22 mars 2023

« La foule n’a pas de légitimité » : après un débat pauvre en petites phrases, Emmanuel Macron reprend la parole par accident

Le débat parlementaire sur la réforme des retraites a été pauvre en petites phrases. Ce n’est pas une opinion, c’est un constat. Aucune formule n’a été qualifiée de « petite phrase » par un nombre significatif de médias.

Sans doute, Gala a bien titré, début mars, « Olivier Véran ridiculisé : cette petite phrase qui fait rire jaune », avec confirmation par BFMTV, qui a aussi évoqué une petite phrase du ministre du travail, tandis que Francetvinfo distinguait chez Élisabeth Borne « une petite phrase qu’elle a répété une dizaine de fois dans l’hémicycle ». Mais ce sont plutôt des exceptions qui confirment la règle : ce débat s’est déroulé sans formule remarquable qui ait saisi les esprits.

Cette disette irait plutôt dans le sens de ce que disent certains commentateurs : quoique massivement hostile à la réforme, l’opinion publique n’a pas trouvé de vrai débouché politique, pas de porte-parole consensuel.

Cette période de carence s’est soudain achevée le 21 mars de la plus étrange façon. La veille de son entretien télévisé de ce mercredi, le président de la République reçoit des parlementaires de sa majorité. L’un de ceux-ci diffuse un enregistrement clandestin dans lequel Emmanuel Macron déclare : « La foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus ».

La formule se répand immédiatement sur les réseaux sociaux. Elle est expressément tenue pour une petite phrase par TF1, francetvinfo, L’Indépendant, L’Humanité, France Bleu, RMC et d’autres. Et elle est reçue de manière très négative. Le quotidien suisse Le Temps évoque « cette petite phrase, maladroitement tirée de son contexte ou volontairement clivante, quoi qu’il en soit très polémique ». « Ce qui m'inquiète, c'est le retour d'une vieille spécialité d'Emmanuel Macron : la petite phrase qui fâche, prononcée à contre-temps », s’inquiète Stéphane Vernay sur RCF.

Comme au temps des gilets jaunes

Il est troublant de constater qu’on retrouve le même genre de phénomène qu’à la grande époque du « carré macronien » (« je traverse la rue », les « Gaulois réfractaires », les « gens qui ne sont rien », le « pognon de dingue ») : des phrases ambiguës, prononcées et/ou saisies plus ou moins au hasard, sorties de leur contexte… ou entrées dedans et interprétées systématiquement de manière négative.

Quant au fond, la petite phrase enfonce pourtant une porte ouverte : bien entendu, la foule n’a pas de légitimité face au suffrage universel (Donald Trump lui-même n’a pas été jusqu’à prétendre que l’assaut du Capitole par ses partisans, le 6 janvier 2021, suffisait à renverser le résultat de l’élection présidentielle américaine). Mais cette analyse constitutionnaliste n’est guère audible : la petite phrase est condamnable, non à cause de son contenu mais à cause de son auteur et du contexte.

Ce qui, en un sens, n’est pas totalement négatif pour Emmanuel Macron : son statut de leader est confirmé. Et c’est même un leader sans concurrent crédible. Mais c’est aussi un leader négatif, celui qui, dans une polarité politique inversée, apparaît comme un repoussoir irremplaçable, attesté par ses petites phrases insupportables – ou du moins insupportées.

M.L.S.

Illustration : copie partielle d’écran TF1, entretien d'Emmanuel Macron avec Marie-Sophie Lacarrau et Julian Bugier

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