30 juin 2015

Charles Pasqua, prisonnier de ses petites phrases

Charles Pasqua disparu, saura-t-on jamais s’il a vraiment dit « les promesses n’engagent que ceux qui y croient »* ? Il ne l’a jamais démenti. Ni confirmé. Certains y voient en réalité une formule du radical Henri Queuille du temps de la IVe République.

Mais on retiendra de lui une formule mieux attestée : « Terroriser les terroristes ». Elle date de
l’automne 1986. Charles Pasqua était ministre de l’Intérieur depuis peu et une série d’attentats venait de faire une dizaine de morts à Paris. Il avait découvert que la police n’avait ni les hommes, ni les renseignements nécessaires pour lutter contre les terroristes.

« À partir du moment où on n’a aucun moyen, il en reste un : il faut utiliser le verbe », a-t-il lui-même expliqué début 2015 dans un entretien avec La Chaîne parlementaire. Il n’est pas dit que les terroristes aient été réellement épouvantés. Mais la petite phrase a marqué. Elle avait tous les atouts pour cela :
  • le contenu : le doublement de la racine « terror », sonore et évocatrice,
  • le contexte : l’opinion était à cran, toute déclaration du ministre de l’Intérieur était largement répétée par les médias,
  • la culture ambiante : l’image publique de Charles Pasqua concordait avec la formule (qui aurait pu sembler grotesque dans la bouche d’un personnage considéré comme moins déterminé ou plus pondéré ; qu’on l’imagine prononcée aujourd’hui par Bernard Cazeneuve).
Dans le même ordre d’idées, une autre formule de Charles Pasqua a marqué : « la démocratie s’arrête là où commence l’intérêt de l’État ». Elle a contribué à lui donner une image d’homme à poigne peu respectueux de la légalité. Charles Pasqua jouait de cette image, assortissant souvent ses déclarations d’un sourire lourd de sous-entendus. Il l'a mise au service de ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Mais il en a été la victime aussi : il s’est trouvé cantonné dans un personnage pas vraiment conforme à ses idées.

Charles Pasqua a fait l'apprentissage de l'illégalité en entrant dans la Résistance, puis en co-fondant le Service d’action civique (SAC) pour affronter par les armes l’OAS et les partisans de l’Algérie française. Il s’est souvent prononcé contre le racisme et l’antisémitisme (Patrick Gaubert, longtemps président de la LICRA, a été membre de son cabinet) et en faveur du droit du sol. Mais ses déclarations humanistes, peu reprises par la presse, n’ont jamais pu passer la barre de la cohérence cognitive : elles ne « cadraient » pas avec son image. Au contraire, quand il a évoqué des « valeurs communes » avec le Front national, l’opinion était disposée à croire ce qui n’était vraisemblablement qu’une manœuvre électoraliste. À force d’« utiliser le verbe », Charles Pasqua en est devenu le jouet.

Michel Le Séac'h
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Photo de Charles Pasqua en 1987 : Bundesarchiv, B 145 Bild-F076526-0027 / Engelbert Reineke / CC-BY-SA

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