Michel Barnier, nouveau Premier ministre, est réputé homme pondéré et même un peu ennuyeux. Il n’aime pas les écarts de langage. En 1997, alors ministre délégué aux Affaires européennes, interrogé sur une question européenne importante lors d’un grand entretien radio-télévisé, il répondait : « Le meilleur moyen pour un membre du gouvernement, celui que vous interrogez à l’instant, de dissiper ces rumeurs est de ne pas y participer, de ne pas en rajouter, de ne pas faire sa petite phrase. »
Cette abstention n’est pas seulement conjoncturelle. Dans Vive
la politique ! (Stock, 1985), Michel Barnier cite en exemple Delphine, 15
ans, dressée contre les politiques, « des gens qui nous apparaissent
ridicules, qui vous débitent à longueur d'antenne des chiffres que chacun
interprète à sa façon, quand ils ne sont pas en train de s'insulter à coups de
sous-entendus ou de petites phrases." » Dans Vers une mer inconnue
(Hachette Pluriel, 1994), il écrit : « Je suis certain que les
querelles intestines, les petites phrases dont la presse est si friande et les
ambitions des uns ou des autres indiffèrent ou agacent les Français. »
Cette certitude n’est sans doute ni justifiée, ni productive. Michel Barnier est « très sous-estimé sur la scène politique française, sans doute à cause de son peu de goût pour la petite phrase et de son sens de l'humour limité », estime Libération, brossant son portrait en 2016(1). « Il ne donne pas dans la petite phrase, il n’a pas une personnalité pétillante, il n’est pas assez voyou pour les mœurs françaises et cela en fait un mauvais client pour les journalistes », assure un de ses proches à Ouest-France(2) en 2018.
Candidat à la primaire de la droite, avant l’élection
présidentielle de 2022, il ne se départit pas de cette ligne de conduite. Dans
son camp, on craint que la concurrence ne tourne au jeu de massacre, tel celui
déclenché en 2016 par une
petite phrase de François Fillon. Mais avant d’avoir fait la perte de
Fillon, n’avait-elle pas fait son succès ? En tout cas, Michel Barnier ne
jouera pas à ce jeu-là. « Pas de petite phrase à attendre de Michel
Barnier », promet
son entourage à la veille du premier débats entre les candidats à la
candidature(3).
Des petites phrases par inadvertance
Une petite phrase est vite arrivée. Chez Michel Barnier,
cela ne peut être que par inadvertance. « L'avenir du Togo est entre les
mains des Togolais » déclare-t-il sur France 2 en avril 2005. Dans la
bouche d’un ministre des Affaires étrangèes, cela paraît une banalité. C’est en
fait une grande imprudence ! « A
Lomé, où les adversaires de Faure Gnassingbé sont majoritaires, la petite
phrase de M. Barnier avait été interprétée comme la marque du soutien de Paris
au fils du président défunt Eyadéma, et ce malgré les fraudes », commente
alors Le Monde, qui ajoute : « Sans renier son propos (peu
goûté à l'Elysée), M. Barnier l'a quelque peu nuancé jeudi en faisant observer
qu'il ne s'était "jamais prononcé sur le résultat du scrutin". »(4)
En 2021, lors du Congrès des Républicains, alias la primaire
de la droite avant l’élection présidentielle de 2022, il se livre à l’exercice
du tweet en 140 signes synthétisant une partie de ses propositions : « Il
faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts
de la CJUE ou de la CEDH. » Cette prise de position contre
les juges supranationaux soulève un tollé ; il s’empresse de le retirer et
de le remplacer par une formule édulcorée : « « Restons
calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très
précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera
qu’à la politique migratoire. » On ne saura jamais si cette reculade
lui a été bénéfique ou a causé son échec (il arrive troisième avec 23,93 %
des voix derrière Éric Ciotti, 25,59 %, et Valérie Pécresse, 25,00 %).
Arrivé à l’Hôtel Matignon dans les conditions qu’on
sait, pourra-t-il s’abstenir de petites phrases ? Fatalement, qu’il le
veuille ou non, une grande partie de ce qu’il dira sera susceptible d’être
considérée comme telle. Mais il sera hors de question de multiplier les replis
tactiques.
Michel Le Séac’h
(2) Laurent Marchand, « Savoyard, gaulliste et
Européen... Qui est Michel Barnier, le Mister Brexit de l'Europe ? », Ouest-France,
15 novembre 2018, htps://www.ouest-france.fr/europe/grande-bretagne/brexit/savoyard-gaulliste-et-europeen-qui-est-michel-barnier-le-mister-brexit-de-l-europe-6072053
(3) Aurélie Herbemont, « Présidentielle 2022 : le
premier débat entre les candidats LR peut-il virer au pugilat ? », RTL, 08
novembre 2021, https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-le-premier-debat-entre-les-candidats-lr-peut-il-virer-au-pugilat-7900094026
(4) Jean-Pierre Tuquoi, « Pas d'ingérence de la France,
selon Michel Barnier », Le Monde, 28 avril 2005, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2005/04/28/pas-d-ingerence-de-la-france-selon-michel-barnier_643811_3212.html
Illustration : photo Flick https://www.flickr.com/photos/lisboncouncil/8210920600,
licence CC BY-NC-ND 2.0
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