Est-ce l’effet du hasard, tel qu'illustré par Woody Allen dans Match Point : la balle de tennis heurte le filet et retombe du bon côté – ou pas ? Blessé dans ses sentiments altruistes, le public se serait-il focalisé sur le second degré de la déclaration (les immigrés) de préférence au premier (la Commission) ? Cette hypothèse n’est guère plausible. Très peu de gens ont entendu la déclaration en direct et aucun d’eux ne semble en avoir été choqué. En revanche, l’émotion des citoyens se manifeste largement sur le web par partage d’articles de presse.
En réalité, le hasard n’y est pour rien. Cette « fuite d’eau » a son origine dans une dépêche AFP diffusée le 18 juin en fin de journée. Elle annonçait : « Nicolas Sarkozy, président du parti Les Républicains, a comparé jeudi l'afflux de migrants en Europe à une grosse fuite d'eau ». Dans les heures suivantes, cet angle était repris en titre par Le Point, Ouest France, Libération, L’Express, Le Parisien, Le Figaro et d’autres. Par la suite, beaucoup ont pensé que la « fuite d’eau » était une citation littérale du discours.
Pourquoi avoir choisi cet angle ? L’hypothèse de la malveillance n’est pas à exclure. Car l’information n’était pas nouvelle. Cinq jours plus tôt, devant les nouveaux adhérents de son parti, Nicolas Sarkozy avait tenu des propos quasiment identiques, comme le signale Libération et comme le montre (à partir de 19:20) une vidéo déposée sur YouTube par Les Républicains (copie d'écran ci-contre) :
« C'est un peu comme la maison où il y a une canalisation qui se déverse dans la maison, elle se déverse dans la cuisine, et le type qui a réfléchi, il dit, attention, on va répartir la fuite, on va mettre une partie de la canalisation qui est dans la cuisine, on va la mettre aussi dans la salle à manger, puis dans le salon », etc.La différence la plus notable entre cette déclaration du 13 juin et celle du 18 juin est que le mot « fuite » figurait dans la première et pas dans la seconde. Or c’est lui qui a fait les titres au lendemain du 18 juin ! Il était en revanche passé inaperçu après le 13 juin. Il faut dire que Nicolas Sarkozy avait ménagé ses arrières en déclarant : « il s’agit d’êtres humains et nous sommes tous bouleversés, et c’est normal » ‑ une précaution rhétorique qu’il n’a pas prise le 18. Ses adversaires, qui avaient manqué la première occasion, n’ont pas laissé passer leur seconde chance.
Michel Le Séac'h
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