05 septembre 2024

Michel Barnier échappera difficilement aux petites phrases

 Michel Barnier, nouveau Premier ministre, est réputé homme pondéré et même un peu ennuyeux. Il n’aime pas les écarts de langage. En 1997, alors ministre délégué aux Affaires européennes, interrogé sur une question européenne importante lors d’un grand entretien radio-télévisé, il répondait : « Le meilleur moyen pour un membre du gouvernement, celui que vous interrogez à l’instant, de dissiper ces rumeurs est de ne pas y participer, de ne pas en rajouter, de ne pas faire sa petite phrase. »

Cette abstention n’est pas seulement conjoncturelle. Dans Vive la politique ! (Stock, 1985), Michel Barnier cite en exemple Delphine, 15 ans, dressée contre les politiques, « des gens qui nous apparaissent ridicules, qui vous débitent à longueur d'antenne des chiffres que chacun interprète à sa façon, quand ils ne sont pas en train de s'insulter à coups de sous-entendus ou de petites phrases." » Dans Vers une mer inconnue (Hachette Pluriel, 1994), il écrit : « Je suis certain que les querelles intestines, les petites phrases dont la presse est si friande et les ambitions des uns ou des autres indiffèrent ou agacent les Français. »


Cette certitude n’est sans doute ni justifiée, ni productive. Michel Barnier est « très sous-estimé sur la scène politique française, sans doute à cause de son peu de goût pour la petite phrase et de son sens de l'humour limité », estime Libération, brossant son portrait en 2016(1). «Il ne donne pas dans la petite phrase, il na pas une personnalité pétillante, il nest pas assez voyou pour les mœurs françaises et cela en fait un mauvais client pour les journalistes», assure un de ses proches à Ouest-France(2) en 2018.

Candidat à la primaire de la droite, avant l’élection présidentielle de 2022, il ne se départit pas de cette ligne de conduite. Dans son camp, on craint que la concurrence ne tourne au jeu de massacre, tel celui déclenché en 2016 par une petite phrase de François Fillon. Mais avant d’avoir fait la perte de Fillon, n’avait-elle pas fait son succès ? En tout cas, Michel Barnier ne jouera pas à ce jeu-là. « Pas de petite phrase à attendre de Michel Barnier », promet son entourage à la veille du premier débats entre les candidats à la candidature(3).

Des petites phrases par inadvertance

Une petite phrase est vite arrivée. Chez Michel Barnier, cela ne peut être que par inadvertance. « L'avenir du Togo est entre les mains des Togolais » déclare-t-il sur France 2 en avril 2005. Dans la bouche d’un ministre des Affaires étrangèes, cela paraît une banalité. C’est en fait une grande imprudence !  « A Lomé, où les adversaires de Faure Gnassingbé sont majoritaires, la petite phrase de M. Barnier avait été interprétée comme la marque du soutien de Paris au fils du président défunt Eyadéma, et ce malgré les fraudes », commente alors Le Monde, qui ajoute : « Sans renier son propos (peu goûté à l'Elysée), M. Barnier l'a quelque peu nuancé jeudi en faisant observer qu'il ne s'était "jamais prononcé sur le résultat du scrutin". »(4)

En 2021, lors du Congrès des Républicains, alias la primaire de la droite avant l’élection présidentielle de 2022, il se livre à l’exercice du tweet en 140 signes synthétisant une partie de ses propositions : « Il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH. » Cette prise de position contre les juges supranationaux soulève un tollé ; il s’empresse de le retirer et de le remplacer par une formule édulcorée : « « Restons calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera qu’à la politique migratoire. » On ne saura jamais si cette reculade lui a été bénéfique ou a causé son échec (il arrive troisième avec 23,93 % des voix derrière Éric Ciotti, 25,59 %, et Valérie Pécresse, 25,00 %).

Arrivé à l’Hôtel Matignon dans les conditions qu’on sait, pourra-t-il s’abstenir de petites phrases ? Fatalement, qu’il le veuille ou non, une grande partie de ce qu’il dira sera susceptible d’être considérée comme telle. Mais il sera hors de question de multiplier les replis tactiques.

Michel Le Séac’h

 (1) Jean Quatremer, « Michel Barnier, un mister Brexit bien peu anglophile », Libération, 27 juillet 2016, https://www.liberation.fr/planete/2016/07/27/michel-barnier-un-mister-brexit-bien-peu-anglophile_1468933/

(2) Laurent Marchand, « Savoyard, gaulliste et Européen... Qui est Michel Barnier, le Mister Brexit de l'Europe ? », Ouest-France, 15 novembre 2018, htps://www.ouest-france.fr/europe/grande-bretagne/brexit/savoyard-gaulliste-et-europeen-qui-est-michel-barnier-le-mister-brexit-de-l-europe-6072053

(3) Aurélie Herbemont, « Présidentielle 2022 : le premier débat entre les candidats LR peut-il virer au pugilat ? », RTL, 08 novembre 2021, https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-le-premier-debat-entre-les-candidats-lr-peut-il-virer-au-pugilat-7900094026

(4) Jean-Pierre Tuquoi, « Pas d'ingérence de la France, selon Michel Barnier », Le Monde, 28 avril 2005, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2005/04/28/pas-d-ingerence-de-la-france-selon-michel-barnier_643811_3212.html

Illustration : photo Flick https://www.flickr.com/photos/lisboncouncil/8210920600, licence CC BY-NC-ND 2.0

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