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15 avril 2018

Emmanuel Macron pratique le tweet et en même temps refuse la petite phrase

Emmanuel Macron n’a décidément pas trouvé le bon filon pour les petites phrases. Son intervention devant la Conférence des évêques de France, lundi dernier, en donne une nouvelle illustration.

Une petite phrase suppose un alignement des planètes : (1) une formule concise prononcée ou écrite par un personnage en vue, (2) relayée par la presse et les réseaux sociaux, (3) qu’un public plus ou moins large mémorise plus ou moins durablement. Comment l’homme politique désigne-t-il aux médias le passage d’un discours dont il voudrait faire une petite phrase ?

D’abord, il confère à une formule un caractère de « détachabilité », grâce aux moyens détaillés par le professeur Dominique Maingueneau dans La Phrase sans texte[1]. Il peut la répéter, au fil de plusieurs discours (« Delenda est Carthago ») ou d’un seul (« I have a dream »). Il peut la désigner explicitement à un journaliste ami ou complice. Aujourd’hui, il dispose aussi d’un outil technologique : le tweet, ou plus exactement le livetweet. En tweetant une phrase aussitôt qu’on l’a prononcée, on la désigne clairement à l’attention des médias et du public.

Qu’a dit le président de la République le 9 avril ? Voici le début de son homélie :

Je vous remercie vivement, Monseigneur, et je remercie la Conférence des Evêques de France de cette invitation à m’exprimer ici ce soir, en ce lieu si particulier et si beau du Collège des Bernardins, dont je veux aussi remercier les responsables et les équipes.

Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer.

« Sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer » : cette formule alambiquée de plus de trente mots avait peu de chances de devenir une petite phrase. Mais en même temps (comprenez « simultanément »), les services du président de la République diffusaient ce tweet plus concis : « le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer »


Une partie de la presse a explicitement vu dans cette formule une « petite phrase », à l’instar du JDD ou du Parisien. Comme il était prévisible, une polémique est aussitôt née sur le « lien entre l’Église et l’État » dans un pays où la séparation de l’Église et de l’État remonte à plus d’un siècle. L’entourage du président de la République s’en est offusqué. « Les réactions sont quasi pavloviennes », estime Benjamin Griveaux, « Une partie de la classe politique française condamne un discours de plus d’une heure en 140 signes dans un tweet. » N’est-il pas étrange que le porte-parole du gouvernement manifeste une telle incompréhension de la communication présidentielle ?

Si Emmanuel Macron a cru devoir transformer en tweet une phrase de son discours, c’est évidemment qu’il lui attachait une importance particulière. Il ne peut reprocher aux commentateurs d'en faire autant. Pratiquer le tweet et refuser la petite phrase, c’est vouloir une chose et son contraire en même temps.



Michel Le Séac’h


[1] Dominique Maingueneau, La Phrase sans texte, Paris, Armand Colin, 2012.

30 janvier 2016

« Résister c’est partir », la demi-petite phrase de Christiane Taubira

En oratrice de talent, Christiane Taubira a émaillé de plusieurs formules bien frappées la conférence de presse organisée au ministère de la Justice dans la foulée de sa démission du gouvernement mercredi dernier : « Je choisis d’être fidèle à moi-même, à mes engagements, à mes combats, à mon rapport aux autres », « je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur », « nous ne devons concéder [au terrorisme] aucune victoire » et même « nous ne livrerons pas le monde aux assassins d'aube », citation approximative d’Aimé Césaire. Pourtant, à quelques exceptions près comme Le Monde, Sud-Ouest ou Europe1, les médias y ont rarement puisé leurs titres.

En revanche, beaucoup se sont focalisés, l’instar de L’Humanité, du Dauphiné ou du quotidien francophone algérien El Watan, sur un tweet posté par l’ex-Garde des Sceaux : « Parfois, résister c’est partir ». Et le web a fait un triomphe à cette formule. Pourquoi ? Probablement parce que les déclarations de Christiane Taubira au ministère de la Justice rendaient compte d’un débat intellectuel à la première personne alors que son tweet se donne des allures de règle heuristique : il prescrit une attitude valable pour tous.

La formule retenue par la presse et le web n'est cependant qu’un extrait du tweet d'origine. Son contenu complet était : « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. » La première de ces trois phrases avait de bons atouts pour devenir une petite phrase reprise par les médias et mémorisée par l’opinion : énonciatrice, elle reposait sur le redoublement[1] d’un verbe d’action fort renvoyant à une composante majeure de la culture historique contemporaine, la Résistance (« Résister c’est partir », écrit Léon Blum dans ses Mémoires à propos de la situation de juin 1940).

En revanche, elle avait un handicap presque rédhibitoire : elle évoquait deux attitudes contradictoires : rester et partir. Une petite phrase ne s’inscrit dans les esprits que si elle apporte une réponse et une seule, elle ne doit jamais susciter la perplexité. Les médias, et les internautes plus encore, ont donc spontanément raccourci la déclaration de Christiane Taubira en ne gardant que la partie conforme à sa prescription implicite.

Cette petite phrase sera-t-elle pérenne pour autant ? Le Premier ministre a fait de son mieux pour l’éviter. J’y reviendrai.

Michel Le Séac'h