Emmanuel Macron n’a décidément
pas trouvé le bon filon pour les petites phrases. Son intervention devant
la Conférence des évêques de France, lundi dernier, en donne une nouvelle
illustration.
Une petite phrase suppose un alignement des planètes :
(1) une formule concise prononcée ou écrite par un personnage en vue, (2)
relayée par la presse et les réseaux sociaux, (3) qu’un public plus ou moins
large mémorise plus ou moins durablement. Comment l’homme politique
désigne-t-il aux médias le passage d’un discours dont il voudrait faire une
petite phrase ?
D’abord, il confère à une formule un caractère de
« détachabilité », grâce aux moyens détaillés par le professeur
Dominique Maingueneau dans La Phrase sans texte[1].
Il peut la répéter, au fil de plusieurs discours (« Delenda est
Carthago ») ou d’un seul (« I have a dream »). Il
peut la désigner explicitement à un journaliste ami ou complice. Aujourd’hui, il
dispose aussi d’un outil technologique : le tweet, ou plus exactement le
livetweet. En tweetant une phrase aussitôt qu’on l’a prononcée, on la désigne
clairement à l’attention des médias et du public.
Qu’a dit le président de la République le 9 avril ? Voici le début de
son homélie :
Je vous remercie vivement,
Monseigneur, et je remercie la Conférence des Evêques de France de cette
invitation à m’exprimer ici ce soir, en ce lieu si particulier et si beau du
Collège des Bernardins, dont je veux aussi remercier les responsables et les
équipes.
Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et
moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est
sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre
l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le
réparer.
« Sans doute que nous partageons confusément le
sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous
importe à vous comme à moi de le réparer » : cette formule
alambiquée de plus de trente mots avait peu de chances de devenir une petite
phrase. Mais en même temps (comprenez « simultanément »), les
services du président de la République diffusaient ce tweet plus concis : « le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer »
Une partie de la presse a explicitement vu dans cette
formule une « petite phrase », à l’instar du JDD
ou du Parisien.
Comme il était prévisible, une polémique est aussitôt née sur le
« lien entre l’Église et l’État » dans un pays où la séparation de
l’Église et de l’État remonte à plus d’un siècle. L’entourage du président de
la République s’en est offusqué. « Les réactions sont quasi
pavloviennes », estime Benjamin Griveaux, « Une partie de la classe
politique française condamne un discours de plus d’une heure en 140 signes dans
un tweet. » N’est-il pas étrange que le porte-parole du gouvernement
manifeste une telle incompréhension de la communication présidentielle ?
Si Emmanuel Macron a cru devoir transformer en tweet une
phrase de son discours, c’est évidemment qu’il lui attachait une importance
particulière. Il ne peut reprocher aux commentateurs d'en faire autant. Pratiquer le tweet et refuser la petite phrase, c’est vouloir une
chose et son contraire en même temps.
Michel Le Séac’h
[1] Dominique
Maingueneau, La Phrase sans texte, Paris, Armand Colin, 2012.
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