« Les Français détestent les réformes » :
à peine prononcée devant la communauté française de Bucarest, la formule
d’Emmanuel Macron était qualifiée de « petite phrase », par
exemple par Laurent Neumann sur BFM TV. Ce n’est pas usurpé : il
s’agit bien d’une « formule
concise qui sous des dehors anodins vise à marquer les esprits ».
Quelques-uns retiennent plutôt la phrase immédiatement
précédente dans le discours du chef de l’État : « la France n’est
pas un pays réformable », encore plus radicale mais plus impersonnelle
et à la syntaxe négative, ce qui n’est pas favorable[1].
Emmanuel Macron, lui, aurait probablement préféré que la presse
sélectionne : « la France n'est elle-même que quand elle mène des
combats qui sont plus grands qu'elle ». Mais cette formule était
sûrement trop longue, trop obscure et peut-être pas assez en phase avec
l’opinion publique, ou du moins avec celle des journalistes.
Quant à la phrase qui « résume » ses aspirations
pour la France, scandée d’un coup de poing sur le lutrin, on voit au premier
coup d’œil qu’elle n’avait aucune chance d’être considérée comme
« petite » : « Se transformer en profondeur pour
retrouver le destin qui est le sien, retrouver la capacité à emmener l'Europe
vers de nouveaux projets, être à la hauteur du combat qui aujourd'hui est le
nôtre dans un monde en train d'éclater, où les régimes autoritaires émergent,
où ce qui a été pendant des décennies le camp de l'Occident est en train de se
fracturer, où le doute s'est installé, ça c'est un combat, ça c'est un combat
qui fait rêver les Français. »
Emmanuel Macron a montré qu’il pouvait mieux faire
Du temps où il était ministre de l’Économie, en janvier
2016, Emmanuel
Macron affirmait son refus des petites phrases. Il voulait les remplacer
par l’explication. « Les petites phrases, c’est parfois l’univers dans
lequel nous vivons les uns et les autres », notait-il pourtant.
Espérait-il changer d’univers si aisément ? Il n’avait sans doute pas
compris que la presse et le public continueraient de puiser dans ses propos des
raccourcis qu’il n’avait pas voulu y mettre. Il a pu le constater au cours de sa
campagne électorale : à
défaut de petites phrases de culture, il a eu des petites phrases sauvages,
comme la colonisation « crime contre l’humanité » ou
l’humiliation de la France adversaire du mariage pour tous.
Depuis le « libéralisme valeur de gauche » jusqu'aux kwassa-kwassas qui « pêchent peu et amènent du Comorien »
en passant par « le
traité de Versailles de la zone euro », les « fausses
idées » des 35 heures ou la
« vie
d’un chef d’entreprise bien souvent plus dure que celle d’un salarié »,
la liste des petites phrases à risque d’Emmanuel Macron
est déjà longue pour un dirigeant aussi jeune.
Insuffisance professionnelle de ses communicants ? Le
président de la République aura en tout cas intérêt à veiller à cet aspect de
sa communication. Tous les espoirs lui sont permis : il a déjà montré avec
« make
our planet great again » qu’il savait exploiter les petites
phrases… quand elles étaient de quelqu’un d’autre !
[1] Voir Michel Le
Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015, p. 223-224.
Illustration : extrait d’un écran de Francetvinfo