Qui a dit, à propos de l’élection présidentielle : « J’y pense en me rasant » ? Nicolas Sarkozy, répond-on le plus souvent. Or le véritable auteur de la phrase est Laurent Fabius. Pensez-vous à l’Élysée ? lui avait-on demandé au cours de l’émission 100 minutes pour convaincre, le 15 octobre 2003 sur France 2. « J’y pense parfois le matin en me rasant », avait répondu l’ancien Premier ministre de François Mitterrand.
C’est par référence explicite à cette réplique que, quelques semaines plus tard, le 20 novembre 2003, Alain Duhamel demande à Nicolas Sarkozy : « Quand vous vous rasez le matin […] est-ce qu’il vous arrive à ce moment-là de penser à l’élection présidentielle ? » (voir extrait vidéo de l’INA). « Pas simplement quand je me rase », répond sobrement Sarkozy.
« La petite phrase a le don d’agacer quelques-uns de ses amis », note le lendemain le journal de France 2. Ces réactions, relayées par la presse, ancrent les paroles de Sarkozy dans les mémoires : désormais, l’auteur de la réplique, c’est lui ! Et sans doute est-ce lui qui a pensé le plus fort en se rasant puisqu’il est candidat à l’élection présidentielle de 2007, et pas Laurent Fabius
Probablement pas très connue du grand public, la petite phrase a marqué le personnel politique et les journalistes spécialisés. Elle est même devenue chez eux une sorte de leitmotiv. « Quand je me rase, je pense à ne pas me couper », ont répondu en substance aux journalistes qui les interrogeaient Xavier Bertrand en 2008, Manuel Valls en 2013, Dominique Strauss-Kahn (par l’intermédiaire d’Anne Sinclair) en 2003 et même… Laurent Fabius en 2014. Et le JDD d’insister à propos de ce dernier : « en référence à une célèbre réponse de Nicolas Sarkozy » ! La petite phrase a bel et bien échappé à son véritable auteur.
Pourtant, la forme qui est restée vient directement de celle que lui avait donnée Laurent Fabius : « J’y pense [parfois le matin] en me rasant ». Comme beaucoup de petites phrases, celle-ci a été spontanément optimisée par le public* : les trois mots « parfois le matin » disparaissent le plus souvent. Ils ne sont pas seulement inutiles, ils contredisent le message tel qu'il est compris aujourd'hui. Dans la bouche de Laurent Fabius, la formule signifiait quelque chose comme « j'y pense de temps en temps ». Désormais, elle signifie plutôt : « je ne pense qu'à ça » et connote un personnage aux dents longues. Sans doute Nicolas Sarkozy correspondait-il mieux que Laurent Fabius à ce portrait-robot .
Michel Le Séac'h
__________________________________
* Voir La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, p. 179.
Photo U.S. Department of State, domaine public, Flickr
13 août 2015
10 août 2015
No One Understands You and What to Do About It, par H.G. Halvorson
À la sortie de l’hôpital, un patient remercie son psychiatre
de l’avoir guéri : il ne se prend plus pour un morceau de sucre. Passe un
chien. Le patient effrayé referme vite la porte.
- Voyons, dit le médecin, vous savez bien que vous n’êtes pas un morceau de sucre.
- Je le sais moi, mais le chien, lui, il ne le sait pas !
Tout deviendra plus clair pour le patient et le chien une fois qu’ils auront lu No One Understands You and What to Do About It, de Heidi Grant Halvorson. Professeur de psychosociologie à Columbia Business School, celle-ci explique pourquoi les autres ne nous voient pas comme nous croyons être, pourquoi ils comprennent de travers ce que nous leur disons.
Le livre s’ouvre sur un débat télévisé pendant la campagne présidentielle américaine de 2012. Barack Obama est réputé excellent orateur. Pour se donner l’air « présidentiel » et ne pas apparaître « sarcastique », il épargne à son adversaire, Mitt Romney, les petites phrases préparées par ses assistants. Il quitte la salle sûr de sa victoire. En réalité, le débat est un désastre : selon un sondage le président est apparu « léthargique et indifférent », il n’est donné pour vainqueur du débat que par 25 % du public. Comme quoi, il vaut peut-être mieux ne pas se priver de petites phrases !
