27 avril 2015

« Quand on écoute France Inter, on n’écoute pas RTL »

Cette comparaison entre les radios de service public et les autres est de Fleur Pellerin. La ministre de la Culture et de la Communication était interrogée par France Inter le 7 avril. Apparemment, elle a aussitôt compris qu’elle avait gaffé. « Malgré tout le respect que j’ai pour RTL ou pour Europe 1, il y a une mission spécifique de décryptage de l’information, d’accès à la culture », s’est-elle empressée d’ajouter. Trop tard ! Souvent, tenter de rattraper le coup ne fait que l’accentuer…

La petite phrase n’a sans doute pas eu un retentissement énorme dans l’opinion publique, mais elle a marqué les médias. Plusieurs journalistes en vue l’ont commentée. Il est probable que les professionnels de l’information ne l’oublieront pas de sitôt. Et que son sens implicite, pour eux, doit être quelque chose du genre : « Quand on écoute Fleur Pellerin, on écoute un politicien comme un autre ».

Cette petite phrase serait donc limitée dans son public (les journalistes de l'audiovisuel hors service public) et dans sa portée (son message ne porte que sur son auteur elle-même) ; comme le « bravitude » de Ségolène Royal*, elle pourrait cependant avoir rompu le charme médiatique dont bénéficiait Fleur Pellerin.
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* Voir La Petite phrase, p. 85.

Photo de Fleur Pellerin : Lionel Allorge, Wikimedia Commons, CC-BY-SA-3.0

24 avril 2015

Le « je » de Ségolène Royal n’est pas celui de Charlie


Ségolène Royal ne cultive pas la modestie : en atteste un curieux florilège de citations établi sur
France TV info par Bastien Hugues voici quelques jours. Dernier témoignage en date, un entretien avec Sud Ouest, le 6 avril, dans lequel la ministre de l’Écologie déclarait : « Même si je voulais partir du gouvernement, on me demanderait de rester ». Les précédents ne manquaient pas, relève Bastien Hugues : « Vous trouverez rarement un leader politique qui se soit comporté avec autant de sens moral que moi », « Oui, j’ai inspiré Obama », « Non, je ne suis pas modeste »

Ces formules ne sont pas passées inaperçues en leur temps. Pourtant, il serait difficile de les qualifier de petites phrases. Elles n’ont pas « imprimé ». Elles n’ont guère été reprises, citées sur le web, détournées, etc. En fait, les petites phrases très rarement construites sur le pronom « je ». Sauf exception : « Je suis Charlie » s’est imposé littéralement en quelques minutes. Mais Charlie n’est pas un personnage réel et la sémantique de cette petite phrase est à l’opposé de celle de la première personne du singulier. « Je suis Charlie » exprime une adhésion à un sentiment collectif, non pas le « je est un autre » de Rimbaud, mais je est tous les autres réunis dans un même sentiment d’indignation*.
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* Voir La Petite phrase, p. 228.

Photo de Ségolène Royal : Jackolan1, Wikimedia Commons, CC-BY-SA-3.0

16 avril 2015

Paul Krugman dévalue les petites phrases

« Préparez-vous à une campagne de petites phrases et de violence sans signification » (Get ready for a campaign of soundbites and fury signifying nothing) assure Paul Krugman dans son dernier article de blog sur PennLive. C’est même le titre du billet. Il annonce que la campagne présidentielle américaine de 2016 ne nous apprendra rien : « les deux partis sont tout à fait unifiés autour de leurs grands thèmes politiques – et ces positions unifiées sont très éloignées l’une de l’autre ».

Le prix Nobel d’économie 2008 ne craint-il pas de galvauder sa réputation par des considérations de Café du Commerce ? Car il passera de l’eau sous les ponts d’ici l’automne 2016. Mais dès aujourd’hui, évoquer des « petites phrases sans signification » apparaît comme un contresens. Une petite phrase signifie toujours quelque chose, si ce n’est pour celui qui la prononce, au moins pour celui qui la retient !

Photo : Paul Krugman au Commonwealth Club en 2012, photo Ed Ritger, CC Attribution 2 sur Flickr

09 avril 2015

« Yes we can! » : David Axelrod tire la couverture à lui

David M. Axelrod est très occupé. Non seulement il pilote la campagne du leader travailliste Ed Miliband pour les élections générales du 7 mai au Royaume-Uni, mais il assure aussi la promotion de son livre de souvenirs Believer: My Forty Years In Politics, un pavé de plus de 500 pages qui cartonne dans les librairies américaines. Et dont les passages les plus remarqués concernent bien sûr l'élection de Barack Obama en 2008.

