David M. Axelrod est très occupé.
Non seulement il pilote la campagne du leader travailliste Ed Miliband pour les
élections générales du 7 mai au Royaume-Uni, mais il assure aussi la promotion
de son livre de souvenirs
Believer: My Forty Years In Politics, un pavé
de plus de 500 pages qui cartonne dans les librairies américaines. Et dont les
passages les plus remarqués concernent bien sûr l'élection de
Barack Obama en 2008.
Le
spin doctor de Chicago s’entend à faire valoir ses
clients ; à l’occasion, il sait aussi se mettre en avant personnellement. Voici ce qu’il
écrit :
« ‘Yes we can.’ C’était le slogan que j’avais conçu
pour la première annonce télévisée de la première campagne hasardeuse menée
ensemble, juste huit ans plus tôt [en 2004],
alors qu’Obama était un
parlementaire local largement inconnu et sans beaucoup de moyens financiers, qui allait remporter un
siège au Sénat des États-Unis. Et c’est devenu notre mantra
quand, en 2007,
il a rassemblé des millions d’Américains en faveur du changement. »
Le conseiller politique prend des libertés avec la vérité.
Il est vrai que
la
première annonce télévisée d’Obama en 2004 s’achevait comme suit :
« Ainsi,
ils disent qu’on ne peut pas faire évoluer Washington ? Je suis Barack
Obama, je suis candidat au Sénat des États-Unis et j’approuve ce message en
disant, ‘Yes we can!’ » Mais qualifier ces trois mots de
« slogan » (
tagline) est excessif :
ils ne figuraient pas dans
les autres annonces de la campagne.
Mais c’est un détail : le « yes we can » de
la campagne présidentielle est autrement important. À propos de ce
mantra de
2007, David Axelrod mélange habilement « changement » et « yes
we can ». En réalité, « yes we can » n’est pas apparu dans la
campagne en 2007 mais très exactement le 8 janvier 2008, lors d’un discours
prononcé au soir de la défaite d’Obama dans la primaire du New Hampshire*.
Barack Obama avait commencé sa campagne électorale en 2007
sur le thème « Change We Can Believe In » ‑un thème typiquement
axelrodien par l’emploi du « we » plutôt que du « you » et
du mot « believe » (Axelrod s’est toujours présenté comme un
idéaliste – cf. le titre de son livre).
La première annonce
télévisée de la campagne d’Obama avait pour thème « We believe »
et pas du tout « yes we can » ‑ or « croire » et
« pouvoir » relèvent de sémantiques radicalement différentes.
Le « Yes we can » du 8 janvier 2008 ne paraît pas
du tout prémédité. Peut-être Obama, ébranlé par sa défaite électorale imprévue,
s’est-il inconsciemment rattaché à un thème qui avait contribué à sa victoire en
2004. En tout cas, la foule de ses supporters, en quête de remobilisation, s’en
est immédiatement emparée, poussant Obama, en fin politicien, à le répéter
plusieurs fois.
Et c’est là que David Axelrod a montré son génie.
Immédiatement, il a fait de « yes we can » le thème majeur de la
campagne, au point même de scotomiser la thématique précédente. La vidéo du
discours du 8 janvier 2008 qu’il fait mettre en ligne est réalisée en plan
serré sur le candidat. On entend ses paroles, on ne voit pas le décor, et c’est
probablement délibéré. Mais
il existe d’autres vidéos des discours de l'époque, avec un cadrage plus large. On y voit clairement le slogan affiché à cette
date sur le lutrin d’Obama : « Change we can believe in ». Il
est repris sur les pancartes brandies par de nombreux partisans.
Pourquoi David Axelrod biaise-t-il son récit ? On peut
imaginer qu’il préfère se portraiturer en stratège plutôt qu’en opportuniste.
Mais si le
storytelling politique prend des libertés avec ce genre de
détail, jusqu’où ira-t-il sur des sujets plus sérieux ?
En communicant de talent, David Axelrod soigne son récit. On
a noté qu’il évoquait l’épisode de 2004 de manière rétrospective, afin de
rattacher l’un à l’autre deux « yes we can » qui n’avaient pas grand
chose à voir. Mais surtout, il a pris soin d’introduire dans son livre une petite anecdote
complémentaire, histoire de se pousser du col habilement. Axelrod présente le projet de publicité télévisée de 2004 à Barack
Obama. « Yes we can ? demande le candidat. N’est-ce pas un peu
bateau ? » Michelle Obama assiste à la conversation. « Non,
dit-elle, je trouve que c’est très bien. » Ainsi, le conseiller évite de
trop se vanter et se fait appuyer virtuellement par Michelle Obama. Cette mise
en valeur d’une remarque complètement banale est efficace : bon nombre de
commentateurs de Believer: My Forty Years In Politics se sont focalisés sur cette anecdote.
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* Voir
La Petite phrase, p. 121.