Prononcer une petite phrase ne suffit pas. Elles « ne signifient pas grand chose par elles-mêmes », note Heidi Grant Halvorson. « Nous devons découvrir leur sens – d’après le contexte et d’après tout ce que nous savons (ou croyons savoir) d’autre sur leur auteur. » Autrement dit, le sens d’une petite phrase est conditionné par ce qui se trouve déjà dans la tête des auditeurs. Or ces auditeurs sont, comme nous tous, des « avares cognitifs », selon l’expression des psychologues Susan Fiske et Shelly Taylor : il se passe tant de chose autour de nous que, pour simplifier, nous devons nous en remettre à des raccourcis.
Le « biais de confirmation » est le plus puissant d’entre eux. Dans ce que nous voyons ou entendons de nouveau, nous cherchons la confirmation de ce que nous savons ou croyons déjà. Modifier les impressions d’autrui est possible ; c’est juste très difficile. Les deux derniers tiers du livre de Heidi Grant Halvorson disent comment faire. Mais on en retiendra qu’un homme politique ne devrait pas tenter de petite phrase en contradiction avec son image dans l’opinion. Au mieux, elle passera inaperçue. Au pire, elle sera comprise de travers et pourra même tourner vinaigre, comme Nicolas Sarkozy en a fait l’expérience avec « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
- Voyons, dit le médecin, vous savez bien que vous n’êtes pas un morceau de sucre.
- Je le sais moi, mais le chien, lui, il ne le sait pas !
Tout deviendra plus clair pour le patient et le chien une fois qu’ils auront lu No One Understands You and What to Do About It, de Heidi Grant Halvorson. Professeur de psychosociologie à Columbia Business School, celle-ci explique pourquoi les autres ne nous voient pas comme nous croyons être, pourquoi ils comprennent de travers ce que nous leur disons.
Le livre s’ouvre sur un débat télévisé pendant la campagne présidentielle américaine de 2012. Barack Obama est réputé excellent orateur. Pour se donner l’air « présidentiel » et ne pas apparaître « sarcastique », il épargne à son adversaire, Mitt Romney, les petites phrases préparées par ses assistants. Il quitte la salle sûr de sa victoire. En réalité, le débat est un désastre : selon un sondage le président est apparu « léthargique et indifférent », il n’est donné pour vainqueur du débat que par 25 % du public. Comme quoi, il vaut peut-être mieux ne pas se priver de petites phrases !
Prononcer une petite phrase ne suffit pas. Elles « ne signifient pas grand chose par elles-mêmes », note Heidi Grant Halvorson. « Nous devons découvrir leur sens – d’après le contexte et d’après tout ce que nous savons (ou croyons savoir) d’autre sur leur auteur. » Autrement dit, le sens d’une petite phrase est conditionné par ce qui se trouve déjà dans la tête des auditeurs. Or ces auditeurs sont, comme nous tous, des « avares cognitifs », selon l’expression des psychologues Susan Fiske et Shelly Taylor : il se passe tant de chose autour de nous que, pour simplifier, nous devons nous en remettre à des raccourcis.
Le « biais de confirmation » est le plus puissant d’entre eux. Dans ce que nous voyons ou entendons de nouveau, nous cherchons la confirmation de ce que nous savons ou croyons déjà. Modifier les impressions d’autrui est possible ; c’est juste très difficile. Les deux derniers tiers du livre de Heidi Grant Halvorson disent comment faire. Mais on en retiendra qu’un homme politique ne devrait pas tenter de petite phrase en contradiction avec son image dans l’opinion. Au mieux, elle passera inaperçue. Au pire, elle sera comprise de travers et pourra même tourner vinaigre, comme Nicolas Sarkozy en a fait l’expérience avec « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
Heidi Grant Halvorson, No One Understands You and What to Do About It, HBR Press, Boston 2015.
30 juillet 2015
« Tchip-tchip », la petite phrase du poulailler
Une dinde peut aimer un putois pourvu qu’il fasse « tchip-tchip », note Robert Cialdini dans les premières pages d’Influence
et manipulation*. La dinde est une mère dévouée envers ses petits, elle les
nourrit, les réchauffe, les protège. Or « tous ces soins maternels se
déclenchent sous l’effet d’une seule chose : le ‘tchip-tchip’ émis par les
poussins dindonneaux ». Malheur au poussin muet : sa mère le
délaisse. Inversement, tout ce qui fait « tchip-tchip » est un
poussin pour la dinde.