Le spin doctor de Chicago s’entend à faire valoir ses clients ; à l’occasion, il sait aussi se mettre en avant personnellement. Voici ce qu’il écrit :

« ‘Yes we can.’ C’était le slogan que j’avais conçu pour la première annonce télévisée de la première campagne hasardeuse menée ensemble, juste huit ans plus tôt [en 2004], alors qu’Obama était un parlementaire local largement inconnu et sans beaucoup de moyens financiers, qui allait remporter un siège au Sénat des États-Unis. Et c’est devenu notre mantra quand, en 2007, il a rassemblé des millions d’Américains en faveur du changement. »

Le conseiller politique prend des libertés avec la vérité. Il est vrai que la première annonce télévisée d’Obama en 2004 s’achevait comme suit : « Ainsi, ils disent qu’on ne peut pas faire évoluer Washington ? Je suis Barack Obama, je suis candidat au Sénat des États-Unis et j’approuve ce message en disant, ‘Yes we can!’ » Mais qualifier ces trois mots de « slogan » (tagline) est excessif : ils ne figuraient pas dans les autres annonces de la campagne.

Mais c’est un détail : le « yes we can » de la campagne présidentielle est autrement important. À propos de ce mantra de 2007, David Axelrod mélange habilement « changement » et « yes we can ». En réalité, « yes we can » n’est pas apparu dans la campagne en 2007 mais très exactement le 8 janvier 2008, lors d’un discours prononcé au soir de la défaite d’Obama dans la primaire du New Hampshire*.

Barack Obama avait commencé sa campagne électorale en 2007 sur le thème « Change We Can Believe In » ‑un thème typiquement axelrodien par l’emploi du « we » plutôt que du « you » et du mot « believe » (Axelrod s’est toujours présenté comme un idéaliste – cf. le titre de son livre). La première annonce télévisée de la campagne d’Obama avait pour thème « We believe » et pas du tout « yes we can » ‑ or « croire » et « pouvoir » relèvent de sémantiques radicalement différentes.

Le « Yes we can » du 8 janvier 2008 ne paraît pas du tout prémédité. Peut-être Obama, ébranlé par sa défaite électorale imprévue, s’est-il inconsciemment rattaché à un thème qui avait contribué à sa victoire en 2004. En tout cas, la foule de ses supporters, en quête de remobilisation, s’en est immédiatement emparée, poussant Obama, en fin politicien, à le répéter plusieurs fois.

Et c’est là que David Axelrod a montré son génie. Immédiatement, il a fait de « yes we can » le thème majeur de la campagne, au point même de scotomiser la thématique précédente. La vidéo du discours du 8 janvier 2008 qu’il fait mettre en ligne est réalisée en plan serré sur le candidat. On entend ses paroles, on ne voit pas le décor, et c’est probablement délibéré. Mais il existe d’autres vidéos des discours de l'époque, avec un cadrage plus large. On y voit clairement le slogan affiché à cette date sur le lutrin d’Obama : « Change we can believe in ». Il est repris sur les pancartes brandies par de nombreux partisans.


Pourquoi David Axelrod biaise-t-il son récit ? On peut imaginer qu’il préfère se portraiturer en stratège plutôt qu’en opportuniste. Mais si le storytelling politique prend des libertés avec ce genre de détail, jusqu’où ira-t-il sur des sujets plus sérieux ?

En communicant de talent, David Axelrod soigne son récit. On a noté qu’il évoquait l’épisode de 2004 de manière rétrospective, afin de rattacher l’un à l’autre deux « yes we can » qui n’avaient pas grand chose à voir. Mais surtout, il a pris soin d’introduire dans son livre une petite anecdote complémentaire, histoire de se pousser du col habilement. Axelrod présente le projet de publicité télévisée de 2004 à Barack Obama. «  Yes we can ? demande le candidat. N’est-ce pas un peu bateau ? » Michelle Obama assiste à la conversation. « Non, dit-elle, je trouve que c’est très bien. » Ainsi, le conseiller évite de trop se vanter et se fait appuyer virtuellement par Michelle Obama. Cette mise en valeur d’une remarque complètement banale est efficace : bon nombre de commentateurs de Believer: My Forty Years In Politics se sont focalisés sur cette anecdote.
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* Voir La Petite phrase, p. 121.

01 mars 2015

« Toute la vie »

La dernière chanson des Enfoirés pour les Restos du cœur suscite une intense controverse sur le web. Les jeunes se sentent manifestement offensés. Certains commentaires sont très virulents : les vieux ont déclaré la guerre aux jeunes. Que dit-elle de si terrible, cette chanson de Jean-Jacques Goldman intitulée « Toute la vie » ?

