapprochant son auteur du pouvoir.
Dans l’attaque, la mécanique de la petite phrase wauquiezienne
est en général indirecte : la « cible » finale n’est pas
désignée nommément. Le message est d’autant plus puissant que le locuteur
laisse à l’auditeur le soin de le comprendre. Cela crée un certain sentiment de connivence. Vanessa Schneider en livre un
exemple frappant : « "Dans un pays qui a trois
millions de chômeurs, est-ce que le problème est de parler de pains au chocolat
? ", fait-il mine de s'interroger » en 2012. Candidat à la
présidence de l’UMP, Jean-François Copé vient de raconter qu’un élève de sa
circonscription « s’est fait arracher son pain au chocolat à la sortie du
collège par des voyous qui lui expliquent qu’on ne mange pas pendant le
ramadan ». En exploitant cette sortie (elle-même qualifiée de « petite phrase »), Laurent Wauquiez flingue sans le
nommer l’un des ténors de son propre parti, concurrent du candidat qu’il
soutient lui-même, François Fillon.
La théorie du boomerang
Ce dernier a pu en tirer une leçon : mutatis mutandis,
son « Qui
imagine le général de Gaulle mis en examen ? » de la primaire
de la droite, en 2016, adopte la même technique. Laurent Wauquiez s’insurge
(dans Le Réveil de la Haute-Loire). Car il
a changé de rôle : président par intérim des Républicains, il lui
appartient de maintenir l’ordre dans son parti. Mais il connaît la
musique ! « Quand on est dans le royaume des petites
phrases et coups en dessous de la ceinture ce n’est plus le débat
d’idées », déclare-t-il de façon un peu tautologique. En dépit de son
expérience personnelle, pas si contre-productive pourtant, il assure : « Tous
ceux qui pratiquent les petites phrases seront sanctionnés car ces attaques
passent très mal et leur reviendront comme un boomerang. »
On connaît la suite : en fait de boomerang, contre
toute attente, François Fillon sort vainqueur de la compétition. Laurent
Wauquiez redécouvre-t-il ainsi la puissance des petites phrases ? Quelques
mois plus tard, une escarmouche l’oppose à Xavier Bertrand. « Ne laissons pas les médiocres
aigreurs nous détourner du seul objectif qui compte : la reconstruction
d'une droite fière de ses valeurs », rétorque-t-il sur Twitter. Une fois de plus, la cible
visée n’est pas désignée nommément. Ce qui encourage la presse à compléter le
message, donc à en parler : ce tweet allusif remporte un grand succès
médiatique. Et Xavier Bertrand rentre dans le rang.
L’explicite réussit moins bien à Laurent Wauquiez. Début
2018, devant des étudiants de l’EM Lyon, il dit tout le mal qu’il pense de
nombreux responsables politiques, désignés sans détour (Alain Juppé a « totalement
cramé la caisse » à Bordeaux, etc.). Malgré sa demande, un étudiant
enregistre et diffuse ses déclarations ravageuses. L’affaire fait scandale.
Mais Christophe Malbranque, l’un des principaux communicants du parti
présidentiel LREM, alerte son entourage : « Il est tout à fait possible
que, bien malgré lui, Wauquiez nous tende un piège », conjecture-t-il
dans un message cité
par Agathe Ranc, de L’Obs. Lui répondre serait se placer à son
niveau, « celui de la petite phrase, de la politique à l’ancienne, au
risque de reproduire un schéma que l'opinion déteste et qui a été sanctionné
dans les urnes » (encore la théorie du boomerang !).
Comment se faire oublier
En réalité, les scandales « ont permis à M. Wauquiez de devenir
le nouveau héros des militants », pensent Matthieu
Goar et Alexandre Lemarié. Ses petites phrases illustrent un
tempérament de chef. « Laurent Wauquiez n’a jamais manifesté […] un
sens de la fidélité et de la mesure. Il est plutôt dans l’énergie et la volonté
personnelle », estime Gérard Longuet, cité en 2018 par Public Sénat.
Mais tant que la partie n’est pas pliée, tant que le parti ne lui est pas
acquis, elles offrent aussi un angle d’attaque aux autres aspirants leaders (voire
à l’ex-leader Sakozy).
La presse aussi, première consommatrice de petites phrases,
cherche parfois à se dédouaner par la distanciation, à l’instar du Progrès,
qui répertorie en 2018 les « Phrases
assassines, polémiques et gros clashs de la mandature Wauquiez ».
Mais Émilie Chaumet y convient que « la "petite phrase" est
rarement anodine […] Certains diront qu'elles "sont le niveau zéro
du débat politique" pourtant les "meilleures" ne passent jamais
inaperçues. » Peu après, le leader républicain met de l’eau dans son
vin, assure Antoine Comte dans La
Tribune de Lyon : « Fini les déclarations à
l’emporte-pièce et la course au buzz médiatique, Laurent Wauquiez a décidé
désormais de prendre son temps et de réfléchir mûrement avant de s’exprimer
publiquement. »
Et il tient parole en respectant pendant près de deux ans un
silence, qu’il vient de rompre, ce 11 mai, par un long entretien avec les
journalistes du Point. Un entretien très conceptuel, même si l’on sent
que la fibre de la petite phrase pourrait être réactivée (« Emmanuel
Macron n’a jamais été Jupiter. À force de vouloir décider de tout, il ne décide
plus de rien »… « Les Français […] ont vu les limites d’un
président de la République auquel il aura sans doute manqué d’avoir appris en
gravissant les échelons petit à petit », « il a réussi des
choses, mais il n’a pas enrayé la décadence »…)
Laurent Wauquiez, dirait-on, ne veut faire de peine à
aucun électorat. Mais si les médias s’intéressent encore à sa personne –
l’entretien du Point a été largement relayé par les confrères – il n’est
pas dit que les électeurs y restent aussi sensibles. Il est probable qu’en
politique, dans une cure de silence, ce sont des voix qu’on perd. Les requêtes
enregistrées par Google Tendance des recherches ne révèlent pas de fortes
attentes des internautes à son égard ces dernières années (graphique ci-dessous). Un sursaut
apparaît le 9 mai, quand Le Point communique sur son entretien, et le 11
mai, lors de la parution de l’hebdomadaire, mais les requêtes viennent
de sa région, Auvergne-Rhône-Alpes, presque six fois plus que d’Île-de-France, et le
mouvement retombe dès le 12. Laurent Wauquiez a voulu se faire oublier et
pourrait avoir réussi au-delà de ses espérances.
Michel Le Séac’h
Photo : Laurent Wauquiez en 2010 par Alesclar,
via Wikimedia
Commons, licence CC BY-SA 3.0