Celle-ci n’a pas le choix : le piaillement déclenche chez elle les soins maternels, c’est inscrit dans ses gènes. Bien entendu, ce genre de phénomène n’est pas propre à la dinde : il existe chez un grand nombre d’espèces, comme l’ont montré depuis longtemps Konrad Lorenz et ses collègues éthologues. Certains sons déclenchent certaines séquences de comportement.
Photo Jamain, Wikimedia Commons, CC-BY-SA-3.0,2.5,2.0,1.0
Celle-ci n’a pas le choix : le piaillement déclenche chez elle les soins maternels, c’est inscrit dans ses gènes. Bien entendu, ce genre de phénomène n’est pas propre à la dinde : il existe chez un grand nombre d’espèces, comme l’ont montré depuis longtemps Konrad Lorenz et ses collègues éthologues. Certains sons déclenchent certaines séquences de comportement.
Et chez l’homme, animal programmable, tel est bien le but de
certains dictons, slogans, préceptes, commandements et autres petites phrases.
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* Robert Cialdini, Influence et manipulation, Paris, First, 2004. Édition Pocket, 2014, p. 16-17.
Photo Jamain, Wikimedia Commons, CC-BY-SA-3.0,2.5,2.0,1.0
24 juillet 2015
Snowclones : ce n'est pas toujours l'Allemagne qui gagne
Mais cette formule n’est pas confinée aux milieux du football, bien qu'elle y soit plus fréquente. En voici quelques exemples récents :
- Cyclisme : « Et à la fin, c’est Perrin-Ganier qui gagne », Le Progrès, titre du 15 mai 2015
- Voile : « Solitaire du Figaro : et à la fin, c’est Eliès qui gagne... », Le Parisien, titre du 17 juin 2015
- Tennis : « Et à la fin, c’est Nadal qui gagne », Le Midi libre, première phrase d'un article du 3 juin 2015 sur Roland-Garros
- Automobile : « Et à la fin, c’est Rolex qui gagne », L'Est républicain, intertitre d'un article du 11 juin 2015 sur les sponsors des 24 Heures du Mans
- Basket-ball : « Et à la fin, c’est Limoges qui gagne », L'Alsace, titre du 21 juin 2015
Michel Le Séac'h
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* Voir Michel Le Séac'h, La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, Paris, Eyrolles, 2015, p. 135.
Photo TottenhamFan, Flickr, CC licence 2.0
19 juillet 2015
#ThisIsACoup : une petite phrase internationale
Le tweet n’est pas le parangon de la petite phrase :
140 signes, c’est déjà beaucoup. D’où la multiplication, sur Twitter comme
ailleurs, des hashtags, ou mots-dièse, signalés par un croisillon (#). À
l’origine destinés à marquer un contenu, certains hashtags tendent à devenir
des contenus en soi, et même des formules concises destinées à marquer les
esprits, c’est-à-dire des petites phrases à part entière.
La crise grecque vient d’en offrir un bel exemple : le
hashtag #ThisIsACoup. Il est lancé le dimanche 12 juillet à 20 h 01 par
un professeur de mathématiques de Barcelone, Sandro Maccarrone, avec le tweet
suivant : « La propuesta del eurogrupo es un golpe estado encubierto contra el pueblo
griego #ThisIsACoup
#Grexit »
(la proposition de l’Eurogroupe est un coup d’État contre le peuple grec). Quel
que soit son degré de validité, cette affirmation se répand sur le web comme
une traînée de poudre.
Sandro Maccarrone affirme que le hashtag n’a pas été créé au hasard ;
c’est, en somme, un coup monté. Il provient d’un groupuscule militant inspiré
par les méthodes du Printemps arabe. #ThisIsACoup aurait été choisi de
préférence à une formule du genre #SaveGreece ou #HelpGreece car il exprime une
« narration offensive » (« aggressive narrative »).
L’histoire qu’il raconte implicitement n’est pas seulement celle d’une
négociation internationale difficile mais celle d’une action brutale violant la
volonté du peuple : de quoi susciter l’indignation des démocrates.