Jeunes et vieux forment deux chœurs qui se font face.

‑ Vous aviez tout, paix, liberté plein emploi, nous c’est chômage, violence et sida, commence le chœur des jeunes.
‑ Mais vous avez toute la vie, c’est une chance inouïe
, répond celui des vieux.
‑ Toute la vie... c’est des mots, ça ne veut rien dire.
‑ Tout ce qu’on a il a fallu le gagner. À vous de jouer. Mais il faudrait vous bouger.


Toute la vie, toute la vie… répète le refrain. Comment ces trois mots anodins peuvent-ils provoquer de tels antagonismes ? Très probablement, le récit qu’ils contiennent n’est pas identique pour les vieux et les jeunes. Pour les uns, « toute la vie » désigne tous les bons moments qu’on avait devant soi du temps qu’on était jeune. Pour les autres, « toute la vie », de nos jours, désigne plutôt un avenir lourd de menaces environnementales, économiques, sociétales…

« Toute la vie » est devenu une petite phrase qui renvoie à deux univers opposés. Ou plus exactement, deux petites phrases relevant de deux cultures différentes. Qui se font face comme les deux chœurs de la vidéo.

Photo Jean-Jacques Goldman : Sandrine Joly - Goldman0001, Wikipédia, CC BY-SA 2.0

26 février 2015

« Toutes les violences antisémites sont commises par des jeunes musulmans »

Roger Cukierman savait-il où il allait en déclarant à Europe 1, le 23 février, que « toutes les violences [sous-entendu : antisémites], aujourd’hui, il faut dire les choses comme elles sont, sont commises par des jeunes musulmans » ?

Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a une certaine expérience de la petite phrase qui fait scandale. En 2002 déjà, il avait dit à un quotidien israélien que le score électoral de Jean-Marie Le Pen était « un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles »(Libération du 23 avril 2002). Un peu plus tard, une autre petite phrase visant l’extrême-gauche antisioniste lui avait valu un procès pour injures ; il avait été relaxé.

Roger Cukierman s’exprimait le jour-même du dîner du CRIF, événement très médiatique qui réunit chaque année l’élite du monde politique, à commencer par le président de la République. Il ne pouvait ignorer que ses propos seraient largement répercutés. Sa formule énonciative sur un thème très prégnant dans l’opinion avait tous les atouts pour devenir une petite phrase. Et ça n’a pas manqué.

M. Cukierman a aussitôt glissé une formule d’apaisement : « Bien sûr, c’est une toute petite minorité de la communauté musulmane et les musulmans en sont les premières victimes ». Mais une petite phrase visant à en corriger une autre passe presque toujours inaperçue, et ça n’a pas manqué non plus. En fait, cette seconde phrase n’a été remarquée que par des commentateurs encore plus durs à l’égard de l’islam ; un collaborateur d’AgoraVox y a ainsi vu « une phrase autrement plus choquante mais qui n'a choqué personne, et qui démontre pourtant que le CRIF est totalement soumis à l'islam ».

Photo : Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons - cc-by-sa-3.0

12 février 2015

Petites phrases et faux souvenirs

Brian Williams, présentateur vedette de la chaîne de télévision américaine NBC, n’ose plus se montrer. La semaine dernière, un reportage le mettant en scène assurait qu’il se trouvait dans un hélicoptère touché par un tir ennemi lors de l’invasion de l’Irak en 2003. C’était faux : il se trouvait… dans l’hélicoptère suivant. La presse américaine ne badine pas avec le bidonnage : Brian Williams s’est mis en congé d’antenne.

Sa consoeur Tara Parker-Pope est venue à son secours dans son blog du New York Times. Après avoir consulté des chercheurs en sciences cognitives – Elizabeth Loftus, Christopher Chabris, Steven J. Frenda –, elle avance une hypothèse : Brian Williams aurait été victime d’un « faux souvenir ».

