19 juillet 2015

#ThisIsACoup : une petite phrase internationale

Le tweet n’est pas le parangon de la petite phrase : 140 signes, c’est déjà beaucoup. D’où la multiplication, sur Twitter comme ailleurs, des hashtags, ou mots-dièse, signalés par un croisillon (#). À l’origine destinés à marquer un contenu, certains hashtags tendent à devenir des contenus en soi, et même des formules concises destinées à marquer les esprits, c’est-à-dire des petites phrases à part entière.

La crise grecque vient d’en offrir un bel exemple : le hashtag #ThisIsACoup. Il est lancé le dimanche 12 juillet à 20 h 01 par un professeur de mathématiques de Barcelone, Sandro Maccarrone, avec le tweet suivant : « La propuesta del eurogrupo es un golpe estado encubierto contra el pueblo griego #ThisIsACoup #Grexit » (la proposition de l’Eurogroupe est un coup d’État contre le peuple grec). Quel que soit son degré de validité, cette affirmation se répand sur le web comme une traînée de poudre.
Sandro Maccarrone affirme que le hashtag n’a pas été créé au hasard ; c’est, en somme, un coup monté. Il provient d’un groupuscule militant inspiré par les méthodes du Printemps arabe. #ThisIsACoup aurait été choisi de préférence à une formule du genre #SaveGreece ou #HelpGreece car il exprime une « narration offensive » (« aggressive narrative »). L’histoire qu’il raconte implicitement n’est pas seulement celle d’une négociation internationale difficile mais celle d’une action brutale violant la volonté du peuple : de quoi susciter l’indignation des démocrates.

Géré en collaboration grâce au service TitanPad, le hashtag est aussitôt relayé en différentes langues par les autres membres du groupe puis, deux heures plus tard, par le prix Nobel d’économie Paul Krugman sur son blog du New York Times (« la liste des exigences de l’Eurogroupe est de la folie. Le hashtag en vogue ThisIsACoup est parfaitement exact »). Krugman fait-il partie du complot ? Ni lui ni Maccarrone ne le dit. Mais cette onction intellectuelle apportée à une formule polémique est un formidable coup d’accélérateur : en quelques heures, le hashtag devient le deuxième le plus fréquent sur le web. La grande presse, de Libération au Figaro, rend bientôt compte du phénomène. Même ceux qui contestent énergiquement la narration implicite du hashtag, comme le Telegraph, contribuent à le diffuser.

Le succès de ce hashtag est l’histoire d’un bon alignement entre contenu, contexte, et culture :
  • Contenu : puissamment narratif, sur un mode vindicatif et non plaintif,
  • Contexte : sujet d’actualité, maîtrise des médias sociaux, choix avisé du moment (compte tenu du décalage horaire et des relais du groupe sur le continent américain, le hashtag sera déjà très présent sur le web quand l’Europe s’éveillera le lundi matin), intervention d’une personnalité majeure, reprise par la presse
  • Culture : le public touché n’est pas national mais international, il se rattache à une frange activiste internationale sensible à la notion de coup d’État (selon Maccarrone, le hashtag faisait aussi référence à#NotACoup, utilisé en Égypte).

Michel Le Séac'h

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