Géré en collaboration grâce au service TitanPad, le hashtag est aussitôt relayé en
différentes langues par les autres membres du groupe puis, deux heures plus
tard, par
le prix Nobel d’économie Paul Krugman sur son blog du New York Times
(« la liste des exigences de l’Eurogroupe est de la folie. Le hashtag
en vogue ThisIsACoup est parfaitement exact »). Krugman fait-il partie
du complot ? Ni lui ni Maccarrone ne le dit. Mais cette onction
intellectuelle apportée à une formule polémique est un formidable coup
d’accélérateur : en quelques heures, le hashtag devient le deuxième le
plus fréquent sur le web. La grande presse, de Libération
au Figaro,
rend bientôt compte du phénomène. Même ceux qui contestent énergiquement la
narration implicite du hashtag, comme le Telegraph,
contribuent à le diffuser.
Le succès de ce hashtag est l’histoire d’un bon alignement entre contenu, contexte, et culture :
- Contenu : puissamment narratif, sur un mode vindicatif et non plaintif,
- Contexte : sujet d’actualité, maîtrise des médias sociaux, choix avisé du moment (compte tenu du décalage horaire et des relais du groupe sur le continent américain, le hashtag sera déjà très présent sur le web quand l’Europe s’éveillera le lundi matin), intervention d’une personnalité majeure, reprise par la presse
- Culture : le public touché n’est pas national mais international, il se rattache à une frange activiste internationale sensible à la notion de coup d’État (selon Maccarrone, le hashtag faisait aussi référence à#NotACoup, utilisé en Égypte).
Michel Le Séac'h
16 juillet 2015
Savoir défendre ses idées… et influencer les autres, de John Daly
John Daly, professeur à l’University of Texas at Austin, est
l’un des grands spécialistes américains de la persuasion et de l’influence. Savoir
défendre ses idées… et influencer les autres ! est le premier de ses
livres traduits en français. Il part d’un constat simple : pour qu’une
idée réussisse, il ne suffit pas qu’elle soit bonne (on en a souvent vu de
mauvaises s’imposer !), il faut aussi persuader qui de droit. Cet ouvrage
est une sorte de vademecum du porteur d’idée désireux de devenir aussi
persuadeur.
Complet, ce livre bourré d’exemples concrets passe en revue la formulation du message mais aussi tout ce qui permet de lui donner de la force : l’attitude personnelle, l’orientation des problèmes, la construction d’une réputation, la connaissance du décideur, les alliances, le réseautage, le choix du moment, la gestuelle…
« Pouvez-vous faire tenir votre idée en moins de 100 mots », demande d’emblée John Daly. « Moins de 50 mots ? Moins de 10 mots » On s’approche clairement de la petite phrase ! Le premier exemple fourni est d’ailleurs le célèbre « It’s the economy, stupid », de Bill Clinton. Et l’auteur d’insister aussitôt sur les vertus de la répétition, qui joue un rôle si important dans la petitephraséification.
Chemin faisant, de nombreuses remarques sont utiles à la réflexion sur les petites phrases. Ainsi, Daly propose la notion de « nom-marque » : le nom du persuadeur est déjà un message à lui seul. Dans les entreprises, on constate que les tâches intéressantes sont souvent confiés aux mêmes, « pas nécessairement parce que ce sont les meilleurs, mais parce que leur nom vient immédiatement à l’esprit », automatisme qui rappelle celui de la petite phrase, dont on se souvient spontanément. Daly insiste aussi sur l’importance du récit, du storytelling : les histoires influentes comportent des messages, dit-il, elles sont bien racontées, elles expriment des valeurs, elles sont crédibles et personnelles.
Le livre note aussi l’importance des « étiquettes » : la manière de nommer une chose influe beaucoup sur la manière dont elle est perçue (« allocation » est moins porteur que « solidarité », par exemple) et, en politique, les sobriquets attachés aux adversaires jouent un rôle efficace. Enfin, les idées doivent être vendues avec un langage adapté : simple, inclusif, vigoureux, déterminé, tourné vers l’action.
Michel Le Séac'h
Disclosure : l’auteur de cet article est également traducteur du livre de John Daly.