« Les souvenirs ne persistent pas comme des événements uniques et complets dans un endroit précis du cerveau », explique-t-elle. « Ce sont en réalité des fragments d’information enregistrés dans différentes parties de notre esprit. Au fil du temps, quand nous recherchons nos souvenirs, ou quand nous voyons des émissions d’actualité à propos de l’événement ou que nous en parlons avec quelqu’un d’autre, le récit peut évoluer car l’esprit réagence ces morceux d’information et les stocke par erreur comme des souvenirs. Ce processus aboutit au fond à créer une nouvelle version de l’événement qui, pour celui que le raconte, donne l’impression d’être la vérité. »

Les petites phrases ne fonctionnent-elles pas comme ces « fragments d’information » ? Stockées dans un coin de notre cerveau, elles orientent notre compréhension des événements, quitte à déformer un peu ce que nous en retenons*. Et leur caractère culturel favorise la naissance de souvenirs collectifs, pas tout à fait exacts peut-être mais indispensables à une identité nationale.
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* Voir La Petite phrase, p.173.
Photo de Brian Williams : David Shankbone, Wikipedia, CC BY 3.0

11 février 2015

« Qu’est devenu le récit national ? »

Jean-Pierre Chevènement au Figaro (15 janvier 2015) : « Comment peut-on intégrer les jeunes gens nés de l’immigration à un pays qui se débine en permanence et qui n’enseigne plus sa propre histoire ? Est-ce que les jeunes Français ont une vision positive de leur pays ? Qu’est devenu le récit national ? Comment a-t-on pu tolérer que celui forgé au XIXe siècle par Michelet se soit complètement effacé ? »

Une partie de ce « récit national » passe par des petites phrases du genre « Souviens-toi du vase de Soissons », « l’État c’est moi » ou « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Elles résument des messages complexes qui dessinent une sorte de paysage du politiquement correct. Nulle société n’est dépourvue de petites phrases. Reste à savoir quelles sont celles qui dessinent le récit national de notre temps. « Casse-toi pauv’ con » ? « Moi président » ? « Je suis Charlie » ? Un constat s’impose : si les petites phrases d’autrefois s’imposaient via une répétition sur les bancs d’école, celles d’aujourd’hui empruntent davantage la voie de la télévision et des médias sociaux.
 
 Photo : Guillaume Paumier, Wikimedia Commons, CC-BY-SA-2.5

04 octobre 2014

La petite phrase, antichambre de la dictature ?

Les acteurs de l’internet britanniques (fournisseurs d’accès, réseaux sociaux, etc.) pourraient être bientôt obligés d’enregistrer toutes les données concernant les utilisations de leurs clients afin de les tenir à la disposition de la police pendant un an. C’est du moins le projet annoncé voici quelques jours par Theresa May, secrétaire d’État à l’Intérieur du Royaume-Uni, devant une conférence du parti conservateur. L’objectif est de lutter contre les « extrémistes ».

Le projet a fait réagir la National Union of Journalists, syndicat des journalistes britanniques, qui a condamné le projet dans un communiqué plutôt virulent. « Tout secrétaire d’État à l’Interieur se doit sans doute de faire des déclarations intransigeantes devant les membres du parti conservateurs », y déclare la NUJ*. « Mais transformer des petites phrases intransigeantes en lois répressives ne serait pas bon pour une presse libre ni pour la démocratie. »
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* « Talking tough to Conservative Party members might be perceived as the job of all Home Secretaries. But turning tough sound-bites into repressive laws will not be good for a free press and will not be good for democracy. »

« Droit dans mes bottes »

Alain Juppé tient la corde dans les sondages pour 2017. On rappelle sa petite phrase prononcée au journal de TF1 le 6 juillet 1995 : « Je reste droit dans mes bottes et je ferai mon travail ».

Elle contenait deux idées. La seconde était trop banale et exprimée au futur, ce qui n’est jamais porteur pour une petite phrase*.  Le public n’a donc retenu que « je reste droit dans mes bottes ».En le réduisant souvent à « droit dans mes bottes », plus concis.

La formule n’était probablement pas spontanée. Alain Juppé était alors Premier ministre. On lui reprochait d’avoir bénéficié d’un appartement à Paris à un tarif très, très réduit. Il a voulu s’en défendre avec une formule alors plus ou moins synonyme de « la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ». Hélas, la phrase était inconnue de l’immense majorité du public. On la lui a attribuée, et les bottes et la droiture n’ont fait qu’alimenter l’image d’un homme raide et dogmatique. « Droit dans mes bottes » est devenu synonyme d’autoritarisme.

Mais les temps changent : la formule pourrait retrouver un sens positif pour des électeurs las d’un Sarkozy trop agité et d’un Hollande trop mou. Rien n’est gagné pour autant. Dans Les Brigands, Offenbach célèbre les bottes, les bottes, les bottes… des ca-ra-bi-niers. Mais ces derniers avouent : « nous arrivons toujours trop tard ».
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* Cf. La Petite phrase, p. 226.

Photo R. D. Ward, US DOD (Wikimedia)