Complet, ce livre bourré d’exemples concrets passe en revue la formulation du message mais aussi tout ce qui permet de lui donner de la force : l’attitude personnelle, l’orientation des problèmes, la construction d’une réputation, la connaissance du décideur, les alliances, le réseautage, le choix du moment, la gestuelle…
« Pouvez-vous faire tenir votre idée en moins de 100 mots », demande d’emblée John Daly. « Moins de 50 mots ? Moins de 10 mots » On s’approche clairement de la petite phrase ! Le premier exemple fourni est d’ailleurs le célèbre « It’s the economy, stupid », de Bill Clinton. Et l’auteur d’insister aussitôt sur les vertus de la répétition, qui joue un rôle si important dans la petitephraséification.
Chemin faisant, de nombreuses remarques sont utiles à la réflexion sur les petites phrases. Ainsi, Daly propose la notion de « nom-marque » : le nom du persuadeur est déjà un message à lui seul. Dans les entreprises, on constate que les tâches intéressantes sont souvent confiés aux mêmes, « pas nécessairement parce que ce sont les meilleurs, mais parce que leur nom vient immédiatement à l’esprit », automatisme qui rappelle celui de la petite phrase, dont on se souvient spontanément. Daly insiste aussi sur l’importance du récit, du storytelling : les histoires influentes comportent des messages, dit-il, elles sont bien racontées, elles expriment des valeurs, elles sont crédibles et personnelles.
Le livre note aussi l’importance des « étiquettes » : la manière de nommer une chose influe beaucoup sur la manière dont elle est perçue (« allocation » est moins porteur que « solidarité », par exemple) et, en politique, les sobriquets attachés aux adversaires jouent un rôle efficace. Enfin, les idées doivent être vendues avec un langage adapté : simple, inclusif, vigoureux, déterminé, tourné vers l’action.
Michel Le Séac'h
John Daly, Savoir défendre ses idées... et influencer les autres ! Pearson, Paris 2014, 392 pages, 29 €___________________________
Disclosure : l’auteur de cet article est également traducteur du livre de John Daly.
13 juillet 2015
Le snowclone, bâton de maréchal de la petite phrase
Le snowclone est devenu quasi clandestinement l’une des figures de style les plus courantes de notre époque. Inutile de le chercher dans les dictionnaires : il n'y est pas. Wikipédia le présente comme « le terme anglais qui désigne une expression ou une phrase connue très souvent parodiée ». C’est un peu court, jeune homme !
On définira mieux le snowclone comme « une figure de style qui consiste à réutiliser une expression ou phrase très connue par mutation d’un ou plusieurs de ses éléments caractéristiques de manière à ce que le sens de l’expression ou phrase d’origine s’applique, au moins métaphoriquement, aux éléments mutés ». Cela paraît compliqué ? Quelques exemples seront plus éloquents !
En tout état de cause, il n’y a snowclone que si la phrase-modèle s’est imposée au point d’être reconnaissable immédiatement dans l’imitation. Ce critère de spontanéité rappelle évidemment la petite phrase : on la reconnaît sans peine. Si l’on entend ses premiers mots, le Système 1 du cerveau* la complète automatiquement. L’apparition d’imitations signale donc que le modèle s’est inscrit dans l’esprit du public. Le snowclone est ainsi la preuve concrète du succès de la petite phrase, son bâton de maréchal**.
Michel Le Séac'h
_________________
* Voir Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012, p. 29.
** Voir Michel Le Séac’h, La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, Eyrolles, Paris 2015, p. 135.
On définira mieux le snowclone comme « une figure de style qui consiste à réutiliser une expression ou phrase très connue par mutation d’un ou plusieurs de ses éléments caractéristiques de manière à ce que le sens de l’expression ou phrase d’origine s’applique, au moins métaphoriquement, aux éléments mutés ». Cela paraît compliqué ? Quelques exemples seront plus éloquents !
- « Vous n’avez pas le monopole du cœur » a donné « vous n’avez pas le monopole des classes moyennes », « vous n’avez pas le monopole de l’immigration », etc.
- « Et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne » a donné « et à la fin c’est Blatter qui gagne », « et à la fin c’est Hollande qui gagne », etc.
- « Casse-toi pauv’ con » a donné « casse-toi pauv’ compétent », « casse-toi pauv’ riche », etc.
En tout état de cause, il n’y a snowclone que si la phrase-modèle s’est imposée au point d’être reconnaissable immédiatement dans l’imitation. Ce critère de spontanéité rappelle évidemment la petite phrase : on la reconnaît sans peine. Si l’on entend ses premiers mots, le Système 1 du cerveau* la complète automatiquement. L’apparition d’imitations signale donc que le modèle s’est inscrit dans l’esprit du public. Le snowclone est ainsi la preuve concrète du succès de la petite phrase, son bâton de maréchal**.
Michel Le Séac'h
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* Voir Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012, p. 29.
** Voir Michel Le Séac’h, La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, Eyrolles, Paris 2015, p. 135.
10 juillet 2015
« Petite phrase » : la définition magistrale de l’Académie française
Avant La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, il n'existait pas de livre sur les petites phrases. Mais l'Académie
française avait exprimé l'essentiel en douze mots. Une petite phrase, dit-elle à l’article « phrase » de son Dictionnaire, est une « formule concise qui, sous des dehors anodins, vise à marquer les esprits ».
Voilà une définition spécialement efficiente : à l’instar de la petite
phrase elle-même, elle dit beaucoup en peu de mots.
Michel Le Séac'h
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Photo Nitot, Wikimedia, licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic
- La petite phrase n’est pas nécessairement une phrase au sens grammatical : c’est une « formule », c’est-à-dire une expression condensée, nette et frappante. Elle se suffit à elle-même. Pour des sciences comme les mathématiques, une formule exprime de manière symbolique une règle opératoire. Et en réalité, telle est bien la mission de la petite phrase : elle rappelle de manière implicite ce qu’il faut faire ou penser dans certaines circonstances.
- La petite phrase n’est pas seulement petite, c’est-à-dire brève, composée de peu de mots, elle est « concise », un adjectif que l’Académie définit ainsi : « Qui fait entendre beaucoup de choses en peu de mots ». La petite phrase contient davantage qu’elle-même.
- La petite phrase se présente « sous des dehors anodins ». L'Académie donne du volume à la petite phrase : puisqu'il y a « dehors », implicitement, il y a aussi « dedans ». Ces dehors sont « anodins », adjectif issu du grec qui signifie aujourd'hui « sans importance ». L'important se cache à l'intérieur de la petite phrase.
- La petite phrase est animée d’une intention. Elle « vise ». Notez-le bien : dans la définition de l’Académie française, le sujet du verbe d’action est la petite phrase elle-même. Celle-ci n’est pas la simple expression de son auteur, elle est animée d’une vie propre. De fait, beaucoup de petites phrases prennent leur essor de leur propre chef, au grand dam leur auteur parfois. Ou bien, elles atteignent d'autres cibles que celles qu'on visait (voyez la couverture du livre ci-contre : deux des flèches ont atteint la cible sans avoir été tirées directement vers elle !).
- Le but de la petite phrase est de « marquer », c’est-à-dire de produire une impression durable – même si une marque est en général appelée à s’estomper plus ou moins vite. Elle relève plus de la mémoire que de l'intelligence, son but n’est pas de convaincre ou d’alimenter un raisonnement.
- La marque laissée par la petite phrase porte sur « les esprits ». Si le nom « esprit » peut avoir de nombreuses significations, on note en tout cas que le pluriel employé par l’Académie française dénote le caractère collectif de la petite phrase : elle s’adresse en général à un groupe, non à une personne.
Michel Le Séac'h
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Photo Nitot, Wikimedia, licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic
08 juillet 2015
« Le traité de Versailles de la zone euro » : quand Emmanuel Macron s’essaie aux petites phrases
« Même si le non devait l'emporter, notre
responsabilité sera de ne pas faire le traité de Versailles de la zone
euro », a déclaré Emmanuel Macron dimanche dernier. Invité des
Rencontres d’économie d’Aix-en-Provence, le ministre de l’Économie s’exprimait
le jour même du référendum grec.
Une telle déclaration venant d’une telle personnalité à un tel moment n’est évidemment pas passée inaperçue. Elle a été reprise par une grande partie de la presse. Marquera-t-elle durablement ? Cette phrase d’une vingtaine de mots est trop longue pour faire une petite phrase. Elle sera raccourcie dans les mémoires. Elle l’est déjà dans les titres : pour Le Monde, « Macron met en garde contre un ‘traité de Versailles de la zone euro’ ».
Hélas, les formulations négatives (« ne pas faire ») sont souvent mal comprises. Ce qu’on retiendra vaguement est qu’Emmanuel Macron a parlé d’un « traité de Versailles de la zone euro ». Et cette analogie éveille un sentiment négatif ; John Maynard Keynes, dans Les Conséquences économiques de la paix, comparait le traité de Versailles à une « paix carthaginoise », c’est-à-dire la destruction de l’adversaire. Associer son nom à un concept désagréable n’est pas une bonne idée pour un homme politique.
Associer l’adversaire à un concept agréable ne l’est pas davantage. Le lendemain de sa déclaration sur la Grèce, Emmanuel Macron, à Marseille, affirmait que « le Front national est une forme de Syriza à la française ». Gros succès : la formule a fait titre pour La Provence, Libération, Le Point et plusieurs autres. « Syriza » est peut-être un gros mot pour le ministre de l’Économie, mais le succès de son référendum a conféré au parti grec une image de vainqueur. Le Front national devrait apprécier qu’un ministre la lui accole.
Manuel Valls trouve Emmanuel Macron trop « bavard », à en croire Le Canard enchaîné du 17 juin. Il risque de trouver aussi que la qualité ne rachète pas la quantité.
Michel Le Séac'h
_________________________
Photo d’Emmanuel Macron : OFFICIAL LEWEB PHOTOS, Flickr, cc-by-2.0.
Une telle déclaration venant d’une telle personnalité à un tel moment n’est évidemment pas passée inaperçue. Elle a été reprise par une grande partie de la presse. Marquera-t-elle durablement ? Cette phrase d’une vingtaine de mots est trop longue pour faire une petite phrase. Elle sera raccourcie dans les mémoires. Elle l’est déjà dans les titres : pour Le Monde, « Macron met en garde contre un ‘traité de Versailles de la zone euro’ ».
Hélas, les formulations négatives (« ne pas faire ») sont souvent mal comprises. Ce qu’on retiendra vaguement est qu’Emmanuel Macron a parlé d’un « traité de Versailles de la zone euro ». Et cette analogie éveille un sentiment négatif ; John Maynard Keynes, dans Les Conséquences économiques de la paix, comparait le traité de Versailles à une « paix carthaginoise », c’est-à-dire la destruction de l’adversaire. Associer son nom à un concept désagréable n’est pas une bonne idée pour un homme politique.
Associer l’adversaire à un concept agréable ne l’est pas davantage. Le lendemain de sa déclaration sur la Grèce, Emmanuel Macron, à Marseille, affirmait que « le Front national est une forme de Syriza à la française ». Gros succès : la formule a fait titre pour La Provence, Libération, Le Point et plusieurs autres. « Syriza » est peut-être un gros mot pour le ministre de l’Économie, mais le succès de son référendum a conféré au parti grec une image de vainqueur. Le Front national devrait apprécier qu’un ministre la lui accole.
Manuel Valls trouve Emmanuel Macron trop « bavard », à en croire Le Canard enchaîné du 17 juin. Il risque de trouver aussi que la qualité ne rachète pas la quantité.
Michel Le Séac'h
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Photo d’Emmanuel Macron : OFFICIAL LEWEB PHOTOS, Flickr, cc-by-2.0.
06 juillet 2015
Le Grand prix de l’humour, cadeau encombrant pour Nicolas Sarkozy
La scène se passe il y a plus de vingt ans. Nicolas Sarkozy est alors un jeune ministre du Budget. Sans doute pour acquérir
une image intellectuelle il vient de publier une biographie de Georges Mandel*. Le journaliste Bruno Masure
l’a invité à présenter le livre dans son journal télévisé.
À la fin de l’entretien, Bruno Masure lâche une question qui se veut perfide :
-- Nicolas Sarkozy, votre livre, vous l’avez vraiment écrit vous-même ?
Sarkozy jette un regard gourmand vers la fiche que le journaliste tient en main, où figurent les questions préparée par ses assistants, et il répond :
-- Bruno Masure, mon livre, vous l’avez vraiment lu vous-même ?
Depuis lors, Nicolas Sarkozy s’est fait connaître davantage pour ses formules agressives que pour son humour. Mais il sait encore à l’occasion décocher des traits bien sentis. Et c’est ce qui lui a valu de recevoir le 30 juin le Grand prix 2015 du Press Club humour et politique, décerné par un jury trié sur le volet**.
« Pour désespérer de François Bayrou encore faudrait-il que j’aie un jour placé de l’espoir en lui », telle est la déclaration qui lui a valu cette distinction. Elle date du mois d’avril. Sarkozy répondait à une question (« Désespérez-vous de François Bayrou ? ») posée par le JDD.
Les mots d’esprit donnent rarement des petites phrases durables et répandues, a fortiori s’ils contiennent un nom propre. Sans le Press Club, cette formule de Nicolas Sarkozy aurait été vite oubliée. Répétée et répercutée, elle risque désormais de s’incruster pendant quelque temps dans la mémoire de François Bayrou et de ses amis. « C’était un humour, comme à l’habitude, extrêmement raffiné », a commenté François Bayrou lui-même sur RTL, enchaînant sur le mot des Guignols à propos de Sarkozy : « il a changé, en pire ».
Il est douteux que ces échanges facilitent les négociations à venir autour de l’élection présidentielle de 2017 entre les deux hommes politiques et leur entourage.
* Nicolas Sarkozy,Georges Mandel, le moine de la politique, Grasset, Paris 1994.
** Présidé par Jean Miot, il se composait d’André Bercoff, Isabelle Bourdet, Nicolas Charbonneau, Élisabeth Chavelet, Hubert Coudurier, Pierre Douglas, Frédéric Dumoulin, Olivier Galzi, Laurent Gerra, Anita Hausser, Olivier de Lagarde, Gérard Leclerc, Jacques Mailhot, Dominique de Montvalon, Philippe Reinhard et Dominique Verdeilhan.
À la fin de l’entretien, Bruno Masure lâche une question qui se veut perfide :
-- Nicolas Sarkozy, votre livre, vous l’avez vraiment écrit vous-même ?
Sarkozy jette un regard gourmand vers la fiche que le journaliste tient en main, où figurent les questions préparée par ses assistants, et il répond :
-- Bruno Masure, mon livre, vous l’avez vraiment lu vous-même ?
Depuis lors, Nicolas Sarkozy s’est fait connaître davantage pour ses formules agressives que pour son humour. Mais il sait encore à l’occasion décocher des traits bien sentis. Et c’est ce qui lui a valu de recevoir le 30 juin le Grand prix 2015 du Press Club humour et politique, décerné par un jury trié sur le volet**.
« Pour désespérer de François Bayrou encore faudrait-il que j’aie un jour placé de l’espoir en lui », telle est la déclaration qui lui a valu cette distinction. Elle date du mois d’avril. Sarkozy répondait à une question (« Désespérez-vous de François Bayrou ? ») posée par le JDD.
Les mots d’esprit donnent rarement des petites phrases durables et répandues, a fortiori s’ils contiennent un nom propre. Sans le Press Club, cette formule de Nicolas Sarkozy aurait été vite oubliée. Répétée et répercutée, elle risque désormais de s’incruster pendant quelque temps dans la mémoire de François Bayrou et de ses amis. « C’était un humour, comme à l’habitude, extrêmement raffiné », a commenté François Bayrou lui-même sur RTL, enchaînant sur le mot des Guignols à propos de Sarkozy : « il a changé, en pire ».
Il est douteux que ces échanges facilitent les négociations à venir autour de l’élection présidentielle de 2017 entre les deux hommes politiques et leur entourage.
Michel Le Séac'h
___________________* Nicolas Sarkozy,Georges Mandel, le moine de la politique, Grasset, Paris 1994.
** Présidé par Jean Miot, il se composait d’André Bercoff, Isabelle Bourdet, Nicolas Charbonneau, Élisabeth Chavelet, Hubert Coudurier, Pierre Douglas, Frédéric Dumoulin, Olivier Galzi, Laurent Gerra, Anita Hausser, Olivier de Lagarde, Gérard Leclerc, Jacques Mailhot, Dominique de Montvalon, Philippe Reinhard et Dominique Verdeilhan.
Photo N. Sarkozy : European People's Party - EPP Summit October 2010 via Wikipedia
et Flickr, CC BY 2.0
Photo F. Bayrou : Antonin Borgeaud, Wikipedia,
domaine publicÀ lire dans Le Figaro Magazine (numéro des 3 et 4 juillet) , une interview de Michel Le Séac’h par Patrice de Méritens à propos du livre La petite phrase.
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